CENI GUINEENNE : Attention au syndrome de 2010
« Tous ceux qui ont oublié le passé sont condamnés à le revivre», dit un adage. Aujourd’hui, au regard de l’ébullition dans laquelle se trouve la classe politique guinéenne, il serait impérieux pour la Commission nationale électorale indépendante (CENI) de la Guinée de se l’approprier. Et ce, pour éviter au pays les sempiternelles crises post électorales qui ont noirci l’image de ce pays pour préserver la paix. Tout en rassurant l’opposition politique en campagne électorale, de gros efforts sont nécessaires de la part de la CENI. A seulement 3 jours de l’élection présidentielle du 11 octobre prochain, la présumée partialité de la Commission électorale fait grand bruit dans le landerneau politique guinéen. En effet, l’opposition l’accuse d’être un instrument au service du camp présidentiel et dénonce « une remise tardive du fichier électoral et une augmentation abusive du nombre d’électeurs de la région de Kankan qui a un taux de 44% d’augmentation d’électeurs par rapport à 2013, alors que toutes les autres régions sont dans une moyenne générale de 23 à 24%». Avec cette volée de bois vert que donne l’opposition au camp présidentiel, tout laisse à penser que cette région est un bastion de forces hostiles aux opposants, donc d’électeurs acquis au président Alpha Condé. C’est donc à la CENI de convaincre les acteurs politiques de son indépendance, en travaillant à redorer son blason terni depuis des lustres, aux fins d’éviter au continent une nouvelle crise postélectorale.
Il faut craindre le scénario de 2010
Pour ce faire, la CENI doit comprendre qu’aucune indépendance, au propre comme au figuré, ne s’octroie libéralement dans ce monde, mais se conquiert plutôt. Et c’est dans ce sens que Joseph KI-Zerbo disait : « On ne développe pas, on se développe». La CENI a d’autant plus intérêt à s’émanciper du camp présidentiel qu’elle montrerait ainsi au reste du monde que ses membres sont des patriotes, ont les coudées franches, et sont plus mus par la défense de l’intérêt général que la sauvegarde d’intérêts partisans. Car rien ne vaut le nectar de la liberté. Et c’est justement dans l’affirmation de son patriotisme que s’inscrit la démarche de l’opposition guinéenne qui a annoncé qu’elle « ne boycotterait pas le scrutin du 11 octobre». En agissant ainsi, l’opposition démontre qu’elle est décidée à ne pas s’en laisser conter, à aller jusqu’au bout, nonobstant « les insuffisances » dans l’organisation de la présidentielle qu’elle déplore. Toutefois, si la CENI ne réalise pas à temps son introspection, il faut craindre que le spectre du scénario de 2010, qui plane actuellement sur la tête de la Guinée comme une épée de Damoclès, ne finisse par prendre corps et infantiliser à nouveau le pays. En effet, on se rappelle qu’à l’époque, la présumée partialité de la même CENI avait divisé la classe politique guinéenne et conduit à des sempiternels reports d’élection. Et le pays dut même recourir aux services du général malien Sangaré – qui dirigea ladite CENI – comme bouée de sauvetage pour une sortie de l’impasse politique dans laquelle se vautraient les acteurs politiques guinéens. Il leur appartient cette fois-ci de grandir en s’inspirant de l’exemple du Burkina qui vient récemment de prouver à la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) et à la Communauté internationale qu’il peut lui-même gérer ses problèmes. Sinon, on finira par croire que le combat pour l’indépendance de la Guinée de Sékou Touré, fut vain. En somme, le dégel du climat politique guinéen relève de la responsabilité de l’ensemble des acteurs politiques du pays qui doivent engager un dialogue franc et accepter de faire des concessions. A défaut, leurs querelles picrocholines finiront par embraser à nouveau le pays. Ce d’autant plus que l’opposition a prévenu que « le cas échéant, elle n’accompagnera pas un processus de ce type et ne restera pas les bras croisés». A ce moment, ce sont les populations civiles qui paieront, comme d’habitude, le plus lourd tribut. Car, comme le dit un proverbe africain, « quand les requins se battent, ce sont les écrevisses qui ont le dos brisé».
Adama KABORE