CONDAMNATION DE HISSENE HABRE : La chute définitive d’un Pinochet africain
Le verdict tant attendu du procès de l’ex-président tchadien, Hissène Habré, est tombé hier, 30 mai 2016 à Dakar. Jugé pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité, actes de tortures et autres viols, l’ex-homme fort du Tchad a été condamné à la perpétuité par les chambres africaines extraordinaires, après huit mois d’un procès marathon, qui aura tenu en haleine l’Afrique tout entière. Et pour cause, c’est la première fois qu’un dirigeant du continent est jugé par des Africains, sur le sol africain. Un pari qui était loin d’être gagné d’avance, tant les embûches ne manquaient pas. A commencer par les moyens financiers qui étaient loin d’être réunis pour la tenue effective de ce procès. Sans oublier le statut d’ancien chef d’Etat du prévenu qui aura aussi usé de toutes sortes de subterfuges pour se soustraire à la justice, allant de la récusation de la cour au refus de répondre aux convocations des juges, avant de se retrancher dans un silence absolu dans le but de mettre à mal le travail de la Cour. Le challenge n’était donc pas des moindres. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le défi a été relevé, avec brio même, d’autant plus que le verdict a été à la hauteur des attentes des parents des victimes, à en juger par les cris de joie qui l’ont accueilli. De ce point de vue, l’on peut dire que c’est mission largement accomplie pour le juge Kam et ses collaborateurs qui auront prouvé à la face du monde que l’Afrique est aussi capable de tenir les procès de ses fils égarés sur son sol, de façon efficace. Mieux, que les Africains peuvent faire confiance en leur justice. Pour en revenir au verdict lui-même, il est non seulement historique en ce sens qu’il est sans précédent sur le continent, mais aussi a une haute portée pédagogique. Car, il servira d’avertissement à toutes ces têtes couronnées et autres hommes prétendument forts du continent, qui, profitant de leur position d’autorité, pensent bien souvent à tort qu’ils ont droit de vie et de mort sur leurs compatriotes. C’est pourquoi il est heureux que du haut de sa tour d’ivoire, la responsabilité de ce Pinochet africain ait été reconnue et établie dans les faits qui lui sont reprochés. Preuve que tôt ou tard, chacun finira par répondre d’une manière ou d’une autre, de ses actes ici bas.
Yes, Africa can! Les dictateurs du continent n’ont qu’à bien se tenir
Le 30 mai 2016 est donc un grand jour pour l’Afrique car, ce procès, en lui-même, est une sorte de victoire du peuple sur la dictature, du faible sur le fort. Mais c’est aussi le procès de la persévérance et de la détermination : d’une part des victimes qui se sont engagées dans ce combat depuis plus d’une décennie et qui n’ont jamais baissé les bras, et d’autre part d’une Cour qui a réussi à mener ce procès jusqu’à son terme, malgré les multiples embuches, tentatives de diversion et autres stratégies de victimisation adoptées par l’ex-homme fort du Tchad pour ne pas répondre de ses actes. Cela n’a pas prospéré. Au contraire, en choisissant de ne pas collaborer, Hissène Habré s’est tiré une balle dans le pied en s’attirant les foudres de la Cour qui aura vécu son attitude comme un « mépris insultant ». Mais cela est le propre des dictateurs qui pensent qu’ils n’ont de comptes à rendre à personne. En tout cas, Hissène Habré a eu ce qu’il méritait. S’il a volontairement choisi de ne pas parler, il ne peut s’en prendre qu’à lui-même. Sa stratégie n’a pas prospéré. Son silence en lui-même n’était-il pas un aveu de culpabilité ? En tout cas, il n’est pas à plaindre. Car lui au moins aura eu la chance d’avoir droit à un procès, contrairement à beaucoup de ses victimes dont certaines ont été froidement envoyées ad patres. C’est donc l’épilogue d’un long feuilleton judiciaire, la fin d’une longue attente qui marque aussi le début d’un espoir. Celui de la fin de l’impunité. Dans ce sens, l’on peut dire qu’un grand pas a certes été fait, mais le combat reste encore long. Car, si l’espoir de bien des Africains est de voir d’autres satrapes du continent répondre de leurs actes devant de telles juridictions, il reste que, d’un certain point de vue, une telle décision reste tributaire de la volonté de nos têtes couronnées. C’est pourquoi il faut aussi reconnaître à Macky Sall le mérite qui lui revient, d’avoir œuvré à rendre possible la tenue de ce procès dans les conditions que l’on sait. Surtout quand on voit le traitement réservé par son prédécesseur Abdoulaye Wade, au dossier. C’est en cela que l’on peut dire que ce procès découle aussi des bienfaits de la démocratie et de l’alternance. Toutefois, ce combat est loin d’être gagné d’avance. Car, l’on voit mal les têtes couronnées du continent venir se livrer de bonne grâce, pieds et poings liés, à une Cour de justice, fût-elle africaine, qu’ils n’auraient aucun moyen de contrôler. C’est pourquoi, l’on peut dire que les Chambres africaines extraordinaires sont un signal fort, une expérience porteuse d’espoirs, qui devrait inspirer les Africains à se doter de tribunaux permanents du genre. Comme par exemple la Cour africaine de justice, qui a seulement besoin d’être plus opérationnelle avec des moyens conséquents et des textes encore plus clairs. En tout cas, ce ne sont pas les dossiers qui manquent sur le continent. Aujourd’hui, c’est Hissène Habré. Demain, à qui le tour ? En tout état de cause, l’Afrique semble aujourd’hui engagée dans un processus irréversible auquel il sera de plus en plus difficile de résister. Il faut seulement espérer qu’il se poursuivra et se renforcera avec la prise de conscience de plus en plus grande des peuples Africains. Yes, Africa can! Les dictateurs du continent n’ont qu’à bien se tenir.
Outélé KEITA