Colonel-major Nombré Honoré Lucien, 1er vice-président du CNT : « Ce n’est pas à l’armée de décider quels choix politiques un pays doit opérer »
Nombré Honoré Lucien est Colonel-major et appartient à l’arme de l’infanterie des Forces armées nationales. Il était député et 1er vice-président du Conseil national de la Transition (CNT) et cela, dans le cadre de la mise en œuvre de la Charte de la Transition qui prévoyait la participation des Forces de défense et de sécurité à hauteur de 25 députés. Dans cet entretien qu’il nous a accordé en fin décembre 2015, le Colonel-major répond à cœur ouvert à toutes les questions entrant dans le cadre de son expérience au CNT.
Qu’est-ce qui vous anime après ces 13 mois de mandat au CNT ?
C’est un sentiment de fierté d’avoir œuvré pour son pays aux côtés d’autres Burkinabè, des hommes et des femmes déterminés à défendre la patrie, à faire en sorte que ce pays ne sombre pas dans le chaos mais qu’il puisse survivre dans un élan de solidarité, de fraternité et de patriotisme. C’est une fierté d’avoir apporté ma contribution à l’effort de l’ensemble des Burkinabè.
Ce n’est pas toujours évident, cette collaboration entre civils et militaires du fait de la méthode et de la discipline. Comment êtes-vous arrivés à créer la symbiose au CNT ?
La distinction qui est traditionnellement faite entre civils et militaires est parfois abusive. En réalité, pour des charges aussi importantes et vitales pour une nation, la motivation soude davantage. Ce qui rassemble est beaucoup plus fort, du moins devrait l’être, par rapport à ce qui pourrait diviser. Fondamentalement, l’éducation professionnelle peut amener des comportements ou des approches relativement nuancées, parfois même différentes, mais, finalement, si ce qui unit est beaucoup plus fort, les divergences deviennent secondaires. Donc, ces contradictions sont du domaine de la gestion quotidienne à mon avis. Il n’y a pas de cultures si différentes qu’il en résulte des antagonismes non gérables.
Comment avez-vous vécu l’expérience du CNT ?
Cela a été pour moi une grande école et une grande occasion d’apprentissage parce qu’en me frottant au quotidien aux civils, j’ai beaucoup appris. J’ai certainement plus appris d’eux qu’ils n’ont appris de moi. J’ai notamment appris à ouvrir davantage les perspectives pour essayer d’embrasser les différentes approches qui sont les reflets de nos différentes sensibilités, de nos cultures et de nos convictions et qui sont aussi le reflet d’une richesse qu’il faut s’approprier. J’ai vécu ce contact avec les civils comme une occasion d’enrichissement en tant qu’être humain et en tant que chef militaire. J’ai appris à connaître davantage les hommes. Tout au long de cette mission, c’est la raison qui nous a amenés à ce conseil qui me hantait pratiquement et qui m’amenait à me poser des questions : Avez-vous fait suffisamment pour ce pays ? Etes-vous à la hauteur de la mission qui vous est confiée ? Etes-vous sur la voie de réaliser les objectifs qui vous ont été fixés ? Voilà les questions qui me hantaient et dont les réponses ne se trouvaient pas forcément à ma portée. Pour cela, je devrais m’ouvrir aux autres pour essayer de trouver des réponses à ces questions. Finalement, j’étais dans une expérience très dynamique, très enrichissante, ce qui est très stimulant pour moi en tant que chef militaire.
Quel est votre plus beau souvenir au CNT ?
Ce fut d’avoir rencontré des gens d’une sensibilité insoupçonnée. J’ai pu m’apercevoir que ce n’est pas l’inexpérience, le fait de n’avoir pas pratiqué une chose, qui est un obstacle. Je me suis rendu compte que des femmes et des hommes qui n’avaient pratiquement pas une formation pour faire ce travail dans les conditions spécifiques de la Transition, ont pu trouver du consensus pour aller de l’avant. C’est mon plus beau souvenir. Je crois de plus en plus qu’on peut s’unir, fraterniser, avoir plus de solidarité et de communion lorsque les bases sont justes et claires. L’union et la fraternité sont d’autant plus efficaces que les bases sont justes. Cela constitue une grande expérience dont j’aurai toujours souvenance.
Et votre pire souvenir ?
Ce sont les incompréhensions. On est toujours mal à l’aise lorsqu’on n’est pas compris. Lorsque nous avons voté la loi sur le Code électoral par exemple, naturellement, les raisons que nous avons invoquées sont d’ordre national. La loi est le reflet d’une société à un moment donné. Et nous avons voulu refléter ce sentiment profond qui n’était pas seulement un sentiment superficiel, une colère passagère ou qui pourrait être considérée comme telle. Nous avons aussi voulu refléter ce qu’était le sentiment profond du plus grand nombre. Nous avons toujours eu en mémoire le sentiment et la volonté du plus grand nombre. Nous avions pensé aussi qu’il y a des instruments internationaux qui encadrent ce domaine et nous avons voulu faire la jonction entre le sentiment profond du plus grand nombre à l’intérieur du pays et ce que disent les instances internationales comme l’Union africaine sur le sujet. Donc, nous avons voulu internationaliser ce dispositif dans notre droit positif. J’ai souffert de n’avoir pas été compris. Personnellement, je n’ai pas bien compris l’exclusion qui a été dite de cette loi. Toute loi exclut toujours ceux que la loi ne protège pas, ceux qui, précisément, s’exposent. Une loi ne peut pas être autre chose. Elle ne peut qu’encourager, entre autres, un comportement et décourager un autre.
Ceux qui s’estiment être exclus pensent que le Code électoral est fondamentalement politique. Qu’en pensez-vous ?
Combien de choses ne sont pas politiques dans cette société du 21e siècle ? Dites-moi une seule chose qui ne touche pas à la vie des citoyens de cette cité. Nous sommes dans un environnement relativement globalisé. Nous avons des interactions dans beaucoup de domaines aujourd’hui. On ne peut plus vouloir segmenter les choses et les cloisonner. La vérité est que la politique nous environne et nous conditionne. Dans un sens, nous sommes aussi des acteurs politiques à divers degrés. Ce que nous prenons comme mesures ne peut être donc sans tâche, sans stigmates, sans coloration politique. C’est sûr que ce sont des visions et des pratiques politiques. C’est un comportement politique qui n’est pas souhaitable, que nous avons voulu décourager. Dire que tel n’est pas le cas n’est évidemment pas juste. La politique doit être au service de la démocratie, de la liberté et de la paix.
N’êtes-vous pas déçu parce que vous n’avez pas tenu compte de certaines réactions ?
Les réactions sont inévitables et même souhaitables. Nous ne voulons pas d’un peuple et d’une société de gens apathiques; des gens qui restent indifférents à tout. Les réactions nous indiquent que nous sommes dans le bon ou le mauvais sens. Les réactions nous permettent de nous améliorer. Mais ce que nous disons simplement, c’est que la réaction, si elle est excessive, si elle n’est pas mesurée, elle manque de bon sens. Evidemment, ce type de réaction est affligeant, mais il faut continuer de décourager ce qui n’est pas souhaitable. Ce n’est pas parce que vous êtes déçus de n’avoir pas l’applaudissement de tout le monde que vous avez forcément tort. L’histoire des peuples et des nations ne s’inscrit pas dans des logiques de court terme. C’est dans le long terme que nous verrons que pour avoir posé certains actes, des hommes et des femmes s’éloigneront de tels types de comportement. C’est l’avenir qui nous intéresse. Le présent est utile parce que nous agissons avec lui, mais ce qui nous préoccupe, c’est le devenir de ce pays.
Pourquoi spécialement garder un mauvais souvenir du Code électoral alors que d’autres lois du CNT ont créé aussi la polémique (la loi sur la presse, sur le personnel des forces armées) ?
Je répète que pour le Code électoral, j’ai souffert de ce que les gens n’aient pas compris ce qu’on a voulu faire passer comme message.
« La Défense doit être acceptée, voulue et soutenue par la société. Elle doit être comprise comme étant l’affaire des concitoyens »
On connaît ceux qui n’ont pas voulu comprendre votre message. Ne pouvez-vous pas les nommer ?
Les gens sont très nombreux. Il y a des partis politiques qui avaient aussi des citoyens libres qui se prononçaient. Il faut éviter de stigmatiser un groupe social. Ce sont des citoyens qui ont des droits et des devoirs et c’est dans ce sens qu’il faut comprendre leurs réactions. Pour revenir aux autres lois qui ont aussi suscité la polémique, disons d’abord qu’elles étaient de cette nature. Quant au texte sur la presse, jusqu’à la dernière minute, j’ai suspendu la séance pour que nous dégagions un consensus. Ce qui a été voté dans la première version était le produit de ce consensus. Ce n’est pas une habitude de suspendre la plénière pour rechercher un équilibre. Il aurait été possible de continuer et d’adopter un texte de loi au forceps. Ce ne fut pas le cas. Vous avez bien vu que lorsque ce texte qui est entré en force parce qu’il n’a pas été promulgué, nous a été soumis de nouveau par le gouvernement, nous avons accepté volontiers de le réexaminer. Quand nous avons diminué les quanta des peines, c’est un signal que nous donnions. Nous n’avons peut-être pas encore atteint le niveau que souhaitent les uns et les autres, mais ce que nous disons, c’est qu’il faut donner un sens, un sens dégressif. Ceux qui seront chargés de poursuivre l’œuvre à la tête de cette institution sauront dans quel sens, il faut faire mouvoir le curseur. C’est plutôt cela qui nous préoccupe plus qu’autre chose. C’est aussi montrer que nous ne sommes pas autistes. Nous savons écouter et entendre. Nous savons aussi réagir positivement. Même si c’est insuffisant, le sens est là. La direction est prise et je pense que c’est positif.
Qu’en est-il du texte de loi sur le statut du personnel des forces armées ?
Ce sont les mêmes dynamiques, les mêmes débats et les mêmes recherches d’équilibre qui nous animent. Le texte qui a été promulgué et publié, reflétait le niveau du consensus à ce moment précis. Je prétends qu’il le reflète jusqu’à preuve du contraire. Le jour où viendra le besoin de l’améliorer, un sens meilleur lui sera donné comme nous en avons donné sous la Transition. Mais le but du CNT, ce n’était pas de rester plus d’un an. La Charte était très claire sur notre mandat. Cela veut dire que nous ne pouvions pas faire plus que matériellement on ne peut faire en un an. Donc, ces textes seront toujours perfectibles. Je pense que si nous n’avons pas atteint le résultat souhaité, si nous avons fait des échecs, ceux qui nous remplacent bâtiront leur succès sur nos échecs.
Quel a été l’apport spécifique du groupe parlementaire Défense et sécurité dans le travail parlementaire du CNT ?
Nous étions là pour un travail parlementaire, mais vous savez que la particularité de cette Assemblée, c’est qu’elle n’était pas partisane. Ce sont des alliés parce que ce sont les quatre forces vives telles qu’elles ont été reconnues et identifiées dans la Charte, qui sont parties prenantes de cette Assemblée. Ces quatre forces vives à la fois étaient des alliées parce qu’elles étaient des produits de l’insurrection. Donc, il n’y avait pas de débat partisan. La lutte et les débats qui sont parfois houleux et véhéments, sont essentiellement destinés à mettre en relief un certain nombre de situations spécifiques dans notre société. Donc, il n’y avait pas de lutte parce qu’il y avait des orientations politiques à donner. La seule orientation politique était de redresser la nation, tracer les sillons, doter notre pays d’outils et d’instruments juridiques qui soient dignes d’un Etat moderne, qui reflètent les aspirations de nos jeunes qui se sont donné corps et âme, au péril de leur vie, pour que demain, il y ait plus d’espace de liberté, des institutions fortes, des alternances démocratiques, etc. Ça, on n’avait pas besoin d’autre creuset pour nous rassembler. Nous n’étions pas là pour nous battre au profit des militaires, tout comme les OSC n’étaient pas là pour se battre au profit des OSC, … ; personne n’était là pour tirer la couverture sur soi. Nous étions tous là pour tisser la couverture. Si nous perdions cela de vue, on ne pourrait pas comprendre pourquoi nous étions solidaires des autres composantes parce que le but était évident pour tous. Dans ce contexte, notre contribution a été celle des autres. Nous avons apporté notre façon de voir la citoyenneté. N’oubliez pas non plus que les militaires ont le droit de vote. Ce qui nous est réduit, c’est l’expression. Nous n’avons pas le droit d’exprimer nos opinions politiques comme les autres composantes de la société. Nous n’avons pas le droit de manifester nos opinions en public comme les autres. Cela dit, nous avons le droit d’avoir une conscience politique et nous avons accompli ce devoir-là. Et nous devons l’exprimer le jour du vote pour contribuer à l’édification d’une société où même le militaire a sa place. La Défense doit être acceptée, voulue et soutenue par la société. Elle doit être comprise comme étant l’affaire des concitoyens. Cela permet de mettre en place des instances et des finances crédibles. Les militaires ont la ponctualité, la rigueur, l’assiduité et la discipline comme qualités requises dans l’accomplissement des missions. Ce n’est pas pour dénier aux autres cette qualité, mais elles sont particulièrement exaltées au sein de l’Armée.
Si on vous demandait de faire votre autocritique, que diriez-vous ?
Il y a à peu près un mois, nous sommes allés à la rencontre des populations de la Région du Centre dans le cadre du bilan du Conseil national de la Transition. Nous avons donc souhaité rencontrer nos mandataires pour leur rendre compte de ce que nous avons fait. Quand j’ai été à cette rencontre, j’ai profondément regretté que nous ne soyions pas sortis plus souvent. C’est vraiment le plus grand regret de mon passage au CNT. Je conviens que le temps a été court. Je sais que nous avons travaillé des week-ends entiers, de même que des jours fériés. Mais nous aurions pu faire plus ou mieux. Toutes ces questions soulevées par les participants étaient des questions pertinentes qui méritaient des réflexions pour chaque mandataire. En plus, les gens avaient besoin d’informations que l’on ne pouvait satisfaire que par des contacts directs. En somme, je crois que c’est la communication qui a manqué entre nous et la population.
« Si nous avons la responsabilité de défendre le pays, d’assurer la protection des personnes et des biens sans exclusive, elle ne doit pas être polluée par une activité partisane »
Qu’est-ce qui explique alors votre sortie tardive sur le terrain pour rencontrer la population ?
L’objet principal, c’est le bilan législatif du CNT. Lorsque nous avons voté la loi sur le Code électoral, c’était le moment propice pour aller à la rencontre des populations. Quand nous avons voté d’autres textes aussi importants, nous avions dû approcher ceux qui nous ont mandatés. Sur le Code minier aussi, nous avons fait des sorties. L’esprit était d’expliquer la teneur de tous ces textes qui ont été votés, pour que les populations se les approprient. On devait sortir pour rencontrer ces populations ; pas pour parler seulement, mais aussi pour les écouter. Ces sorties auraient pu nous amener à enrichir nos actions.
Quels conseils avez-vous à donner à ceux qui viendront vous remplacer à l’hémicycle au regard de ce que vous venez de dire ?
Je ne donnerais pas de conseils parce que cela ferait trop de responsabilités. Ce serait prétentieux de vouloir donner des conseils à des dirigeants d’un pays. Mais je voudrais tout simplement dire que je préfère mettre mon expérience dans les colonnes d’un journal comme le vôtre. C’est pour dire qu’il faut un contact beaucoup plus permanent et plus direct avec les populations. Ce ne doit plus être des contacts partisans. L’avantage que nous avions, c’est que quand nous partions à la rencontre du peuple, nous ne choisissions pas un segment de la population pour mener nos actions. Nous ne comptions pas sur un groupe idéologiquement constitué. Vous comprenez donc que ce ne sont pas des forces vives seulement que nous conviions. Nous conviions également ceux-là mêmes qui ne se sentaient pas concernés par la Transition et qui pouvaient même y être hostiles. C’est cela la différence. Si les rapports qui sont établis entre l’organe législatif, ses membres les députés et le reste de la population, sont basés sur des critères, ils sont parcellaires et fragmentaires. Il faut qu’il soit ouvert précisément sur tout le monde.
Quel commentaire faites-vous de la disposition encadrant l’engagement politique des militaires ?
C’est une excellente disposition. Elle permet d’apporter un éclairage souhaitable pour tous sur l’arène politique. Les militaires sont des citoyens à part entière. Ils ont le droit d’avoir des opinions politiques et le droit de vote. Donc, s’ils souhaitent entrer en politique pour briguer un mandat électif, et selon l’esprit de cette disposition, ils deviennent partisans et cherchent des partisans. Cela n’est pas compatible avec l’esprit de l’Armée. C’est la hiérarchie qui nous a choisis pour la représenter. Personne n’a levé le doigt pour se faire candidat. Nos chefs savent ce que nous pouvons faire. Ils savent nos qualités et nos faiblesses et c’est ainsi qu’ils nous ont désignés. Si nous avons la responsabilité de défendre le pays, d’assurer la protection des personnes et des biens sans exclusive, elle ne doit pas être polluée par une activité partisane. La disposition est donc excellente et nous la saluons. La discipline fait la force principale de l’armée.
Avant l’adoption de cette loi, est-ce qu’il y a eu des effets néfastes liés justement à l’engagement de l’armée en politique ?
J’espère que tous ceux qui nous lisent vont chercher et trouver qui sont les militaires en position de disponibilité et qui se sont adonnés à la politique. C’est vrai, quand des militaires briguent des mandats électifs, ils partent en campagne. Par exemple, pour l’élection présidentielle, c’est un gros risque qu’ils font courir à l’Armée. Si les électeurs votent en faveur du moins gradé, est-ce que le perdant qui est plus gradé va, à l’issue du scrutin, se soumettre au vainqueur en tant que Chef suprême des armées ? L’outil de défense ne peut pas vraiment supporter que l’on prenne de tels risques. La sécurité des citoyens n’a pas de prix. Personne ne doit les mettre à risque. Le métier des armes n’est pas fait comme tous les autres métiers. Il a une histoire et une tradition et sa manière de se régénérer. Ce n’est pas un métier clos comme certains le pensent. Si l’on n’y prend garde, avec l’avancée de la démocratie, si nous ne regardons pas de près certains paramètres, nous risquons d’avoir des difficultés.
« Lorsque les militaires font irruption dans l’arène politique, ils détruisent l’image et la confiance »
Voulez-vous dire que l’intrusion de l’armée dans la vie politique a impacté négativement l’enracinement des institutions démocratiques dans notre pays ?
Il faut mesurer les choses. Si vous regardez l’histoire politique de notre pays, il n’y a pas eu seulement que des coups d’Etat militaires. Nos aînés en 1966 ont appelé l’armée à prendre le pouvoir, pour, à la fois, préserver l’ordre et la sécurité, mais aussi redresser l’économie en toute neutralité et impartialité. Les livres écrits à ce sujet vous diront s’il y a eu un redressement financier. Sur le plan politique, je laisse le soin aux politiques et aux spécialistes en sciences sociales, de répondre. Les 30 et 31 octobre 2014, le pays allait à vau-l’eau et toutes les forces vives se sont entendues pour se coaliser, y compris l’armée pour redresser la situation. A part ces deux cas, les coups d’Etat naturellement sont condamnables et personne ne peut les cautionner. L’impact d’un coup d’Etat, ce n’est pas seulement sur les civils, mais c’est aussi sur l’armée. Le coup d’Etat déteint sur l’image de l’armée qui a besoin de la confiance de la nation pour se sentir comme un poisson dans l’eau. Lorsque les militaires font irruption dans l’arène politique, ils détruisent l’image et la confiance. Et cela est préjudiciable. Ce n’est pas à l’armée de décider quels choix politiques un pays doit opérer. Elle est là pour mettre en œuvre les choix politiques des élus. Donc, un coup d’Etat est aussi négatif pour l’armée que pour le reste de la société.
Est-ce que l’article de la loi portant statut du personnel des forces armées, qui a permis de nommer Yacouba Isaac Zida général de division, est juste ?
Un article est juste ou n’est pas juste, tel n’est pas, à mon sens la question. Est-ce qu’au moment où ce texte était examiné, nous avions des raisons suffisantes de croire que l’ensemble des articles étaient bons ? Je réponds oui.
Expliquez-vous !
Il est bon dans le sens où il laisse au Président du Faso, Chef suprême des Forces armées nationales, le choix. C’est la clé de voûte du système de nomination aux grades élevés chez nous. On parle de mérite, mais on choisit parmi les plus méritants. Le principe d’avancement dans le domaine militaire, chez nous, c’est au choix.
L’ancienne disposition ne permettait pas de nommer Zida général. N’est-ce pas ?
L’ancienne disposition ne le permettait pas. Mais lorsque nous sommes arrivés au CNT, il y avait déjà un projet de relecture intégrale du Statut du personnel des forces armées nationales. Donc, il était déjà quelque part défraîchi ou inadapté. L’accélération historique au niveau de la Transition a permis d’intégrer les besoins nouveaux, de l’actualiser à l’aune de l’insurrection populaire. Si vous considérez que la clé de voûte, c’est le chef de l’Etat et qu’aucune disposition dans ce texte n’oblige le chef de l’Etat à nommer qui que ce soit, vous comprenez qu’il n’y a pas fondamentalement un changement qui n’est pas souhaitable.
Voulez-vous dire que la loi en question n’a pas été manipulée par des lobbies pour l’intérêt de quelques-uns ?
Pourquoi y aurait-il une manipulation ? Est-ce que la prise en compte des besoins spécifiques mis à jour par l’insurrection, est une mauvaise chose ? Comme je le disais, il y avait déjà sur les rails, une relecture de ces textes. Cette relecture avait déjà été faite parce que l’ancien texte avait été suffisamment jugé impertinent. Je ne vois pas en quoi la démarche a fauté. Cela dit, il n’y a aucune disposition pour obliger qui que ce soit à faire quoi que ce soit. La nomination revient au chef de l’Etat. La loi votée reflète son contexte. Si le contexte évolue, alors l’autorité compétente appréciera comme auparavant.
Comment avez-vous vécu les mesures drastiques qui ont été appliquées sur les émoluments des députés du CNT ?
Je ne les ai pas vécues spécifiquement. En allant déjà au CNT, c’était une mission et je suppose aussi que les autres sont allés dans cet esprit. Quand on vient à l’œuvre avec un esprit de mission, on prend les moyens de la mission pour accomplir les objectifs de la mission. Il se trouve que les moyens de cette mission sont ceux que finalement nous avons eus. On n’a pas de regret à avoir. Chaque mission a ses moyens. Si, aujourd’hui, on a des résultats que tout le monde semble apprécier, c’est avec les moyens disponibles qu’ils ont été atteints. Nous avons travaillé avec les ressources disponibles en donnant le meilleur de nous-mêmes. Mais je précise que sur cette question des émoluments, il y avait plusieurs situations à prendre en compte. Nous ne sommes pas allés au CNT avec les mêmes statuts et les mêmes ressources. Il fallait donc faire un exercice pour trouver un moyen terme qui permette à chacun de trouver son compte. L’exercice a été difficile pour trouver l’équilibre entre ceux qui ont besoin de plus de ressources et ceux qui pouvaient s’en passer.
Les ressources qui vous ont été personnellement servies, vous convenaient-elles ?
Je suis allé au CNT dans un esprit de mission et quand on est dans un esprit de mission, c’est avec les moyens de la mission qu’on poursuit les objectifs de la mission. J’ai fait ce que je pouvais faire de mieux avec les moyens mis à ma disposition, y compris mon traitement salarial, les équipements, l’infrastructure…
Est-ce qu’il y a eu des députés qui ont été sanctionnés pour des comportements déviants ?
C’aurait été un échec de sanctionner des députés. Nous avons dû parfois demander à comprendre certaines choses qui sont survenues. Je peux vous assurer qu’à ma connaissance, personne ne méritait d’être sanctionné. Nous n’avons pas pu établir une faute telle qu’il faille sanctionner. Du reste, notre règlement a prévu tout ce qu’il faut faire, s’il y avait lieu.
« Aujourd’hui, les citoyens de toutes les nations se battent chaque jour pour élargir les espaces de liberté »
On a vu souvent des députés passer le temps à manipuler leurs appareils lors des plénières. Il y avait aussi des absences. Cela ne méritait-il pas des sanctions ?
Nous avons toujours fait des rappels à l’ordre. Des fois où j’ai présidé des séances, j’ai observé qu’il y avait des retards. Il y avait aussi des absences. Il ne faut pas s’en cacher. Mais le meilleur moyen d’obtenir la ponctualité et l’assiduité, c’est certainement la conscience de chacun. La meilleure discipline, c’est l’autodiscipline. Nous avons tout fait pour que l’autodiscipline soit la solution au lieu de la sanction qui pouvait être contre-productive, voire négative.
Comment réagissez-vous aux propos de ceux qui pensent que le CNT n’était pas fondé à voter la loi de finances 2016 ?
On peut avoir plusieurs opinions sur le sujet. La loi de finances est un outil politique. Elle indique les orientations et les choix qui sont faits par un gouvernement. Mais elle indique aussi comment il faut s’approprier les recettes, les voies et moyens de récupérer les ressources financières pour alimenter les projets politiques qui sont en chantier. Cette loi de finances est en réalité le couronnement de l’effort de la Transition parce que son absence aurait montré que nous sommes dans un Etat chaotique à qui on peut imposer tout à tout moment.
Qu’est-ce qui fonde par exemple un agent public à percevoir de l’argent au titre des taxes et impôts, si ce n’est la loi de finances ? Si l’on ne veut pas donner des choses contraires à la normalité vers laquelle on va, c’est d’abord de prendre cette loi qui se présente comme une proposition. Un acte majeur comme l’acte de voter la loi de finances est inscrit spécialement dans les attributions d’un organe législatif. Vous ne pouvez pas laisser une maison où on peut prendre l’impôt chez tout le monde sans mandat du peuple. Dans tous les cas, ceux qui vont nous succéder savent ce qui leur reste à faire.
Avez-vous été surpris par le coup d’Etat du 16 septembre 2015 ?
On est toujours quelque part un peu surpris parce qu’on a confiance que les uns et les autres sont raisonnables et que visiblement, dans le contexte international que nous connaissons, les coups d’Etat ne sont pas du tout les bienvenus. Aujourd’hui, les citoyens de toutes les nations se battent chaque jour pour élargir les espaces de liberté et donc avoir plus de regard sur les gouvernants et choisir qui ils veulent pour les diriger. Le coup d’Etat, par définition, est la négation de tout.
Est-ce qu’il avait des signes qu’un putsch pouvait intervenir pendant la Transition ?
Il y a toujours des signes avant-coureurs dans toute explosion comme il en a été le cas. Mais notre espoir était que les autres étaient aussi sensés et qu’ils ne franchiraient pas le Rubicon. Il y avait des signes de nervosité mais tous les signes de nervosité ne débouchent pas forcément sur des coups d’Etat.
Comment expliquez-vous qu’une partie de l’armée décide de mettre au pas tout le monde et de cette manière ?
Les erreurs sont humaines. Comme vous me posez cette question, je vous demande également comment se fait-il que l’ancien régime soit arrivé à penser qu’il pouvait modifier l’article 37 et continuer comme avant ? Ce sont des erreurs d’appréciation très graves. Tout comme toute une équipe dirigeante a fait l’erreur d’appréciation de penser qu’elle pouvait modifier l’article 37 dans la totale impunité et le silence ou la résignation d’une jeunesse déjà échaudée par les injustices au quotidien.
Où étiez-vous pendant le putsch ?
Je suis militaire et j’étais avec la hiérarchie militaire dans les instances où on prépare et réfléchit à des réactions appropriées à la situation créée d’alors. Donc, j’étais bien à l’endroit où je devais me trouver en tant que militaire.
Avez-vous pensé à un moment que le coup d’Etat était consommé et qu’il fallait laisser les putschistes gérer leur affaire ?
Je vous ai dit qu’on avait espoir que le bon sens prévaudrait toujours et que les gens qui avaient des manifestations de nervosité, allaient se ressaisir. Quelqu’un qui est au CNT croit à la démocratie. Si j’ai accepté d’être au CNT, c’est parce que je crois que la démocratie est une bonne chose pour notre peuple. Je ne peux donc pas accepter qu’on remette en cause cette démocratie. Je ne me suis jamais découragé et je pensais que la résistance pouvait et devait toujours aboutir. L’histoire des peuples le démontre.
Est-ce qu’à la suite de ce putsch manqué, les mentalités ont évolué positivement au sein de l’armée ?
Le putsch était un choc. Maintenant, quel va être la dimension de ce choc ? Peut-être qu’il faudrait encore du temps pour en évaluer l’impact mais ce qui est sûr, notre armée a convaincu de son caractère républicain. Ce qu’il faut souhaiter, c’est que cette valeur soit partagée à travers les futures générations de militaires.
Comment expliquer que des soldats aient eu l’idée de faire évader le général Diendéré ?
Je crois que les enquêtes continuent. Peut-être qu’il ne serait pas opportun d’évoquer un certain nombre de faits qui pourraient entraver le déroulement de l’enquête. S’il y a des gens qui pensent qu’ils peuvent faire libérer quelqu’un de cette façon, c’est encore une leçon que nous sommes encore en devoir de continuer notre éducation civique. Les prisons sont des lieux créés par la loi. Et c’est la loi qui permet d’y détenir un citoyen. Même les simples garde-à-vue sont très encadrées. Vouloir faire évader quelqu’un, si tel était le projet que vous évoquez, cela nous indique le fossé d’incivisme que nous vivons. Il faut obéir à la loi dans toute sa rigueur et ce serait mieux pour tous, civils comme militaires.
Après le CNT, quelle sera votre occupation ?
Je suis militaire et je vais retourner dans l’armée où mes chefs vont m’employer parce qu’il y a énormément de travail. Nous avons beaucoup de défis à relever.
Est-ce que l’expérience du CNT ne vous donne pas envie de faire la politique ?
Je n’ai pas envie de mener en tenue une activité que moi-même j’ai déclarée illégale. Lorsque j’estimerai que la tenue ne me va plus, je la déposerai. Mais je reste un patriote. Si je suis appelé sur un champ de bataille, si mes chefs ont besoin de moi, je suis toujours disponible.
Quels sont vos vœux pour la nouvelle année, pour le peuple burkinabé ?
Je formule des vœux de paix, de santé et de prospérité pour tous les Burkinabè vivant sur le territoire comme à l’étranger. Je souhaite que la réconciliation nationale soit notre plus grand bien en 2016 et que la jeunesse burkinabè puisse enfin être associée et intégrée à l’appareil productif national. Que Dieu bénisse le Burkina Faso.
Propos recueillis par Michel NANA
Qui est le Colonel-major Nombré ?
Le Colonel-major Nombré est burkinabè. Il est né et a grandi au Burkina Faso. Il a fait l’essentiel de son cursus scolaire à l’Ecole Ouagadougou Centre jusqu’en 1973, puis au Prytanée militaire de Kadiogo (PMK) de 1973 à 1980. Après avoir fait le Droit à l’Université de Ouagadougou à l’issue de quoi il a eu une bourse militaire pour sa formation d’officier, il est allé au Maroc avec ses collègues à l’époque, et 3 ans après, il est revenu au Burkina, en 1984, où il a été nommé sous-lieutenant. C’est ainsi que sa carrière militaire a été lancée. A partir de 1984, il a été affecté dans la majorité des grandes garnisons du pays. De 1989 à 1990, il a assumé la fonction de Haut-commissaire de la province du Houet. Puis, l’officier rejoint l’Armée pour faire le stage d’état-major en Tunisie en 1995 et assumer diverses fonctions. Il a notamment assumé la fonction de commandant du PMK de 1999 à 2004. Puis, il lui a été confié le commandement des Ecoles et centres de formation jusqu’en 2008. Il est allé ensuite faire l’Ecole de guerre au Nigeria pendant un an. Il y est reparti pour faire un master en sciences politiques, option études stratégiques. Il est rentré au pays en 2009 et a servi comme Directeur des études et de la planification (DEP) au ministère de la Défense et des anciens combattants, puis Directeur de la coopération militaire et de la défense, toujours au ministère de la Défense. Il a été nommé en mai 2013 comme Secrétaire général de la Défense nationale en remplacement du Général de Division Kouamé Lougué qui était admis à la deuxième section. C’est de ce poste qu’il a été désigné par ses supérieurs hiérarchiques dans le cadre de la représentation des Forces de défenses et de sécurité au CNT.