CRISE POLITIQUE EN GUINEE-BISSAU : Attention à ne pas réveiller les vieux démons !
Depuis août 2015, la Guinée-Bissau traverse une zone de turbulences suite à la destitution du Premier ministre Domingos Simoes Pereira par le président José Mario Vaz. Pourtant, les deux personnalités sont issues du parti au pouvoir, le PAIGC (Parti africain pour l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap Vert), mais la mésintelligence entre les deux hommes qui s’est achevée par le limogeage du premier par le second, avait fini par se transformer en crise au sommet de l’Etat bissau-guinéen. D’autant plus que le nouveau Premier ministre nommé par le président Vaz, Umaro Sissoco Embalo, n’avait ni l’aval ni la préférence du Parti au pouvoir à qui revient constitutionnellement le choix du patron de la primature. D’où ce bras de fer entre le président Mario Vaz et son parti, nécessitant une médiation de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) menée par le président guinéen, Alpha Condé, et qui a abouti à l’accord de Conakry en octobre 2016, pour une sortie de crise. Mais son application semble poser problème, puisque la pomme de discorde entre les deux parties demeure toujours.
Vaz est en train de jouer avec les nerfs de ses adversaires
Si fait que lors de son dernier sommet en mi-décembre dernier à Abuja, au Nigeria, l’institution sous-régionale avait de nouveau tapé du poing sur la table, sommant les protagonistes « de parvenir à une solution dans les deux prochains mois », sous peine de sanctions. A la veille de l’expiration de cet ultimatum, le Premier ministre Umaro Sissoco Embalo a remis, le week-end dernier, sa démission que réclamait à cor et à cri le PAIGC au président de la République. Et l’on espère que cette démission ouvrira la voie à un début d’application de l’accord de Conakry censé mettre fin à la crise par la nomination d’un Premier ministre de consensus, qui devra conduire le pays jusqu’aux prochaines législatives prévues courant cette année 2018. Mais encore faut-il que ce dernier ait la confiance du président. C’est pourquoi l’on se demande si le président Vaz acceptera enfin de jouer balle à terre en acceptant d’appliquer l’accord dans son intégralité. Là, est la véritable question. Surtout que ce dernier non plus ne veut pas se laisser dicter sa conduite par le parti au pouvoir. Et en fin politicien, il a trouvé la parade en voulant surfer sur la perte de la majorité absolue par le PAIGC suite à la fronde d’une quinzaine de ses députés, pour choisir son homme de confiance au sein de la majorité alternative que ces frondeurs constitueraient avec la deuxième force du pays, le Parti de la rénovation sociale (PSR). En tout cas, au moment où nous mettions sous presse, le nom du nouveau PM se faisait toujours attendre. Et à ce jeu du chat et de la souris, tout porte à croire que le président Vaz est en train de jouer avec les nerfs de ses adversaires. Mais il a intérêt à ne pas se mettre la CEDEAO à dos, au risque de voir celle-ci se retirer tout simplement du pays. Car, dans ce pays où les différends se règlent au bazooka, il y a fort à parier que la Grande muette ne se fera pas prier pour s’inviter au débat à l’effet de prendre le contrôle de la situation, dans un pays fortement gangrené par la corruption et qui traîne la sulfureuse réputation de vivre de trafics de drogue et de contrebande de produits de toutes sortes, avec une armée qui s’est spécialisée dans les coups d’Etat.
Le chef de l’Etat bissau-guinéen a intérêt à ne pas trop tirer sur la corde
On se rappelle encore la capture, en 2013, de l’ex-chef d’état-major de la Marine bissau-guinéenne, le contre-amiral Bubo Na Tchuto, tombé en haute mer dans la nasse des limiers américains qui l’avaient piégé dans une transaction de drogue. Transféré aux Etats-Unis, il sera condamné à quatre ans de prison. C’est dire les risques que le pays encourt de se retrouver entre des mains dangereuses, si la CEDEAO venait à s’en lasser et à l’abandonner à lui-même. C’est pourquoi il faut espérer que le problème connaîtra une issue heureuse sous l’égide de la médiation de la CEDEAO, car la moindre étincelle pourrait dégénérer en un brasier dont on ne saurait prédire les conséquences. Mais le président Vaz entendra-t-il raison ? On attend de voir. En tout cas, attention à ne pas réveiller les vieux démons, dans un pays où les narcotrafiquants et autres putschistes de bas étage ne dorment que d’un œil. Cela dit, le chef de l’Etat bissau-guinéen a intérêt à ne pas trop tirer sur la corde. Car, un entêtement de sa part pourrait conduire à une exacerbation de la situation avec de possibles répercussions sur l’organisation des élections à venir. Sans compter les menaces de sanctions ciblées de la CEDEAO qui pourraient ne pas épargner le chef de l’Etat lui-même, qui avait déjà agacé l’institution régionale lors du sommet de décembre dernier à Abuja, par une volte-face spectaculaire en l’espace de 24 heures, qui ne laissait entrevoir aucune disposition de sa part à aller dans le sens de l’application de l’accord de Conakry auquel il s’était pourtant montré favorable la veille. En tout état de cause, la balle est dans le camp du président Vaz. S’il cherche à trop ruser et prête le flanc, il pourrait bien s’en mordre les doigts.
« Le Pays »