HomeA la uneBURUNDI : Le jeu trouble d’Agathon Rwasa

BURUNDI : Le jeu trouble d’Agathon Rwasa


L’entêtement de Pierre Nkurunziza, peut-on dire, a payé. En effet, malgré ce que les uns et les autres ont martelé au sujet de l’illégalité de sa candidature à un troisième mandat, malgré le climat délétère et d’insécurité dans lequel la présidentielle s’est tenue et bien que les principales figures de l’opposition se soient déclarées non-partantes pour le scrutin, le satrape de Bujumbura a tenu à ce qu’il ait lieu. Et il a bel et bien eu lieu. Le verdict a été sans appel : 69% des suffrages se sont exprimés en sa faveur. Nkurunziza a donc triomphé, mais c’est un triomphe sans gloire. Seulement, les dictateurs ne se font aucun scrupule lorsqu’il s’agit pour eux de confisquer par tous les moyens le pouvoir. En effet, ni les clameurs de protestation de la communauté internationale ni même les nombreux cadavres qu’ils laissent sur le chemin de leur marche forcée vers leur objectif, ne peuvent les freiner. L’illustration de cette vérité vient d’être donnée par Nkurunziza. Son leitmotiv était le pouvoir, rien que le pouvoir. La suite, en Afrique, on la connaît. Elle consiste à casser l’unité de l’opposition, en concédant à certains de ses membres des strapontins ministériels, et à déployer un lobbying en direction de la communauté internationale pour l’amener à faire contre mauvaise fortune bon cœur en acceptant le fait accompli.

La probabilité est forte de voir certains opposants succomber à l’appel à la soupe de Nkurunziza

La question qui se pose, maintenant que la chose est dans la besace de l’homme fort de Bujumbura, est de savoir si l’opposition burundaise fera exception à cette règle en maintenant résolument la posture qui a toujours été la sienne, c’est-à-dire le rejet de la candidature de Pierre Nkurunziza et ce, en se fondant sur l’accord d’Arusha de 2000.

Les démocrates d’Afrique et d’ailleurs voudraient certainement que l’opposition reste sur cette position. Mais la probabilité est forte de voir certains opposants burundais succomber à l’appel à la soupe de Nkurunziza et de ses partisans. L’un de ces opposants pourrait être Agathon Rwasa. Et cette hypothèse repose sur les faits suivants.

D’abord, cet opposant, bien qu’il ait réfuté les résultats de la présidentielle, n’écarte pas la possibilité de rejoindre un gouvernement d’union nationale tel que le recommandaient les chefs d’Etat de la communauté est-africaine ; mais ce serait pour que de nouvelles élections soient organisées. A cette réserve, il ajoute le fait que le troisième mandat de Nkurunziza ne devrait pas durer plus d’un an. Ces propositions, de toute évidence, représentent du pain bénit pour Nkurunziza. Non seulement elles pourraient apporter un coup de massue à la cohésion de l’opposition, mais aussi elles permettraient au pasteur président d’avoir du répit pour mieux consolider son pouvoir. Et ce dernier n’en demandait pas plus. Car, il sait qu’au finish, il sera le grand gagnant de ce schéma de sortie de crise proposé par Agathon Rwasa. Il le sait d’autant plus que pour l’écrasante majorité de ses collègues de la communauté est-africaine qui font office de médiateurs dans la crise burundaise, la question de la légitimité de son pouvoir n’a jamais été à l’ordre du jour. Ce qui constitue une préoccupation pour cette structure, c’est le partage du pouvoir, dans le cadre d’un gouvernement d’union nationale pour sauver, disent-ils, la paix au Burundi et épargner à la région une situation chaotique qui pourrait naître d’une éventuelle guerre civile. C’est dire que de toutes les propositions formulées par Agathon Rwasa, seule celle relative à la mise en place d’un gouvernement d’union nationale, pourrait être audible auprès de Nkurunziza et des autres présidents de la communauté est-africaine. Et ces derniers, à l’exception du président de la Tanzanie, ont en partage le fait d’avoir tropicalisé à leur goût le concept de la démocratie. Que leur homologue s’essuie les pieds sur l’accord d’Arusha et sur la Constitution de son pays, est le cadet de leurs soucis. En bons « pouvoiristes », ce qui aurait pu les empêcher de dormir, c’est le contraire. Ils mettront tout en œuvre pour persuader Agathon Rwasa d’intégrer un gouvernement d’union nationale.

Le scénario n’est pas inédit sous nos tropiques

La deuxième raison qui pourrait motiver Agathon Rwasa à aller dans le sens d’un gouvernement d’union nationale, est qu’il semble exister entre lui et le président, un pacte. Celui-ci pourrait consister, pour sa part, à reconnaître le pouvoir de Nkurunziza et à accepter le principe d’un gouvernement d’union nationale tout en se positionnant pour la présidentielle à venir. Ce pacte est d’autant plus crédible que de tous les opposants burundais, il est le seul qui peut se prévaloir d’une certaine assise populaire. La preuve de cela réside dans le fait que bien qu’il n’ait pas fait campagne à l’occasion de la présidentielle, il s’en est sorti avec un score qui, somme toute, n’est pas ridicule.

Et rien ne nous dit que si, par extraordinaire, le résultat du scrutin l’avait donné vainqueur, il aurait craché sur cette victoire. Pour toutes ces raisons, l’on peut dire qu’Agathon Rwasa joue à un jeu trouble. Et ses camarades de l’opposition ont été bien inspirés de dire ceci de lui : « C’est difficile de savoir ce qu’il pense. Il ne vient pas à toutes les réunions, il vous dit une chose, puis une autre ». De ce point de vue, l’on peut se demander si Agathon Rwasa ne veut pas aller à la soupe et ce, en enjambant les cadavres.

En prenant en compte le développement qui a été fait plus haut, l’on peut être tenté de répondre malheureusement par l’affirmative. Dans cette hypothèse, l’on peut affirmer qu’en plus de commettre une faute politique, il commettrait une faute morale. Politiquement, il affaiblirait considérablement l’opposition et moralement, il cracherait sur la mémoire de tous ceux qui se sont faits massacrer en prenant d’assaut les rues de Bujumbura, les mains nues, pour faire barrage à la boulimie de pouvoir de Nkurunziza. Et parmi ceux-ci, figurent des hommes et des femmes qui ont eu la naïveté de militer dans le parti de Agathon Rwasa. Et ceux-ci ne manqueront pas de se retourner dans leur tombe, de voir leur mentor assis à la table de leur bourreau, trinquant avec lui. Mais ce scénario n’est pas inédit sous nos tropiques. Avant Agathon Rwasa, d’autres opposants l’ont fait. Le grand enseignement que l’on pourrait tirer de cela est qu’en politique, surtout au Gondwana, la fin justifie les moyens.

« Le Pays »


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