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DEBACLE DU PARTI AU POUVOIR AUX MUNICIPALES EN AFRIQUE DU SUD : L’ANC ne peut que s’en prendre à elle même


 

Après Pretoria, la capitale et Port Elizabeth, la ville industrielle, c’est Johannesburg, le capitale économique de l’Afrique du Sud et fief historique de l’African National Congress (ANC), qui tombe dans l’escarcelle de l’opposition à l’issue des municipales du 3 août dernier. En effet, au grand désespoir du parti de Jacob Zuma, l’opposition a réussi le pari de faire bloc derrière Herman Mashaba qui s’installe désormais dans le fauteuil de bourgmestre de la capitale économique sud-africaine. Le nouvel édile met ainsi fin au règne sans partage de l’ANC dans cette ville depuis 1994. La défaite tant redoutée de l’ANC à Johannesburg en raison de son impact psychologique et du tournant historique qu’elle constitue, a donc eu lieu, donnant à la perte de contrôle du parti sur les principales villes du pays, un retentissement particulier. L’ANC ne peut cependant s’en prendre qu’à elle-même pour cette claque du revers de la main que lui a administrée le peuple sud-africain.

Le parti est  entré en  déphasage avec les aspirations socio-économiques de son électorat

D’abord, le parti de Nelson Mandela paie le prix de sa mauvaise lecture de la situation sociopolitique et économique nationale. Arc-boutée sur la légitimité historique que lui a conférée la  lutte contre l’apartheid, l’ANC a manqué de génie pour donner à la liberté politique un contenu économique. Faisant preuve aussi d’une extraordinaire myopie politique face aux mutations induites par la transition générationnelle, le parti est  entré en  déphasage avec les aspirations socio-économiques de son électorat.  La  gouvernance ANC a, en effet, conduit le pays au bord de la récession économique, le laissant aux affres du chômage, des injustices sociales et de violents mouvements sociaux nés des revendications salariales. Le parti a fini par scier ainsi lui-même la branche sur laquelle il était assis, en sapant les espoirs de l’immense majorité des Sud-Africains  qui avait vu dans son accession au pouvoir, la fin des injustices sociales et l’avènement d’une nouvelle ère de gouvernance. Ensuite, l’ANC paie pour son obstination à soutenir vaille que vaille le président Jacob Zuma qui a fini par l’éclabousser de ses nombreuses frasques. L’homme, en effet, a ravi la palme des scandales en plongeant dans toutes les eaux boueuses de la République. Nonobstant le fait de confondre le Trésor public avec sa poche en y puisant de l’argent  pour ses travaux d’aménagements personnels ou en revalorisant son salaire, l’homme a défrayé la chronique par de nombreuses affaires de pots-de-vin, quand tout simplement il ne gère pas la République comme le jardin de son père.  On se souvient du limogeage arbitraire du ministre des finances Nhlanhla Nene,  qui avait été à l’origine de l’effondrement de la bourse sud-africaine ou encore du scandale du «Guptagate » du nom de cette famille proche du président et qui avait utilisé un aéroport militaire pour un mariage. Et quid de ses scandales de « fesses » ? Mais le parti, droit dans ses bottes, a maintenu son ferme soutien à Zuma, dévoyant ainsi l’idéal politique qui servait de ciment pour son unité. Le parti, après cette véritable bérézina qui l’éjecte des fauteuils des hôtels de ville des principales agglomérations, doit désormais s’efforcer de décrypter le fort message que les Sud-Africains viennent de lui envoyer. Marquant la fin d’une époque, ce message est d’abord la manifestation de la part de l’électorat sud-africain, d’une soif d’alternance dans la gestion des affaires publiques. L’opposition, même au prix d’alliances contre-nature, a su exploiter ce message pour faire chuter le parti au pouvoir comme pour dire « tout sauf l’ANC ». Si elle réussit le pari de changer les choses, elle portera une profonde entaille dans la masse électorale de l’ANC qui pourrait assister à l’émiettement progressif de son assise sur la scène politique sud-africaine. En tout cas, le nouveau bourgmestre semble l’avoir bien compris ; lui qui promet ceci : « Nous allons effectuer des changements qui vont créer des emplois ; près de 800 habitants, 1 sur 3, sont sans emplois. Nous devons nous attaquer à ce problème, et nous devons le faire en urgence. Remettons cette ville sur les rails, pour que nous puissions restaurer la dignité des Sud-Africains. ». L’ANC, après avoir refusé d’obtempérer à cet appel au changement, doit remettre les pendules à l’heure dans la perspective des élections à venir, surtout quand on sait que ce sont les grandes villes qui décident de l’issue des scrutins en raison de leur poids démographique.

Le parti doit œuvrer à se réorganiser autour d’un nouveau leader plus charismatique

L’autre partie du message est que si « l’ANC veut être, elle devra être sans Jacob  Zuma » qui a semé la pagaille dont elle récolte aujourd’hui les pots cassés. Le parti qui a résisté contre vents et marées au découronnement de son mentor, doit désormais œuvrer à se réorganiser autour d’un nouveau leader plus charismatique. Ce n’est pas un pari gagné d’avance. D’abord, parce que l’élite actuelle du parti, tenue en sous-main par un Jacob Zuma maître dans les frasques, continuera à faire de la résistance. Ensuite, parce qu’il n’est pas aisé de dénicher l’oiseau rare qui, comme Nelson Mandela, ne permettra pas au pouvoir d’Etat de corrompre ses règles de conduite morales et personnelles. Quant à l’opposition, si elle ne peut s’empêcher de se réjouir des malheurs de l’ANC, elle devrait se garder de tout triomphalisme débordant, ce d’autant que la tâche ne sera pas facile. D’abord parce que l’âpreté des négociations et l’alliance contre-nature pour débouter l’ANC des premières loges de l’hôtel de ville de Johannesburg, portent les germes de l’instabilité. Or, la situation exige une cohérence dans l’action. Ensuite, parce qu’aucun parti de l’opposition n’est véritablement capable, à lui seul, de mettre en difficulté le régime qui, même après avoir perdu ses plates-bandes dans les grandes villes, reste un adversaire redoutable en raison du poids du passé et de Mandela dont il demeure l’héritier.

« Le Pays »


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