CONSOMMATION DE LA DROGUE : Des élèves accros racontent
Ils ont entre 18 et 20 ans. Leurs points communs : ils sont jeunes ; ils sont camarades ou copains; ils fréquentent le même QG (quartier général) et surtout, ils fument la drogue. Cette drogue, c’est en général le cannabis. Pour nous entretenir avec eux, il nous fallait un intermédiaire qui, à son tour, devait les persuader quant à la confidentialité sur leur identité. Première règle : pas de nom, pas d’images. Seconde règle : nous devons payer le « service » qu’ils vont nous rendre. Combien ça va coûter ? Lisez.
Le premier rendez-vous est programmé un week-end à 18h00 dans le quartier de résidence de la bande à Ouagadougou. A l’heure pile, nous sommes en place mais nous ne voyons ni l’intermédiaire ni les trois éléments de la bande qui doivent échanger avec nous. Après une longue attente, notre téléphone sonne. C’est notre intermédiaire qui appelle pour nous rassurer que les « amis » sont en route. C’est finalement à 21h 45 que notre téléphone sonne de nouveau. Ils sont là. Les éléments annoncés ne sont pas tous au rendez-vous. Un manque à l’appel. Le lieu du rendez-vous est sombre. Après les salutations d’usage et de petites taquineries, la conversation peut commencer.
Les premiers mots de nos deux jeunes sentent le business. « Nous sommes prêts à vous aider à faire un bon article », avec un sous-entendu : si nous acceptons de mettre le prix. Nous proposons de leur donner l’argent de l’essence. Pour nous donner un exemple, ils évoquent le cas de « gos » qui passent souvent dans leur QG situé aux abords d’un mur d’une propriété de religieuses catholiques. « Quand certaines « gos » viennent dans notre QG, nous racontent-ils, elles nous payent à boire, à fumer et à manger. Chacune peut dépenser 10 000 francs CFA pour entretenir notre QG, le temps d’une soirée ». Avec un tel exemple, nous comprenons ce que nos partenaires d’une nuit nous demandent. En tout cas, le tarif est fixé. Nous sommes tout de même séduits par leur « gentillesse » et leur « sérénité » car dans notre imaginaire, nous nous attendions à de véritables « bad boys ».
Comment des jeunes de leur âge peuvent-ils se permettre de consommer de la drogue ? « Cela dépend de beaucoup de choses », c’est leur première réponse. Les explications ne vont pas tarder. « Ça commence souvent en famille où les ados vivent des problèmes, incompris des parents. Ces parents n’ont pas la bonne méthode pour accompagner leurs enfants qui atteignent l’âge de l’adolescence. Ils sont violents, menaçants, nerveux. Dans une partie des familles de ceux qui fréquentent notre QG, les deux parents ne s’entendent pas. Les relations de papa et maman constituent un enfer pour tous les membres de la famille. Dans une situation pareille, les enfants se cherchent. Ils se trouvent des refuges », nous confient-ils. Un de nos interlocuteurs est orphelin de père. Depuis la mort du papa (un cadre de l’administration publique du Burkina Faso), la vie est devenue cauchemardesque. La maman n’a pas d’emploi et doit nourrir la famille. Ce qui n’est pas chose aisée. Dans la lutte pour trouver de quoi nourrir ses enfants, la maman a fini par devenir un « cas ». Elle passe son temps dans les maquis et bars où elle a l’habitude de se bagarrer avec les « petites filles » pour des histoires de « gars ». Il arrive des moments où on la bastonne et l’insulte au maquis. Et la maman conduit parfois ses copains à son domicile. Face à cette vie de débauche, les deux fils ont perdu le fil. Ils sont tous devenus accros de la cigarette et l’un d’eux s’est, en plus, mis dans la drogue. Ce dernier est un garçon peu bavard, calme. Il garde secrets tout ce qu’il a et tout ce qu’il vit pour lui seul. Ou du moins, il en parle uniquement à ses camarades du QG.
L’école, un lieu de recrutement de drogués
Selon nos deux interlocuteurs, les premières motivations pour les adolescents à prendre la drogue partent de la famille, puis du quartier où certaines fréquentations vous mettent dans le circuit. Les établissements scolaires constituent des espaces de recrutement des consommateurs de drogue. « Quand elles, (les bandes de trafic et de consommation de la drogue), veulent vous recruter, elles vous expliquent que c’est moins dangereux de prendre la drogue que de fumer la cigarette », nous racontent les deux adolescents. L’autre argument, c’est que prendre la drogue vous met dans la sérénité, la tranquillité et dans l’insouciance la plus totale. La drogue vous permet, disent-ils, de vous élever au-dessus des problèmes de tout genre.
Quelle drogue prennent les ados et quel est leur circuit d’approvisionnement ? Nos « amis » nous racontent qu’en général, ils fument le cannabis. Problème : cette drogue dégage une odeur qui peut alerter les gens. Alors, ils s’orientent vers des types de drogues inodores et qui coûtent moins cher. A 25 ou 100 francs CFA, les ados ont de quoi satisfaire leur besoin. Il y en a également à 3 000 F CFA mais « ça, c’est pour ceux qui ont les moyens », disent-ils. Le kilo de cette drogue s’achète entre 70 000 et 80 000 francs CFA.
Lisez les propos d’un ado de la classe de Terminale dans un établissement scolaire de la ville de Ouagadougou : « La compresse (vendue par kilo) : elle est découpée et conditionnée en plaquettes. C’est du cannabis frais, fortement compressé en blocs. Elle doit se conserver au frais pour garder toute sa saveur. On y ajoute souvent une substance forte comme le rhum des alcools. Sa fumée est très légère et forte. Comme elle est forte, elle fait tousser. Plus on tousse, plus on mesure sa « bonne » (la bonne qualité) comme on le dit dans le jargon. En plus de la compresse, il y a la sheat (shite). C’est de la résine de cannabis. Elle coûte plus cher et a l’apparence du chocolat. Elle se fume avec du cannabis ou mélangée à de la cigarette. Elle provient du Maroc et généralement des pays arabes. Dans la liste, on retrouve les « feuilles à rouler ». Elles sont commercées devant les hôtels de Ouagadougou par les vendeurs de cigarette. C’est un conditionnement de 33 feuilles qui s’achètent à 500 francs CFA. On retrouve également les «bad boys ». Ce sont des papiers à calque (couramment appelés calcaires et utilisés pour les dessins). Les papiers à calque sont conditionnés en deux ou trois avec du cannabis. Le prix est de 25 francs CFA. Enfin, il y a le caillou ou cail ou encore appelé caillasse. Il est consommé par ceux qu’on appelle les junkies (les dépendants de la drogue). Un gramme du caillou coûte 30 000 francs CFA). Les trafiquants de cette drogue sont protégés par les gourous. Il est composé d’héroïne mélangée de sulfate de sodium. Il est vendu dans une boîte de comprimés. La plus petite unité coûte 3000 francs CFA ».
Les coûts, même souvent hors d’atteinte, n’effraient pas les élèves et adolescents consommateurs. Dans un tel milieu, la solidarité ne s’économise pas si fait que ceux qui ont les moyens en font profiter aux autres.
Sur la question de l’approvisionnement
Les grossistes recrutent des « petits » (agents commerciaux) ; ces derniers se chargent de ventiler la drogue dans les quartiers et dans les établissements scolaires dans les lesquels ils recrutent leurs clients. Dans les établissements scolaires, les agents commerciaux se déguisent en élèves. Même parmi les élèves, on compte des agents commerciaux. En plus des « petits » commerciaux, il y a les « motards » (nos interlocuteurs les désignent par « ceux qui sont à moto »). Ces derniers écument les quartiers et les établissements pour vendre la drogue aux ados. Ce sont en général des personnes « responsables » (ayant une famille en charge et faisant de la vente de la drogue une activité génératrice de revenus). Au sein des distributeurs, on compte des jeunes, souvent habillés en costumes, souvent en « yôyô » qui sont toujours à pied. Seuls les initiés peuvent les reconnaître et ils n’acceptent vendre la drogue qu’à ceux qu’ils connaissent.
Les ados et les effets néfastes de la drogue
Les enfants qui se droguent ont pleinement conscience des effets néfastes du produit sur leur organisme et leur vie. « Ceux d’entre nous qui prennent la drogue et ne mangent pas assez ont des problèmes de santé », nous raconte par la suite un membre du QG. Il ajoute que la « drogue enlève l’envie d’aller à l’école, celle d’apprendre les leçons et détériore la mémoire ». Avant qu’un autre renchérisse : « Tu apprends tes leçons la nuit ; tu les récites aisément mais le lendemain, tu n’as plus rien dans la tête. C’est la conséquence de la drogue ».
Mais paradoxalement, les adolescents drogués (garçons et filles) ont des rêves et des ambitions. Au fond de leur dépendance à la drogue, et comme tous les jeunes de leur âge, ils veulent réussir à l’école, avoir de l’emploi, entre autres. Leurs rêves et ambitions sont-ils compatibles avec leur habitude de consommer la drogue ? A cette question, ils observent un long temps de silence, jettent le regard ailleurs et reviennent vers vous, ne sachant quoi répondre.
Dans la nuit glaciale, notre conversation va bon train. Le temps passe. A 23h, nous sommes toujours là. Certains membres du QG ne voyant pas leurs camarades s’inquiètent et finissent par appeler. « Ne vous inquiétez pas, on gère une affaire », nous rassérène un de nos interlocuteurs. A 1h13 du matin, on finit de se parler. On peut enfin se quitter. Rendez-vous est pris pour le lendemain nuit où nous serons présentés à tous les membres du QG lors une soirée arrosée de cigarette, de drogue et des brochettes. Dans les faits, ce fut une soirée d’ambiance étrange entre les membres du QG et leur hôte, le journaliste que nous sommes.
Michel NANA avec la collaboration de Afroline (Italie)
L’usage de la drogue continue de faire de terribles ravages, entraînant la perte de précieuses vies humaines ou de nombreuses années de main-d’œuvre. Le nombre de décès liés à la drogue déclarés en 2012 atteindrait, selon les estimations, 183 000 (ou un chiffre situé entre 95 000 et 226 000), ce qui correspond à un taux de mortalité de 40 décès (entre 20,8 et 49,3) pour un million de personnes chez les 15 à 64 ans. C’est moins qu’en 2011, mais cette baisse peut s’expliquer par la diminution du nombre de décès signalés par quelques pays asiatiques. A l’échelle mondiale, on estime qu’en 2012, entre 162 millions et 324 millions de personnes, soit entre 3,5 % et 7,0 % de la population âgée de 15 à 64 ans, avaient consommé une drogue illicite – généralement une substance de type cannabis, opioïde, cocaïne ou stimulant de type amphétamine – au moins une fois au cours de l’année écoulée.
Source : Rapport mondial 2014 sur la drogue