CONSTRUCTION DE LOGEMENTS SOCIAUX A OUAHIGOUYA : Les acteurs à couteaux tirés
300 logements sociaux doivent être construits à Ouahigouya, dans le cadre du programme national de construction de 40 000 logements sociaux du gouvernement. Lors de la dernière session ordinaire de l’année 2017 du conseil municipal de Ouahigouya, une délibération portant cession d’un terrain de 27 ha sis dans la zone de promotion immobilière pour la construction de 300 logements sociaux à Ouahigouya, a été adoptée à l’unanimité. Depuis lors, entre les propriétaires terriens, la mairie et la direction régionale de l’urbanisme, les acteurs sont à couteaux tirés. Quels sont les points de blocage ? va-t-on respecter la loi ou la volonté des propriétaires terriens ?
La zone de promotion immobilière de la commune de Ouahigouya se situe entre les secteurs 2 et 11 de la ville. Conformément au plan de la ville fait en mai 2003, cette zone est limitée au Nord par l’avenue de Banfora (dans les secteurs 3 et 13), au Sud par la zone lotie du secteur 11, à l’Ouest par le secteur 12 et à l’Est par le secteur 1. Selon la mairie, cet espace de 27 ha qui est aujourd’hui attribué au ministère de l’habitat et de l’urbanisme pour la construction des logements sociaux, appartenait préalablement à l’agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (ASECNA) aujourd’hui délocalisée à Rapougouma, à 12 kilomètres de la ville, sur la N23. « En 2009, lors des recensements du 11- décembre, nous (membres du bureau du conseil municipal) avons été pour traiter de la question de cet espace avec le Gouverneur. Il nous a simplement dit que c’est la zone de l’ASECNA et que la mairie n’y avait rien à voir. Ce jour-là, nous avons coulé des larmes. Voilà les conséquences aujourd’hui ! », s’est indigné le 2e adjoint au maire de Ouahigouya, Mady Ouédraogo. Les propriétaires terriens ne l’entendent pas de cette oreille. Pour eux, cela n’est qu’une mauvaise surprise. « A notre grande surprise, on nous informe que nous devrons prendre des dispositions pour libérer l’espace car l’ASECNA a besoin de son terrain. Mais, nous ne savions pas que l’ASECNA a récupéré nos terres d’autant plus qu’aucun vieux de Gondolgo, du secteur n°2 ou encore de Oufré n’a reçu un document lui signifiant cela », se défend Omar Ouédraogo (communément appelé Omar de Oufré). Réunis en commission, les propriétaires terriens des quartiers Bobossin, Bangrin, Gondolgo et Oufré ont demandé à ce que des documents juridiques attribuant leur espace à l’ASECNA leur soient fournis. Mieux encore, ils demandent aux autorités de fournir la liste de tous ceux qui auraient été dédommagés lors de l’attribution, vu le retrait de leur terrain au profit de l’ASECNA. Selon l’autorité communale, le terrain a été dédié zone aéroportuaire au moment où les textes faisaient des terres la propriété de l’Etat. « Ils nous font croire que le terrain appartient à l’ASECNA et que de plus, nos grands parents avaient été dédommagés. Nous avons demandé des documents qui attestent que non seulement l’espace appartient à l’ASECNA et une liste de ceux qui auraient été dédommagés en son temps. Et là, ils disent qu’en son temps, la terre appartenait à l’Etat et que des gens avaient été dédommagés juste pour des considérations d’ordre social », nous a relaté Joseph Ouédraogo, rapporteur des propriétaires terriens. Mais la réponse de la direction régionale de l’habitat et de l’urbanisme est laissée à l’interprétation de chacun : « C’est une situation de fait que la zone appartient à l’ASECNA. Il y a des choses qu’ils ne maîtrisent pas. Si nous passons au sens juridique de la loi, on risque de tout bloquer », nous a-t-on confié.
« Nous ne rejetons pas le projet, mais nous disons non à la compensation de 2 parcelles à l’hectare »
Pour éviter de tout bloquer, il faut que des concessions soient faites. Toutefois, le maire de Ouahigouya, Boureima Basile Ouédraogo sans rejeter les considérations d’ordre social, se veut légaliste : « Dans le cadre du Plan d’occupation des sols (POS) de la commune, on a identifié un site dédié à la promotion immobilière. Et l’Etat a décidé de réaliser des infrastructures pour les logements sociaux. Mais les problèmes de terre sont très complexes, à partir du moment où la terre appartient aux propriétaires terriens. » C’est justement au vu de la complexité de la question que des pourparlers sont en cours. Selon une correspondance datant du 14 février 2018, que les propriétaires terriens ont adressée à la fois à la mairie et à la direction régionale de l’urbanisme, ils estiment être exclus de la procédure. Dans cette logique, ils égrènent tout un chapelet de doléances. «Les propriétaires terriens demandent à faire partie de la commission qui a été mise en place par la mairie et la direction de l’urbanisme, et que la moitié de leurs terres soit attribuée avant la construction des logements sociaux. », ont- ils écrit. Des échanges sont donc en cours, mais les points de blocage sont multiples. C’est, du reste, ce qu’a affirmé le 2e adjoint au maire, Mady Ouédraogo : « Pour le moment, nous n’avons pas d’entente sur plusieurs points. Surtout sur le nombre de parcelles à concéder à l’hectare. Mais les 2 parcelles à l’hectare que nous avons proposées au départ, ont été discutées en conseil municipal. Les propriétaires n’ont pas été exclus. Nous avons inclus les CVD et les conseillers municipaux».
S’il faut marcher, nous allons marcher
A la date du 10 avril, la mairie a demandé l’indulgence de la population pour le démarrage des travaux tout en continuant le dialogue. Du côté de la population, c’est le qui-vive. La doléance municipale a eu une fin de non-recevoir. Pour l’Imam Amadé Ouédraogo de Oufré, « Nous ne sommes pas contre le projet. Mais Si on prend toutes ces terres sans rien me donner, que ferai-je de mes 6 enfants qui ont aujourd’hui tous l’âge de se marier ? Lors du 1er lotissement, moi je n’ai rien eu de particulier. Si l’ASECNA a dédommagé des gens, moi je ne suis pas au courant ». La position des paysans est claire. Il n’est pas question de se contenter de 2 parcelles à l’hectare. « Vu la taille de nos familles, et le système de gestion des terres, que ferons-nous des 2 parcelles. Cela ne va-t-il pas amener la division dans les familles ? S’il faut marcher, nous allons marcher. Si la mairie refuse … à moins qu’on ne nous fasse la force… Et ils vont marcher sur notre sang pour construire leurs logements», a lancé le rapporteur des propriétaires terriens, Joseph Ouédraogo. A la direction régionale de l’habitat et de l’urbanisme, face à ce sujet, le mutisme gagne du terrain. Néanmoins, sous couvert d’anonymat, on confie : « Nous n’avons pas, pour le moment, arrêté les compensations et je ne voudrais pas m’aventurer sur ce terrain, de peur de bloquer les discussions. Actuellement, c’est le qui-vive. Tantôt il faut arrêter, tantôt il faut continuer, c’est difficile. Selon la loi, la zone a été consacrée comme zone de promotion immobilière. Notre base légale, c’est le schéma d’aménagement urbain.». Du côté de la municipalité, tout en clamant que le projet n’émane pas de la commune, et estimant que le blocage actuel que connaissent les logements sociaux vient des antécédents, l’on souhaite que le ministère mette de l’eau dans son vin. « Dans les anciens textes, la terre appartenait à l’Etat. Aujourd’hui, la terre appartient à la fois à l’Etat, à la commune et au propriétaire terrien. En 2009, après les recensements du 11 décembre, les paysans n’ont pas été dédommagés. C’est vrai que la zone est destinée à la promotion immobilière, mais si c’est possible, nous souhaitons que le ministère fasse des concessions pour qu’on puisse accorder un espace aux propriétaires terriens sur le site, pour résoudre le problème. ». A quand le démarrage des travaux ? Le temps court et le projet a du plomb dans l’aile.
Patercim BAKOU
1 – Les levées topographiques ont été faites
2 – Mady Ouédraogo implore l’indulgence du ministère de l’Habitat et de l’urbanisme
3 – Une vue de l’espace disputé par les autorités et les propriétaires terriens
4 – Omar Ouédraogo de Oufré : « mon père a fait les papiers du terrain depuis 1972 »
5 – L’Imam Amadé Ouédraogo, natif de Oufré
6 – La zone immobilière sur le plan de la ville de mai 2003
7 – Selon Joseph Ouédraogo, de la famille du chef de Gondologo, « nous allons marcher »