COUPS D’ETAT EN AFRIQUE : Le mal est très profond
Plus de soixante ans après les indépendances de la plupart des pays africains, la démocratie a du mal à s’enraciner sur le continent noir. Si la raison principale semble tenir de la mal gouvernance des élites dirigeantes, la conséquence est l’instabilité politique caractérisée par la multiplication des coups d’Etat. Et en un demi-siècle, Dieu seul sait le nombre de putschs militaires que l’Afrique a enregistrés, et que des statistiques chiffrent à plus de 200, entre 1960 et 2000. Toujours est-il qu’à l’exception de quelques pays comme le Sénégal et le Cap-Vert, ils sont nombreux les pays africains, à avoir connu au moins un renversement de régime par les armes depuis les indépendances en 1960. La palme d’or revient au Soudan qui, depuis 1950, a enregistré pas moins de dix-sept coups d’Etat (réussis ou non) et est aujourd’hui encore traversé par une guerre pour le pouvoir qui oppose le chef de l’armée, le Général Abdel Fattah al Burhan à son rival des Forces de soutien rapide, le Général Mohamed Hamdane Daglo dit Hemetti.
Les Africains doivent se poser les bonnes questions
Et si ce vaste pays d’Afrique de l’Est est talonné, dans son histoire tumultueuse, par des pays comme le Burundi, le Ghana et la Sierra Leone qui comptent chacun une dizaine de putschs (réussis ou manqués) sur la même période, il reste que de l’Egypte, l’Algérie, la Tunisie ou encore la Libye en Afrique du Nord, au Lesotho, les Comores voire Madagascar en Afrique australe, en passant, entre autres, par l’Ethiopie et la Somalie en Afrique de l’Est, le Rwanda, le Tchad, la Centrafrique, l’Ouganda, le Congo, la RD Congo en Afrique centrale et la quasi-totalité des pays d’Afrique de l’Ouest, ils sont nombreux, les pays africains à avoir fait au moins une fois l’expérience du pouvoir kaki. Et le phénomène ne semble pas prêt à s’arrêter, au regard de la tentative de putsch survenue pas plus tard que le week-end du 18 au 19 mai 2024 en République démocratique du Congo (RDC). Et ce, au moment où le Tchad vient de clore laborieusement sa transition par des élections qui se sont tenues dans les conditions que l’on sait ; et où les transitions en cours au Mali, en Guinée, au Burkina Faso, au Niger et au Gabon, ne semble pas vouloir lâcher de sitôt le pouvoir. C’est dire si la page des pronunciamiento est loin d’être tournée en Afrique où aucun Etat n’en est véritablement à l’abri. Et le mal est d’autant plus profond qu’il semble tirer sa source de notre histoire, mais aussi de notre rapport au pouvoir qui a largement encore besoin de reposer sur des fondements éthiques beaucoup plus solides. Comment peut-il en être autrement quand la politique a été dévoyée sous nos tropiques où elle apparaît comme un marchepied vers la fortune et la gloire si ce n’est une courte échelle d’ascension sociale ? Comment peut-il encore en être autrement quand cette même politique est perçue comme un jeu de copains et de coquins qui se lancent souvent dans la conquête du pouvoir d’Etat pour la défense d’intérêts claniques ? Malheureusement, en la matière, on ne sait pas qui des militaires et des civils est le plus à blâmer ; tant les hommes en treillis qui ont souvent pris le pouvoir par la force du canon, en Afrique, ne se sont pas toujours montrés à la hauteur des attentes de leurs compatriotes encore moins plus vertueux que les civils dans la gestion de la chose publique.
La solution n’est pas dans l’éternel recommencement
Toujours est-il que la responsabilité des populations n’est pas moins engagée quand celles-ci se rendent consciemment ou inconsciemment complices d’hommes politiques qui se font élire sur la base de promesses irréalisables si ces mêmes populations ne contribuent pas à déifier certains dirigeants par le culte de la personnalité qui est aussi nocive qu’elle contribue trop souvent à aveugler le prince régnant. Autant dire que tant que les Africains n’assainiront pas leur rapport au pouvoir en s’efforçant à une gouvernance vertueuse tournée vers l’intérêt général et en sachant surtout rester chacun dans son rôle, tout porte à croire que les coups d’Etat auront encore de beaux jours devant eux en Afrique où leur impact en termes de développement, reste encore largement à démontrer. C’est une question de mentalités, mais aussi de maturité politique. Et avec la récente crise préélectorale qu’il a traversée, le Sénégal a encore fait la preuve que ce n’est pas un objectif au-dessus des capacités des Africains. Et puis, comparaison n’est pas raison. Mais dans un pays comme les Etats-Unis d’Amérique, par exemple, il ne viendrait pas à l’esprit du patron de l’armée la plus puissante au monde, de renverser le chef de l’Etat alors qu’il dispose de tous les moyens militaires et humains pour le faire. C’est dire si les Africains doivent se poser les bonnes questions. En tout état de cause, la solution n’est pas dans l’éternel recommencement, au regard des conséquences néfastes des coups d’Etat sur la stabilité politique et socio-économique d’un continent encore à la recherche de ses marques.
« Le Pays »