HomeA la uneCORONAVIRUS AU BURKINA

CORONAVIRUS AU BURKINA


Les premiers cas de coronavirus au Burkina Faso ont été déclarés officiellement le 9 mars dernier et depuis lors, on enregistre, jour après jour, de nouveaux cas avec les commentaires et critiques qui vont bon train. Et les pharmaciens n’échappent pas aux critiques pour avoir, dit-on, augmenté les prix de certains produits dont particulièrement le gel et les masques. Pour en savoir un peu plus, nous avons échangé avec le pharmacien Dr Nédié Nao, président du Conseil régional de l’Ordre des pharmaciens du Centre et titulaire de la pharmacie Némadis. De leur rôle face à cette pandémie à leur relation avec le ministère de la Santé en passant par le coût des produits, Dr Nédié Nao n’a pas hésité à se prêter à nos questions. C’était le mardi 17 mars 2020.

Le Pays : Quel rôle joue le pharmacien dans une situation de pandémie telle que celle du coronavirus ?

Dr Nédié NAO : Dans le cas du coronavirus comme toutes les autres situations d’épidémie ou de pandémie, le pharmacien a un rôle très important à jouer. En effet, l’officine pharmaceutique constitue plus ou moins la première porte d’entrée des malades dans notre système de santé. Lorsqu’une personne se lève et a un petit souci de santé, il préfère aller directement en pharmacie. En pareille situation, notre rôle est de sensibiliser les usagers de nos structures par rapport aux directives du ministère de la Santé, même si nous n’avons pas reçu les posters pour aider à la sensibilisation. Mais, nous avons les directives qui ont été édictées. Nous avons aussi pour rôle d’orienter nos usagers et nous le faisons déjà en temps normal pour aller consulter lorsque la demande de conseils à notre niveau dépasse nos compétences ou ce que nous sommes habilités à faire. On va sensibiliser, orienter et même éduquer les populations. Nous mettons également en œuvre la politique sanitaire tout en aidant à faire passer des messages de sensibilisation. C’est ainsi que l’Ordre des pharmaciens a élaboré des posters avec les mêmes messages du ministère de la Santé, pour les afficher devant toutes nos structures pharmaceutiques et contribuer à la sensibilisation du public.

Voulez-vous dire que le ministère de la Santé n’a pas associé l’Ordre des pharmaciens dans l’élaboration de la stratégie de communication ?

En réalité, avec l’urgence de la situation, le secteur privé n’est pas fortement impliqué dans l’élaboration de la stratégie. Dans nos officines, nous avons en moyenne deux cents à trois cents personnes par jour, qui entrent et qui sortent. Cela pouvait être un canal que le ministère de la Santé peut utiliser pour faire passer l’information. Malgré tout, nous avons pris le devant des choses et nous allons élaborer des posters à afficher devant les officines.

Les pharmaciens sont très critiqués ces temps-ci du fait, dit-on, de l’augmentation exagérée du prix des masques et du gel. Pensez-vous que ces critiques sont justifiées ?

Nous avons suivi cela dès que le premier cas a été déclaré le 9 mars 2020. Et dès les premiers moments, même dans les émissions interactives, ce sont les pharmaciens que les gens ont attaqués directement. Avant l’avènement du coronavirus, nous avions des gels dans les officines pharmaceutiques en quantité raisonnable et en fonction des roulements que nous proposions à ceux qui en voulaient et c’est la même chose pour les masques. En terme de gestion de stocks, je ne vais pas stocker des produits que je ne vais pas délivrer. Quand les premiers cas ont été annoncés, le lendemain, ceux qui ne prenaient pas des gels et des masques ont tous afflué dans les officines. Nos petits stocks sont partis en l’espace d’une à deux heures. Les gels et masques ne sont pas fabriqués au Burkina Faso. Tout est importé. Qu’est-ce qui a grimpé aujourd’hui au niveau international pour ceux qui suivent les cours des marchés ? Ce sont les gels et les masques et c’est la loi du marché. Les pharmaciens se sont trouvés dans une situation puisque là où nous nous approvisionnons, les stocks sont épuisés. Les distributeurs en gros ont augmenté les prix et face à cette situation, que faisons-nous ? Ou vous prenez et augmentez les prix en fonction du prix d’achat ou vous refusez de prendre. Nous avons des collègues qui ont pris en essayant de revendre avec leur marge pendant que d’autres ont décidé de ne pas prendre puisque cela allait devenir beaucoup trop cher. Les masques que nous payions autour de 1 400 voire 1 500 F CFA la boite de 50, nous sont vendus à 15 000 F CFA, soit dix fois plus. Il y a des moments où vous prenez et vous rétrocédez plus ou moins aux clients. Lorsque vous dites cela aux gens, ils n’y croient pas alors que les factures sont là en notre possession. Les gens paient cher les gels dehors dans les autres commerces et n’en parlent pas. Mais quand c’est dans les pharmacies, ils disent que les pharmaciens veulent profiter de leur misère. Et des gens font savoir que nous retenons des stocks pour les vendre plus cher. Ce ne sont pas des produits qui sont du monopole pharmaceutique. N’importe quel distributeur en gros peut faire venir ces produits et c’est le cas présentement. Lorsqu’ils savent qu’il n’y en a plus et fixent leurs prix, qu’est-ce que vous pouvez faire ? Nous prenons les gels et les masques du circuit officiel à un prix donné (Prix cession) et les prix publics sont indiqués sur les factures. Rien que le samedi dernier, certains fournisseurs sont passés dans mon officine pour me proposer les gels à 4 000 FCFA l’unité.

Que fait l’Ordre des pharmaciens pour résoudre cette situation ?

Je disais tantôt qu’au niveau international, il y a un problème de gels et de masques. Heureusement, le gel qui est le plus utilisé, ici, est commandé à partir de la Côte d’Ivoire. Les pharmaciens ne sont pas des distributeurs en gros. Certains distributeurs en gros ont fait venir leurs stocks en urgence et ont fixé leur prix qu’on ne peut pas marchander. C’est à prendre ou à laisser. Face à la situation, l’Ordre des pharmaciens a tenu une rencontre pour élaborer un Code de conduite à l’intention des pharmaciens d’officines, pour contribuer à lutter efficacement contre le Covid-19. Il s’agit, entre autres, pour les pharmaciens d’officines, d’apporter les conseils appropriés aux usagers des officines, tenir des séances d’informations et de travail avec les collaborateurs. Contribuer, à travers les mesures préventives, selon les directives nationales de prise en charge de la maladie à coronavirus, à prendre les mesures indispensables pour protéger l’ensemble des collaborateurs et les usagers des officines, procéder, pour ceux qui ont la capacité technique, à la préparation de solutions hydro-alcooliques à travers la procédure communiquée par l’OMS, travailler de façon professionnelle dans les actes posés tout en respectant les prescriptions du Code de déontologie et enfin se démarquer de toute pratique commerciale illicite qui n’honore pas la profession de pharmacien. A ce jour, de nombreux confrères et consœurs ont préparé leurs solutions hydro-alcooliques pour leur utilisation. Aussi, certaines petites unités de production locale s’attellent à disponibiliser les solutions hydro-alcooliques auprès de nos grossistes pharmaceutiques, qui pourront être délivrées dans les officines pharmaceutiques.

Pensez-vous que le Burkina est suffisamment approvisionné en produits pharmaceutiques pour faire face à la crise sanitaire actuelle ?

Pour le coronavirus, on vous dira tout simplement qu’il n’y a pas de médicaments spécifiques pour son traitement. Mais il y a un certain nombre de médicaments qui pourront aider à la prise en charge des symptômes. Je n’ai pas la situation exacte des stocks de médicaments dans le pays. La quantification des approvisionnements en médicaments est faite en fonction de certains paramètres (le stock disponible, la consommation moyenne mensuelle, le délai de livraison, etc.). Maintenant, en situation d’épidémie, tous les paramètres sont faussés. On fait la quantification en tenant compte des besoins. La rupture du gel en est un exemple. Ce qu’on avait quantifié et stocké pour le pays en 6 mois, a été déstocké et distribué en 2 jours. La question que l’on pourrait se poser, ici, est la suivante : les structures grossistes avaient-elles suffisamment de stocks ? Parce qu’en terme de quantification,  on peut avoir des stocks pour 6 mois, 12 mois ou 18 mois en fonction du type de produits pharmaceutiques et des capacités techniques et financières. Si tel est le cas, on sera épargné de tout danger de rupture. Cependant, si ce sont de petits stocks, alors j’avoue que l’on risque de tomber dans la même situation que l’on observe avec les gels actuellement. Mais le ministère de la Santé pourra donner plus d’informations par rapport à cela.

Le coronavirus ne va-t-il pas impacter l’approvisionnement des stocks pharmaceutiques du fait de la fermeture des différentes frontières ?

Si vous suivez l’actualité, il y a des usines qui ont déjà commencé à arrêter les productions. La plupart de nos produits pharmaceutiques génériques proviennent de l’Inde et de la Chine. En dehors de la fermeture des frontières, cette année, je ne vais pas devancer ceux qui peuvent le dire sans gêne, il risque d’y avoir des problèmes d’approvisionnement de produits pharmaceutiques si les choses ne se régulent pas à l’international à temps. Si l’on ajoute à cela le fait que les frontières vont se fermer, ce serait encore plus grave. Je prends le cas des pharmaciens d’officines qui commandent en urgence un certain nombre de médicaments pour pallier certaines urgences. Si l’on passe la commande, en 72 heures, on reçoit les produits. Alors, si les frontières se ferment et qu’il n’y a plus de vols, je ne vois pas comment on peut y remédier. Pour ceux qui suivent l’actualité, les conséquences du coronavirus ne sont pas que sanitaires, elles sont aussi économiques. Et pour notre pays qui n’a pas de débouchés maritimes, la situation peut être plus compliquée. On va espérer que les choses rentrent dans l’ordre très bientôt sinon, ce sera catastrophique.

Quel message particulier avez-vous à lancer à l’endroit des acteurs impliqués dans la gestion du coronavirus au Burkina ?

A l’endroit d’abord de mes collègues pharmaciens, comme je l’ai dit tantôt, il faut qu’ils travaillent de manière professionnelle. Il faut qu’ils arrivent à rassurer et orienter les usagers de leurs structures. A l’endroit des populations, c’est le message-clé qui est donné depuis le début de l’épidémie, il faut que les gens prennent la mesure de la situation pour mieux se responsabiliser. Si vous observez les comportements des gens après les messages, vous avez l’impression que les différents messages passent à côté parce que les comportements n’ont pas tout à fait changé. Aux autorités sanitaires, nous leur demandons d’accentuer la sensibilisation, au besoin les réaliser dans plusieurs langues pour élargir l’auditoire. Je salue déjà le travail qui se fait avec les communautés religieuses et autres, mais il faut redoubler d’efforts. A la presse, je demande de donner l’information juste pour éviter de semer la panique au sein des populations. Par exemple, si je parle tout de suite, les gens diront que c’est le président du Conseil régional de l’Ordre des pharmaciens qui a parlé. C’est la même chose quand c’est un journaliste qui parle parce que l’on se dit qu’il s’est beaucoup documenté, qu’il a l’information juste. Voilà ce que je pouvais dire à l’endroit des acteurs impliqués dans la gestion du coronavirus au Burkina.

Propos recueillis par Antoine Battiono


No Comments

Leave A Comment