HomeA la uneCENTRE MASSADJAMI : Sur les traces des gendarmes blessés au front

CENTRE MASSADJAMI : Sur les traces des gendarmes blessés au front


La vie leur a accordé une seconde chance. Il s’agit de ces gendarmes blessés au front, au cours de la défense du pays en proie au terrorisme. Profondément affectés hier, aujourd’hui, ces pandores « miraculés » sourient à la vie et ce, grâce notamment au centre Massadjami. En effet, quelques heures passées avec certains blessés, à Ouagadougou, le 7 novembre 2023, ont permis de lever un coin du voile sur l’étendue de l’intérêt de ce centre.

 

A peine le portail du Centre militaire du camp Paspanga, franchi, à notre droite, le fronton est bien visible : Centre Massadjami. Logé dans une villa, le centre est aujourd’hui une brigade qui remonte le moral des pandores blessés au front. « Résilience » en langue gouin parlée dans la région des Cascades du Burkina. « Quoi qu’on me fasse, je reste debout », tel est le slogan qui soutient les actions de ce centre et qui arme le moral des pandores désobligés. Sa création a nécessité l’implication personnelle du commandement. L’ex-CEMGN, Evrard Somda, en avait fait l’une de ses priorités dès sa prise de commandement, le 11 février 2022.  Le 11 novembre 2022, le centre venait de connaître sa coupure de ruban.  Il est situé au cœur du camp Paspanga. Nous y voilà, le 7 novembre dernier. Il faut quelques minutes pour rallier le site à partir du poste de contrôle. C’est le calme par-ci. On emprunte la voie principale qui traverse la caserne militaire. Quelques rares gendarmes, visibles, échangent, assis sur des motos, d’autres remplissent quelques tâches et d’autres encore sont présents à leurs postes.

 

Yazouma Ouattara est l’animateur principal de ce centre

 

Nous voilà au cœur de cet espace réalisé grâce aux actions de l’association « Go Paga » et ses partenaires. Nous sommes accueillis dans une bibliothèque. Chaque objet semble être à sa place. Des canapés, tous de couleur bleue, sont installés contre le mur. Un tableau y est fixé. Une étagère à l’allure modeste, arbore des livres d’auteurs militaires, notamment du lieutenant-colonel, William Combary. Ce centre ambitionne d’être un lieu de « ressourcement, de suivi psychologique et de réinsertion » des blessés de guerre dans l’armée ou dans la vie active.  Parmi ces pandores qui ont refusé de perdre le moral après cette dure épreuve, figure l’adjudant-chef Yazouma Ouattara. Il est l’animateur principal de ce centre. D’aucuns disent qu’à la place du mot résilience dans le dictionnaire, il faut y inscrire son nom. Car, à la seule évocation de son nom, retentit : « résilience ». Blessé et aujourd’hui, paraplégique, il a le moral au top. Il fait la fierté de la gendarmerie et partant, de toute l’armée. En effet, son exemple est cité dans des lieux fréquentés par le commandement militaire et le découvrir est, aujourd’hui, devenu objet de curiosité et source d’inspiration pour ses frères d’armes. Accueillant, l’homme au teint noir est plutôt costaud. Mais l’engin électrique motorisé à trois roues, griffé « colibri », ne permet pas de mesurer toute la corpulence de « guerrier ». Nous sommes dans la bibliothèque du centre. Le commandement, selon le chef des lieux, n’a pas voulu faire une bibliothèque estudiantine. « C’est pour cela qu’on a des canapés. Tu prends un bouquin, tu t’assoies calmement pour le lire et c’est reposant », fait-il savoir. Et d’ajouter qu’il est permis d’aller lire ces ouvrages triés sur le volet, à la maison.  C’est ce soldat, blessé au cours de l’attaque complexe contre son détachement, à Oursi en 2019, qui porte le flambeau de cette résilience et qui donne un éclat particulier à Massadjami.

 

Il savait escorter le président du Faso…

 

« Le compétent » comme l’appellent affectueusement ses frères d’armes, était à l’Escadron d’escorte avant d’être déployé pour lutter contre les groupes armés terroristes qui écument des villages du Burkina. Celui qui escortait le président du Faso, est aujourd’hui réduit à conduire sans complexe et sans gêne, son engin électrique à trois roues, adapté à son état. La sensibilité fait défaut au niveau de ses membres inférieurs. Après sa blessure et après avoir été interné à l’hôpital de Tingandogo, il garde toujours en tête ces mots du Commandant du groupement de l’escadron d’escorte et d’honneur qui, à l’époque, lui avait rendu visite à l’hôpital : « Le compétent, lève-toi rapidement parce qu’on ne peut pas escorter le président du Faso en tricycle. Il faut revenir prendre ta moto ». Pour Yazouma Ouattara, ce pseudonyme qui le suit depuis « l’escadron motocycliste », a été, pour lui, un adjuvant dans sa résilience.  Aujourd’hui, « chef Ouattara » a trouvé au plus profond de lui-même, la force de revivre à nouveau ; lui qui a passé trois ans, reclus à la maison. Ses quelques rares sorties, c’était pour aller à des séances de rééducation. A la croisée de la résilience, du courage et de la persévérance, ce gendarme à qui certains disent devoir la vie, trouve que cette épreuve a été, pour lui, une occasion de découvrir une autre facette de sa personnalité. Cette mobilité relative retrouvée après quelques années passées cloîtré à la maison, n’est pas étrangère à la création de Massadjami. « C’est à l’ouverture de ce centre que moi, je suis sorti de chez moi car on m’a appelé pour me dire que c’est un centre dédié aux blessés. Et j’ai commencé à sortir. Et depuis lors, je ne suis plus collé à la maison. Je suis ici tous les jours sauf samedi et dimanche », confie-t-il.

 

 

Des blessés à cause de traumatismes physiques, n’arrivent pas à avancer dans leurs grades

 

Ce centre de soutien psycho-social, s’enquiert des nouvelles des blessés depuis leur hospitalisation au centre de santé du Camp Aboubacar Sangoulé Lamizana et dans d’autres formations sanitaires, et les reçoit à leur phase de convalescence. « Tous les blessés de la gendarmerie en opération, sont enregistrés », précise Yazouma Ouattara. Pour lutter contre l’oisiveté des blessés, cet espace tente de les occuper. « Ici, on se rencontre, on échange. Je suis le porte-parole auprès du commandement pour plaider sur nos préoccupations. Le commandement accorde une oreille attentive à nos doléances », fait-il savoir.  Malgré la douleur et les traces indélébiles de balles, les blessés qui fréquentent Massadjami pour oublier quelque peu cette souffrance, organisent des barbecues, des journées culturelles et des jeux de société. « On joue entre collègues, ça crie ! Cela fait passer le stress. Et voilà, tu oublies, tu oublies », s’exclame Yazouma Ouattara. Un tennis de table installé dehors, la salle de jeux située au salon, est composée d’un babyfoot, un damier et autres jeux, le tout dans une ambiance qui se veut celle d’un casino. Les amoureux du foot ne sont pas oubliés. Car, à côté de cette salle de jeux, se trouve la cafeteria dotée d’une télé pour suivre les championnats d’ici et d’ailleurs.  C’est bientôt Noël, le sapin, lui, est en lieu sûr. Il ne reste qu’à le nettoyer et la fête sera belle. Ce centre, au-delà des loisirs, donne aussi l’occasion aux blessés d’apprendre l’informatique, et de participer à des formations diverses et variées, notamment sur des thématiques en lien avec la résilience, l’élevage, la mécanique des engins à deux roues. Pour les apprenants en mécanique, leur efficacité dans les garages, pousse leur hiérarchie à initier une formation sur les quatre roues. D’autres formations sont en vue telle la culture hors- sol.  A quelques pas de la salle de réunions, un autre bureau attire notre attention. Celui-ci est dénommé salle d’« écoute ».  Dotée d’un bureau, elle dispose de deux canapés individuels qui se font face. Sont reçus dans ce bureau de quelques m2, des blessés qui ont un besoin de counseling. Des blessés physiquement normaux mais qui, souvent, traînent un traumatisme. « Si on ne les écoute pas, on risque de les perdre », estime-t-il. Et de regretter : « On préfère célébrer les morts que les vivants ». Titulaire de la Croix du combattant, cet adjudant-chef souhaite plus d’égards pour les blessés. Car, pour lui, ces derniers sont aussi des héros et méritent d’être célébrés comme tels. Cela lui tient à cœur puisqu’il le dit avec émotion et un calme qui cache mal une certaine déception. « Si on ne me célèbre pas aujourd’hui, c’est après ma mort qu’on va le faire ? A quelles fins ? », s’est-il interrogé. « Il y a des blessés qui sont dans des situations où il leur faut vraiment de l’aide » dit-il. Il invite à imaginer les retombées d’une rencontre entre le chef de l’Etat et les blessés. Ces blessés, selon chef Ouattara, se sentiraient utiles et trouveraient que leur sacrifice n’a pas été vain. Car, il y a eu une reconnaissance nationale. « Un blessé célébré, c’est une famille qui est fière », se convainc-t-il. Des blessés, à cause de traumatismes physiques, n’arrivent pas à avancer dans leurs grades, contrairement à leurs promotionnaires. Cette question est déjà sur la table des responsables de la gendarmerie, foi de chef Ouattara. Des réflexions sont en cours, poursuit-il, afin de prendre en compte cette attente particulière des blessés.

 

L’adjudant Boubacar Daboné a reçu 11 balles

 

Faciliter leurs avancements est une attente de Boubacar Daboné. « S’il y a des concours professionnels, je ne pourrai pas grimper à la corde ni courir. On souhaite qu’on trouve une autre manière d’évaluer les blessés pour faciliter leurs avancements », propose-t-il, tout en souhaitant de la diligence à ce niveau. « Tu pars défendre ta patrie, tu reviens blessé pendant que tes promotionnaires avancent. Tu te sens délaissé malgré que tu as posé un acte de bravoure », raconte-t-il, dépité. Et de faire observer qu’ailleurs, des galons s’obtiennent grâce aux actions menées au front. « Cela ne coûte absolument rien de donner des galons à des gens qui se sont sacrifiés pour la Nation », estime-t-il.  Ce jeune pandore a été blessé aussi à Oursi, en 2019, dans la région du Sahel. Cette attaque à laquelle lui et ses camarades ont riposté avec « bravoure », avait été saluée par les autorités politiques avec des promesses de félicitations toujours attendues. La hiérarchie, elle, était fière.  Au cours de cette attaque, l’adjudant Boubacar Daboné a reçu 11 balles. A ce jour, il traîne encore trois balles dans sa jambe droite. Après un long temps de convalescence, il est aujourd’hui sur pied. Habillé en tee-shirt et jean noir, calme et le débit lent, il présente une physionomie rassurante. Mais à cause de son traumatisme physique, faute d’aller au front, il est actuellement en poste dans un des services de la gendarmerie. C’est une reconversion qu’il a acceptée et il compte la vivre avec succès. Sa situation actuelle, dit-il, lui a fait perdre beaucoup d’avantages, notamment sur le plan financier. Cependant, cet adjudant estime que la vie en vaut plus. Et le centre Massadjami, à en croire ce dernier, est une façon de penser aux blessés qu’ils sont. « C’est un cadre où on arrive à échanger et partager nos soucis. Quand on a des doléances, nous savons à qui nous adresser et espérer une réponse satisfaisante. Je peux venir passer du temps ici, lire ou suivre la télé ou encore échanger avec d’autres blessés », se réjouit le pandore. A l’entendre, cet espace contribue beaucoup à leur résilience du fait, entre autres, des formations reçues. Ce jeune brigadier est ainsi résolu à servir son corps autrement.

 

Le MDL chef Lassané Ouadba prend une balle qui a traversé ses côtes

 

 Autre attaque, en 2019.

Elle est survenue au petit matin, contre le détachement de GARSI (Groupe d’action rapide de surveillance et d’intervention) de Toéni. Pas de perte en vie humaine dans les rangs des pandores. Mais le Maréchal des logis chef, Lassané Ouadba, après avoir reçu une balle qui a traversé ses côtes gauches jusqu’aux côtes droites, est aujourd’hui dans un fauteuil roulant. Il est toujours interné au centre de santé du camp Aboubacar Sangoulé Lamizana. Nous l’avons rencontré au centre Massadjami. Recrue de la 44e promotion d’élèves sous-officiers en 2016, trois ans après, il lui faut un verticalisateur pour se mettre en station debout et goûter encore au plaisir de la marche. Car, il est paraplégique. Sous-officier en début de carrière, il a accepté sa situation et s’est résolu à continuer de se battre pour vivre. Sa mère est d’un soutien de taille et la hiérarchie, selon lui, ne l’a pas abandonné à son triste sort. « J’arrive à m’asseoir et à échanger avec les gens. A faire tout ce que je veux sauf marcher. Je rends grâce car la hiérarchie a fait beaucoup pour moi », confesse -t-il. Evacué à l’extérieur pour des opérations sur sa colonne vertébrale et ce, grâce au soutien du commandement, aujourd’hui, le MDL chef Ouadba arrive à s’asseoir pendant des heures. « Et les soins aussi sont très bons », apprécie-t-il. Habillé dans sa tenue de sport de la gendarmerie comme pour nous dire qu’il est toujours dans les rangs, il est déterminé ; tant il souhaite exécuter des tâches. Mais, pour le moment, des œdèmes ne lui laissent pas encore le choix. Il doit prendre son mal en patience. Lassané Ouadba a découvert Massadjami comme ses autres frères d’armes blessés au front. Il en tire une satisfaction. « Quand j’ai des problèmes, et que je les approche, ils essayent de trouver une solution », déclare-t-il. A l’entendre, de nombreuses activités sont organisées pour les mettre, lui et ses collègues, dans une situation confortable. « Le centre, c’est vraiment très bien ! », avoue-t-il.

 

Sortis au nombre de 46, seulement 11 d’entre eux ont rejoint la base

 

« La peur du gendarme est le contraire de la vertu… », André Comte-Sponville. Cette citation, un artiste, pas n’importe lequel, et gendarme, Etienne Bamogo dit Bam’ss Grâce, semble en avoir épousé le sens. Malgré son profil d’artiste, il a été déployé en février 2021. Mais le sort a voulu qu’en février 2023, il soit victime d’une embuscade. Il se refuse à décrire l’attaque dans laquelle il s’en est sorti avec des blessures. Ce maréchal des logis, en patrouille à Diapaga, dans la région de l’Est avec son unité, tombe dans une embuscade tendue par les groupes armés. Des morts et des blessés dans les rangs. Sortis au nombre de 46, seulement 11 d’entre eux ont rejoint la base. « C’est un peu difficile à expliquer car il faut le vivre. Et je risque de rater certains faits », raconte-t-il. « Ce n’était pas simple mais si on est toujours en vie, on peut dire merci à Dieu », rend-il grâce. Ce dernier s’en sort vivant avec une douleur dorsale qui l’a cloué au lit durant à peu près un mois. Mais actuellement, il va mieux car il est sur pied. Assis en face de nous, habillé en tee-shirt rouge, pantalon noir, et chaussures baskets aux pieds, c’est un jeune gendarme plein de vie. Il traîne des séquelles au niveau de l’oreille gauche qui laisse entrevoir du coton. Il affirme avoir reçu les premiers soins au camp Aboubacar Sangoulé Lamizana où il a passé une semaine. Actuellement, confie-t-il, ils reçoivent des traitements au service ORL. « J’ai plusieurs fois été pris en charge au camp Paspanga », apprécie-t-il.  Et depuis le mois d’avril 2023, l’artiste-gendarme fréquente le centre Massadjami. La musique lui remonte le moral car, pour lui, le micro est une arme qui combat le stress. Et ce cadre de rencontre renforce sa résilience, affirme-t-il. « Ce centre nous permet de nous épauler, de nous aider dans le traitement de nos dossiers au niveau de la CARFO et d’exposer nos doléances aux chefs militaires », explique-t-il. « Je dis un grand merci à la hiérarchie qui ne cesse de contribuer à notre santé. Nous leur demandons de continuer à nous soutenir », plaide-t-il. Car, selon ce dernier, il a des frères d’armes qui ont des pieds et des bras amputés et d’autres vivent avec des traumatismes. Cependant, l’artiste garde le moral. « Nous sommes plus que vainqueurs. C’est mon slogan. On n’abandonnera jamais. Nous sommes des héros. Nous allons relever le défi sur le plan sécuritaire », conclut-il.

 

Un programme de soutien psychologique a été élaboré

 

Le centre Massadjami côtoie, au cœur du Centre militaire du camp Paspanga, d’autres salles d’hospitalisation et d’urgence, des laboratoires d’analyses, des salles de dépôt pharmaceutique, de cabinet dentaire, de garde et de bureaux. Des services de santé pour une meilleure prise en charge des gendarmes et de leurs proches. Tout ceci sous la coordination du médecin- chef. Nous avons obtenu rendez-vous avec ce dernier. Pris entre conférences, animation d’ateliers de formation et consultations, le médecin-capitaine, Modeste Ouédraogo, a trouvé du temps pour notre équipe. Malgré son autorisation d’absence, il est venu nous rencontrer. Il donne des instructions fermes pour ne pas être dérangé pendant notre entretien.  Quelques instants après, il faut interrompre les échanges pour sauver une situation. Notre interlocuteur se lève brusquement de son fauteuil, pour prendre en charge un frère d’armes arrivé en urgence visiblement mal en point. Des minutes après, il nous revient. « Je n’ai pas le choix », nous lance-t-il.  Nos échanges peuvent reprendre avec ce médecin-capitaine, les 35 ans bien sonnés, la taille moyenne et des lunettes qui lui vont à merveille. Habillé en tenue terre Burkina, arborant des galons trois barrettes, il est engagé sur le front de la prise en charge médico-psychologique de ses frères d’armes. Une seule chose lui vient à l’esprit dans le contexte de guerre burkinabè : « Se courber mais jamais se briser ».  Il sait pertinemment de quoi il parle ; lui qui coordonne les activités du Centre médical militaire du camp Paspanga qui, avec Massadjami, sont sous la coupe du Directeur des services de santé de la gendarmerie nationale et tout cela est placé sous l’autorité du Chef d’Etat-major de la Gendarmerie nationale. Coordonnateur de ce centre de loisirs, d’accompagnement et de soutien psychologique aux blessés des opérations, le médecin-capitaine est à la tâche. Le soutien médico- psychologique existe bien à la gendarmerie. Car, en temps de guerre, les troubles liés au stress et les troubles psychiatriques occupent les premiers rangs de la santé en général, explique Modeste Ouédraogo. Pour être plus efficace, un programme de soutien psychologique a été élaboré. Il contient des programmes de formation en ateliers. « Nous avons levé les tabous de la maladie mentale », indique-t-il. Au total, grâce à l’implication personnelle de ce capitaine et de sa hiérarchie, 18 ateliers ont été organisés au profit des gendarmes membres des différents groupements. Les occasions ne manquent pas pour parler de cette pathologie, même au cours des rencontres du commandement et dans les légions de gendarmerie.  C’est dans le cadre du soutien psycho-social qui ne va pas sans la prise en charge psychologique, qu’est né Massadjami. « C’est un centre qui a été pensé pour la résilience de nos frères d’armes. Il a pour but d’occuper les blessés pendant leur convalescence, de leurs permettre d’être épanouis et d’assurer leur soutien psychologique », fait-il remarquer. Et pas que ça. Car, selon le coordonnateur, c’est aussi une façon, pour l’institution, de prendre en charge la réinsertion dans les rangs. Une vision holistique de la prise en charge psycho-sociale qui a fait naître la première direction d’armée en charge de l’action sociale et des blessés des opérations de la gendarmerie nationale.  Ces blessés sont reçus à Massadjami après la levée des urgences médicales, assurée au centre médical du camp Aboubacar Sangoulé Lamizana et dans d’autres hôpitaux. « Les blessés sont reçus par la suite au centre Massadjami qui a un attaché de santé mentale pour leur prise en charge psychologique », explique-t-il. Le médecin de corps de troupe, Modeste Ouédraogo, pense la santé globale des gendarmes. « Le médecin-militaire doit penser en temps de guerre, au volet psychologique car les plus grandes blessures de la guerre ne semblent pas visibles », dit-il. Ce dernier, aussi formateur en soutien psycho-social, a la lourde tâche d’accompagner dans cette épreuve, ses frères d’armes qui traînent aujourd’hui des traumatismes. Un soutien adéquat aux familles fait partie aussi de la vision du commandement. « Nous connaissons des cas difficiles, notamment des blessures psychiques qui sont difficilement mesurables. On peut faire face à un camarade qui a perdu une jambe mais qui, moralement, est plus au top qu’un autre qui n’a pas de blessure physique mais qui peut en arriver au suicide », relève-t-il. La plupart des blessés, assure le capitaine, n’ont pas plus de 30 ans.

 

La question de la santé mentale

 

A cet âge, ces gendarmes blessés n’ont pas vécu la moitié de leur vie. Le processus de résilience les concernant, a pour objectif de leur éviter de sombrer. « Ils ne doivent pas porter le fardeau dû aux blessures physiques et psychiques car cela peut impacter le reste de leur vie », expose-t-il. Et d’inviter à une réflexion car la santé mentale aujourd’hui, est devenue un problème de santé publique. Une situation qui nécessite la prévention primaire à travers l’information, l’éducation et la sensibilisation. Si les outils mis en place sont bien suivis, 90% des cas de troubles mentaux peuvent être pris en charge par ses services, assure-t-il. Quant au reste, il pourra être affecté aux spécialistes de santé mentale. Il n’y a pas de santé sans santé sociale. En affirmant cela, le médecin-capitaine interpelle les proches et frères d’armes, sur la nécessité d’accompagner les blessés. « Je suis fier des blessés que je prends en charge. La vie des gendarmes est mon combat au quotidien. Ces blessés ont accepté de continuer à vivre », martèle-t-il. Des blessés qui, aujourd’hui, ne regrettent en rien leur sacrifice pour que le Burkina soit toujours debout. Leur souhait, c’est une reconnaissance juste de ce sacrifice consenti loin des proches. Le pays des Hommes intègres n’a certes pas les moyens de les ramener à leurs états physiques et psychiques d’avant blessures, mais peut, valablement, les honorer et les magnifier.

 

Boureima KINDO

 

 

Voici comment renforcer sa résilience, selon le capitaine Modeste Ouédraogo

 

« Ce qui permet à une personne de se relever, il n’y a pas de médicament pour cela. C’est sa façon de vivre. Et c’est cela qu’on appelle résilience. C’est la capacité de pouvoir reprendre un nouveau développement après avoir connu une situation difficile. C’est la capacité de se plier mais de ne pas se briser. Nous essayons d’enseigner cette résilience au cours de nos formations. Pour renforcer sa résilience, il faut améliorer sa vie à travers les huit dimensions du bien-être. La santé est un état de bien-être physique, psychique et social. Les huit dimensions du bien-être sont : les dimensions émotionnelle, spirituelle, sociale, environnementale, physique, professionnelle, financière et intellectuelle ».

 

Propos recueillis par BK

 

 

*Le secret de la résilience de Yazouma Ouattara

 

« La résilience se construit à travers ce que l’on fait. Tout de suite, quand j’ai été blessé, j’ai accepté. J’ai accepté que je suis blessé et que je ne peux plus retourner en arrière. C’est arrivé, c’est fait. Qu’est-ce que je fais ? Ma seule préoccupation, c’est d’aller de l’avant et d’être heureux tous les jours et de m’occuper de moi-même. Quand j’ai l’occasion de m’adresser à mes frères d’armes, de nouvelles recrues, je leur demande : « Etes-vous conscients de votre choix ? Ils répondent : « Oui ! ».  Je leur dis : « Vous êtes des hommes. Vous avez fait des choix forts car vous souhaitez que ce pays tienne debout ». C’est tout ceci qui me réconforte et me fait dire : « Je préfère mourir pour une bonne cause ». Pour être bien dans son corps, il n’y a pas de médicaments. Tout se passe dans la tête. Il faut accepter d’être en paix avec soi- même ».

 

*Le témoignage de Yazouma Ouattara sur le bureau d’écoute de Massadjami :

 

« Il y a un frère d’armes qui était assidu dans ce centre. A chaque fois qu’il arrivait, il était délabré. Il ne prenait plus soin de lui. Il venait en sandales et le pantalon mal lavé. Il avait pour habitude de se coucher dans le canapé. Il ne parlait pas. Un jour, je lui ai dit : présente-toi. Il s’est présenté. Je lui ai dit pourquoi tu t’habilles comme ça ? Il a dit : « Ah ! Mon adjudant-chef, ma femme m’a fui ». Je lui ai demandé : « C’est pour cela que tu te laisses de cette façon ? ». Et il m’a répondu ainsi : « Ma femme dit que je suis fou ». Je lui ai dit : « Mais toi-même tu sais que tu n’es pas fou ». Il dit : « Oui mais… ! ». Je dis voilà ce qu’on va faire : « Tu es un gars normal. Prends soin de toi. Je ne veux plus te voir en tapettes. Je veux te voir à chaque fois propre et bien coiffé. Prends soin de toi et tu verras que d’autres filles vont s’intéresser à toi ». Quelque temps après, quand il venait ici, il était bien tiré. Un jour, il me dit qu’il veut travailler. Je lui ai dit de venir, on va aller voir le médecin. Le médecin lui demande : « Tu es prêt à travailler ? Il dit : « Oui, je veux m’occuper. Je ne veux pas rester à la maison ». Des jours après, il a reçu un papier de son médecin. Aujourd’hui, il est dans les rangs. Je l’ai vu l’autre jour au camp, en tenue et sur sa moto en train de circuler. Il a oublié hier (rire) ».

 

*Son témoignage sur les circonstances de sa blessure :

 

« Le 5 février 2019, le détachement de gendarmerie basé à Oursi, a fait l’objet d’une attaque de nature terroriste vers 5h du matin. Nous nous étions déjà préparés à cette éventualité. On avait simulé une attaque du camp et actionné le plan de défense-caserne. L’attaque que nous avons subie, s’est déroulée comme nous l’avions imaginée. Et notre riposte a été de taille. Vers 5h, il y avait des chiens sauvages qui aboyaient et ce jour, j’étais le chef du groupe. J’ai un élément qui m’a appelé au poste pour dire ceci : « Les chiens sont en train d’aboyer et j’ai envie de leur tirer dessus ». J’ai répondu : « Non, vas-y plutôt voir ce qu’il s’y passe ». Quand il est allé aux renseignements, lorsqu’il a torché dans le sens des chiens, c’était le début du déluge de feu sur notre détachement. Nous avons passé plus de 15 minutes sans pouvoir réagir. Il y avait toutes sortes de détonations. On connaissait leur mode opératoire. Nous avons choisi de nous mettre à l’abri. Les terroristes ont décidé de fouiller le camp. Ils pensaient qu’on avait fui. Quand ils se sont dispersés pour fouiller le camp, c’est là que nous avons commencé à les éliminer un à un en tirant de partout. Nous avons passé au moins une heure dans cette étape et les ennemis n’arrivaient pas à prendre le camp. Ils sont repartis d’où ils sont venus.  Moi et une équipe étions dans une tranchée qui était vers l’entrée du détachement. Nous avons résisté depuis ce trou. Comme les terroristes n’arrivaient pas à nous prendre, ils se sont scindés en deux groupes. Un groupe nous fixait pour nous empêcher de nous déployer. Et l’autre groupe allait faire le détour pour nous prendre en étau. J’ai demandé à mes éléments de quitter le trou dans lequel nous étions pour rejoindre un autre trou qui faisait face aux assaillants. Mes éléments sont sortis un à un. Pendant qu’ils sortaient, avec mon arme collective, je tirais dans le sens des ennemis. Quand mes éléments ont tous rejoint le trou, j’étais le dernier à me déplacer. A ce moment, mes collègues ne pouvaient plus me protéger car je leur faisais face. Ils ont donc cessé de tirer. C’est là que les terroristes ont commencé à tirer sur moi. Je ne peux plus aller au front mais je pense avoir joué ma partition. Et je ne regrette rien. J’ai souffert. A chaque fois que je recevais des collègues, je leur disais : « Vous me manquez et j’ai envie d’être avec vous sur le terrain ».

 

*Témoignage de l’adjudant Boubacar Daboné

 

« C’est vraiment émouvant et je ne peux parler sans rendre grâce à Dieu.  Quand je revois l’attaque, je ne comprends pas pourquoi je ne suis pas resté. C’est vers 5h et j’étais de garde au détachement de Oursi en 2019. Quand les terroristes sont arrivés, nous, nous étions dans une tranchée avec des sentinelles. On a entendu des tirs. Les balles sifflaient de partout. Quand j’ai levé ma tête pour voir ce qui se passait, j’ai vécu la scène la plus effroyable de ma vie : des terroristes étaient en train de tirer sur nos éléments couchés. J’étais le chef de poste et je ne pouvais pas perdre le moral. Je leur dis ceci : « Il se peut qu’on meure mais avant, nous allons aussi faire quelque chose ». On a réussi à leur envoyer un obus au moment où ils lançaient l’assaut. Quelques-uns d’entre eux sont tombés et les autres se sont plaqués au sol. On a utilisé un PKMS qui arrivait à les neutraliser mais après un moment, l’arme s’est bloquée. Nous risquions d’être pris en étau, nous avons donc décidé de quitter la tranchée pour un autre poste. Dans mon mouvement, j’ai senti que j’ai reçu des balles mais j’ai réussi quand même à aller m’adosser à un arbre. J’ai pris le PKMS bloqué pour le remettre en ordre de combat. A ce moment, les terroristes nous ont contournés. J’ai senti encore que j’ai reçu des balles au niveau de l’épaule, de la hanche et même des fesses. Je me suis incliné et j’ai dit aux autres de décrocher. Mes frères d’armes ont refusé. On est retourné au poste, dans la tranchée. Quelques instants après, on les voyait ramasser leurs corps et ils ont nourri le feu sur notre position. Après un moment, on a été secouru par les autres collègues du détachement. L’infirmier a immédiatement pansé nos plaies. Il a fallu nous évacuer avec un appareil de l’armée française venu du Niger. Mais il fallait parcourir un trajet de 45 kilomètres pour rejoindre l’appareil. Il a fallu nous transporter en ambulance et on ne pouvait pas emprunter les routes. On était obligé de passer par la brousse avec nos fractures. Ce n’était pas simple. Nous leur avons dit de nous laisser mourir. Arrivé au niveau de l’hélico, on a eu des anti-douleurs. Transportés à Ouagadougou, nous avons été pris en charge aux urgences de l’hôpital de Tingandogo.  J’ai reçu 11 balles. Quatre ont traversé le corps et les sept autres y étaient logées. Avec les opérations chirurgicales, on a pu extraire certaines balles mais actuellement, je traine encore trois balles dont une, logée au niveau du fémur ».

 

*Témoignage du MDL chef, Lassané Ouadba

 

« C’est suite à l’attaque de notre base de GARSI -Toéni, dans la nuit du 3 décembre 2019, que j’ai été blessé. Vers 16h, je suis allé prendre ma douche. Quelques minutes après, on entendait beaucoup de bruit comme si des gens étaient en train de faire paître des animaux. Nous avons envoyé un drone pour aller vérifier. Nous n’avons rien obtenu. Quelque temps après, on n’entendait plus de bruit. Notre commandant, à l’époque, le capitaine Cheick Ouédraogo, nous a demandé de prendre nos dispositions. Vers 2h du matin, j’étais de garde. Quand j’ai fini ma faction, je suis rentré pour me reposer. A peine j’ai fermé l’œil, trente minutes environ, j’ai entendu des tirs d’obus. C’était un déluge de feu qui tombait sur nous. Ces obus tombaient sur nos dortoirs. Heureusement, il n’y avait personne. C’est pendant que les obus tombaient sur le camp que j’ai voulu rejoindre les autres. En rampant, j’ai vu des gens venir vers ma position. Mais ce n’était pas mes collègues. C’était l’ennemi. Ils m’ont vu en premier. Ils ont rafalé sur moi. J’ai fait des barriques (s’enrouler, ndlr), jusqu’à trouver une protection. Je me suis caché et je ripostais. Quelques instants après, j’ai senti que quelque chose m’a touché et m’a projeté un peu loin. Quand j’ai voulu m’asseoir, c’était devenu impossible. Quand j’ai touché mes pieds, je ne sentais plus rien. C’est comme si je touchais la terre. J’ai reçu une balle qui a traversé mes côtes de la gauche vers la droite. Je voyais le sang qui jaillissait. C’est à ce moment que le commandant d’unité est venu vers moi et m’a tenu par les épaules. Il m’a demandé de continuer à les rafaler à l’aide de ma main gauche. C’est ainsi qu’il m’a sorti du feu. Mes pieds traînaient. Nous avons pu nous plaquer au sol et on continuait à riposter. C’est nous deux qui étions sous les feux. Nos éléments se sont organisés et ont mené l’assaut pour les prendre en étau et les repousser au-delà de nos limites afin de pouvoir nous tirer de là. Les terroristes ont constaté qu’ils étaient en train de perdre un grand nombre de combattants. Ils ont commencé à replier ».

 

 

Propos recueillis par BK

 


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