CONDAMNATION D’ANCIENS CACIQUES EN ALGERIE
Après la chute du président Abdelaziz Bouteflika sous la pression de la rue, c’est à une véritable opération mains propres, peut-on dire, qu’ont procédé les très contestées autorités intérimaires algériennes. En effet, après l’arrestation, en fin mars dernier, à la frontière tunisienne, du chef de la plus grande organisation patronale du pays, qui cherchait à prendre la poudre d’escampette, les autorités intérimaires ont lancé une vaste opération anticorruption principalement dirigée contre l’oligarchie du régime déchu ; ce qui a abouti à l’interpellation, entre autres, de quatre frères milliardaires, les frères Kouninef. Et ce n’est pas tout. Deux anciens Premiers ministres que sont Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal ont été placés sous mandat de dépôt, le 13 juin 2019. Ils sont tous poursuivis pour corruption et abus de biens publics. Ils ont été condamnés, hier, 10 décembre 2019, à des peines d’emprisonnement lourdes. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’en s’attaquant à ces hautes personnalités du régime déchu, les autorités intérimaires veulent poser des actes forts dans le but de s’attirer la sympathie et la confiance du peuple. Mais c’est un peu vite oublier que pour avoir été elles-mêmes au cœur du système aujourd’hui vomi par les Algériens, elles ont besoin de montrer patte blanche devant le peuple insurgé qui veut tourner définitivement la page Boutef. C’est donc dire qu’à l’étape actuelle de la situation, elles ne sont pas les mieux placées pour mener ces poursuites et condamnations. En tout cas, tout porte à croire que plus que de légitimité, c’est de crédibilité que Gaïd Salah et les siens ont besoin dans cette chasse aux ripoux, devant les Algériens. Et la cause sera toujours loin d’être gagnée, tant que les contestataires verront en eux une survivance du régime déchu.
Il est difficile de dire si ces mesures cosmétiques suffiront à calmer la colère de la rue
C’est pourquoi avant d’aller plus loin dans le nettoyage des écuries de… Boutef, les autorités intérimaires gagneraient à faire un mea culpa sincère en cessant de tourner autour du pot pour faire place aux revendications du peuple algérien qui aspire à un changement en profondeur et leur demande de débarrasser le plancher pour laisser la place à des hommes nouveaux. Cette remise en cause est d’autant plus nécessaire que dans la configuration actuelle de la transition au forceps imposée par la Grande muette, ceux qui ont entrepris cette purge et ceux qui sont poursuivis, passent tous, aux yeux des Algériens, pour les moutons d’une même bergerie. C’est dire si au-delà de la valeur pédagogique de cette opération anticorruption, il est difficile de dire si ces mesures cosmétiques suffiront à calmer la colère de la rue. En tout état de cause, s’il n’est pas aisé de remettre en cause l’opportunité de cette opération mains propres après la chute du régime de Boutef, il importe qu’elle soit sous-tendue par un esprit de justice pour que les choses ne virent pas aux règlements de comptes ni à la chasse aux sorcières. A moins que cette opération de salubrité publique ne soit tout simplement une stratégie de diversion de la classe politique ou d’affaiblissement du régime déchu par des autorités intérimaires qui cherchent visiblement à sauver leur tête, dans l’optique de mettre sur orbite l’un des leurs dans la perspective de la prochaine présidentielle. L’histoire nous le dira. Mais au-delà de l’Algérie, cela doit servir de leçon à tous ceux-là qui sont prompts à lier étroitement leur destin à celui des régimes en place. Car tant que ceux-ci sont forts, ces barons n’ont souvent pas de souci à se faire, mais le revers de la médaille peut parfois avoir un effet boomerang.
« Le Pays »