CONDAMNATION DES ASSASSINS DE ROBERT GUEI : Un pas vers la réconciliation nationale ?
Après trois mois de procédure judiciaire marquée de poignantes joutes oratoires et de passes d’armes entre les parties, le procès des assassins de l’ex-chef de la junte militaire ivoirienne, le Général Robert Gueï, a connu son épilogue aujourd’hui. Les inculpés, comme on devrait légitimement s’y attendre, écopent de lourdes peines et ce n’est que justice rendue. Les exécutants paient pour leurs actes dans ce crime odieux qui a ému plus d’un par son atrocité et sa bestialité. Gueï et sa famille ainsi que sa garde rapprochée, comme un cheptel, ont été décimés et leurs corps jetés en pâture. La vie humaine est sacrée et ses prédateurs, quelles que soient les raisons, devraient répondre de leurs actes. Au-delà de la justice rendue, la fin de ce procès sonne comme une catharsis sociale pour la Côte d’Ivoire qui solde ainsi ses comptes avec l’histoire. C’est pourquoi ce procès est un pas supplémentaire vers la réconciliation nationale, car il apaise les cœurs et nourrit l’espoir que tous les autres crimes qui ont souillé les eaux de la lagune Ebrié ne resteront pas impunis. Et les notes d’optimisme ne manquent pas. En effet, le tribunal militaire d’Abidjan dit travailler ainsi à l’ouverture d’une enquête sur le «commando invisible», du nom de cette milice pro-Ouattara dirigée à l’époque par Ibrahim Coulibaly alias IB, et accusée de plusieurs crimes, souvent atroces, perpétrés dans la commune d’Abobo entre janvier et avril 2011. Le procès des assassins de Robert Gueï a surtout une importante valeur pédagogique. Les Ivoiriens et au-delà les Africains, apprennent que quelles que soient les dissensions politiques, celles-ci ne doivent pas être tranchées par les armes. Les populations en ont fait l’amère expérience avec la banalisation jamais atteinte de la vie humaine dans l’épisode tragique qui a suivi l’assassinat de Robert Gueï, de la partition du pays à la crise post-électorale.
La vie des Etats n’est pas celle des hommes
On ne peut pas s’empêcher d’établir le parallèle entre ce verdict du Tribunal militaire d’Abidjan et le procès en cours à la CPI à la Haye. La condamnation des assassins de Gueï enfonce davantage le président Gbagbo. Les inculpés sont, on le sait, tous des membres influents de la galaxie Gbagbo, notamment le général Bruno Dogbo Blé, à l’époque puissant patron de la Garde républicaine et le commandant Anselme Séka Yapo (dit Séka Séka), ancien responsable de la sécurité de l’ex-première dame Simone Gbagbo. Même si le tribunal n’est pas arrivé à démasquer tous les commanditaires, on peut tout au moins dire sans risque de se tromper que c’est à Gbagbo qu’a profité l’assassinat de Gueï. S’il ne l’a pas ordonné, il en a été au moins informé. Son absence du pays au moment des faits n’est qu’un faux alibi et un argument éculé par la pratique. On l’a souvent vu, au Burkina Faso, avec Blaise Compaoré absent du pays pendant toutes les grandes tragédies de son règne. Toutefois, il faut craindre que ce procès ne vienne approfondir le fossé entre les pro-Gbagbo et les pro-Ouattara. Les premiers y verront encore l’expression d’une justice des vainqueurs qu’ils ont toujours décriée, mais ils devraient se rendre à l’évidence que la vie des Etats n’est pas celle des hommes, et que tôt ou tard, même les pro-Ouattara devront répondre de leurs actes. Si ce n’est sous le régime de Ouattara, ce serait sous un autre. Et la sagesse africaine nous enseigne ceci : « lorsque le sorcier finit de manger les enfants des autres, il finit par se retourner vers ses propres enfants.»
SAHO