CLASSE POLITIQUE GUINEENNE ET VOTE DE LA LOI SUR LE PROJET SIMANDOU A quand la fin de la bagarre ?
Il n’est pas, en vérité, de question plus déchirante pour tous les Guinéens, que celle de l’exploitation des ressources minières de leur pays. Et, il est rare qu’en Guinée, un problème purement économique ne prenne tout de suite une connotation politique.
La ratification de la convention signée fin mai entre l’Etat guinéen et le mastodonte minier anglo-australien Rio Tinto, par l’Assemblée nationale, vient parfaitement de le démontrer.
Le projet Simandou aurait dû sauver l’unité nationale
En effet, qualifié d’historique par les députés de la majorité présidentielle, ce vote a été tout simplement boycotté par ceux de l’opposition. Rappelons que la région de Simandou constitue l’un des gisements de fer les plus importants au monde. Son exploitation devrait effectivement remettre le « train Guinée » sur les rails du développement, surtout qu’autour de ce gisement, on n’a pas cessé d’assister à de multiples rebondissements politico-judiciaires durant une décennie. A l’heure actuelle, et personne ne peut le nier, l’accord avec Rio Tinto est tout, sauf monstrueux pour les intérêts nationaux de la Guinée. Le Parlement, image du pays, s’est acquitté de ses obligations en le votant. Et, pour un Etat qui revient de loin, il est bon que le pouvoir exécutif soit soumis au contrôle du Parlement.
Soulignons que s’agissant de l’exploitation des ressources naturelles et minières du continent par les compagnies étrangères, la Guinée vient d’innover. Car, sous nos cieux, on peut citer très peu d’exemples où les contrats passés dans le secteur minier, ont fait l’objet de débats publics. Pourtant, autour de la ratification de cet accord, on a assisté bel et bien à un affrontement entre députés du camp présidentiel et ceux de l’opposition. Ce qui signifie, très clairement, que le consensus politique a manqué. Mais à qui la faute ? Si l’on s’en tient aux versions « servies » par les deux camps à l’opinion guinéenne, chaque camp prétend détenir la vérité. Et, c’est toute la démocratie guinéenne, jeune et fragile, qui se trouve ramenée à une simple lutte de factions. Or, le projet Simandou aurait dû sauver l’unité nationale, et l’esprit de sacrifice patriotique entre Guinéens.
Pour le camp présidentiel, l’opposition s’est opposée au texte voté, pour des raisons politiciennes, comme l’a indiqué le président du groupe parlementaire de la majorité présidentielle, El Hadj Damaro Camara. Cet homme ne boude pas son plaisir en accusant l’opposition guinéenne d’être antipatriotique, étant donné que le projet Simandou devrait générer environs 45 000 emplois. Et, avec cet accord, l’Etat guinéen pourra compter sur de nouvelles recettes fiscales et remettre l’économie en marche. Il est juste de reconnaître qu’avant Alpha Condé, aucun régime en Guinée n’avait réussi à amener les investisseurs étrangers à avoir un peu de considération pour les intérêts nationaux du pays. Sous le régime anhistorique de Lansana Conté, l’Etat s’était complètement désimpliqué du secteur minier, laissant la voie libre à une nouvelle race de prédateurs nationaux et internationaux des ressources du pays. Avec Alpha Condé, tout a changé. Désormais, les entreprises étrangères ne peuvent plus donner, en Guinée, des formes légales à leur pillage et spoliation des ressources minières du pays.
L’opposition guinéenne, qui ne cesse d’attaquer la gouvernance d’Alpha Condé, craint que son régime n’exploite magistralement la ratification de ce projet à des fins électoralistes.
Un climat de confiance doit s’installer entre tous les acteurs de la classe politique guinéenne
Si elle a boycotté ce vote, c’est, dit-elle, pour réclamer un cadre de dialogue avec le pouvoir et l’application des accords du 3 juillet 2013 qui prévoient l’organisation des élections communales avant la fin de l’année 2014. L’opposition n’exclut pas d’organiser, prochainement, à travers le pays, toute une série de manifestations. Comme on le voit, l’opposition accuse le pouvoir Condé de n’avoir pas su créer une atmosphère morale et politique dans laquelle le dialogue politique deviendrait possible. Elle veut prendre l’opinion nationale et internationale à témoin, comme pour dire : voyez-vous, le régime Condé est un régime autoritaire, sinon dictatorial.
Cela dit, l’opposition guinéenne commet une grave erreur politique en enveloppant dans la même réprobation, la gouvernance du Président Condé et les investisseurs étrangers. Pourquoi s’évertue-t-elle à transformer un problème juridico-économique en un problème politique radical ?
Franchement, cette lutte politique qui se déroule autour du projet Simandou, n’est pas du tout opportune. Car, l’opposition guinéenne n’ignore pas combien « la question sociale » déchaîne ici constamment les passions, et combien il est impératif et nécessaire de réorganiser l’économie guinéenne. La Guinée vit encore des temps difficiles. Et, des millions de Guinéens vivent dans un dénuement extrême.
Toute la classe politique guinéenne doit se sentir en charge des intérêts nationaux du pays. Or, on a l’impression qu’on a affaire ici à une opposition plus soucieuse de son honneur, de ses intérêts particuliers que du destin de la Guinée.
Non, le destin de la Guinée ne doit en aucun cas, être déterminé que par des contingences politiques.
D’ailleurs, les deux figures les plus importantes de l’opposition guinéenne, Cellou Dalein et Sydia Touré, portent une lourde responsabilité morale et politique dans l’état actuel du pays. Par conséquent, ils doivent faire preuve de lucidité et de maturité politiques, car nulle part au monde, on n’instaure un dialogue politique par décret.
Quant au régime Condé, il ne doit pas ignorer que la ratification de ce projet n’aura servi à rien, sans une réelle politique d’industrialisation de la Guinée, afin d’y construire un nouvel ordre économique. De même, il lui faut être réellement aveugle pour imaginer, un seul instant, que la ratification du projet Simandou entraînera fatalement le développement de la Guinée. Cela dit, un climat de confiance doit s’installer entre tous les acteurs de la classe politique guinéenne.
Pouvoir et opposition doivent renoncer à « la loi du bon plaisir », car elle contribue à saper les principes et valeurs démocratiques. En dépit des défauts qu’on peut lui reprocher, la jeune démocratie, après et malgré des débuts difficiles, a planté des racines profondes dans le sol guinéen. Et comme l’avait justement relevé Raymond Aron, « un régime démocratique n’a de chance de fonctionner harmonieusement qu’une fois enraciné dans la manière de vivre d’un peuple ».
Tous les Guinéens ont un seul devoir : défendre le nouvel héritage démocratique du pays. Et, la situation dans laquelle se trouve la Guinée, ainsi que les circonstances, tout cela impose le sens d’un consensus politique partagé.
« Le Pays »