DEFICIT CEREALIER AU BURKINA : Ces mesures de riposte qui ne rassurent pas
Au cours d’une conférence de presse animée le 27 novembre 2017, le ministre en charge de l’Agriculture et des aménagements hydrauliques annonçait, pour la saison agricole 2016-2017, que 17 provinces enregistraient un déficit céréalier, 22 sont excédentaires et 6 autres équilibrées. Ce qui a entraîné un déficit brut céréalier estimé à 72 677 tonnes. Au regard de cette situation, disait-il, sur la période de soudure (de juin à août 2018), 620 394 personnes seraient en insécurité alimentaire. Pour y faire face, plusieurs mesures sont envisagées pour renforcer la résilience des populations des quatre coins du pays. Il s’agit, entre autres, de la mise à disposition des populations, des céréales à prix social par l’intermédiaire de la Société nationale de gestion du stock de sécurité alimentaire (SONAGESS), du don en numéraires aux familles les plus vulnérables. Il n’en fallait pas plus pour que certaines organisations paysannes expriment leur réserve vis- à vis des chiffres communiqués par leur ministère de tutelle. Pour elles, le bilan est beaucoup plus catastrophique que cela. Les estimations des prévisions communiquées sont-elles proches de la réalité sur le terrain, étant donné que certaines organisations paysannes ont contesté les chiffres communiqués par le ministère ? Les mesures prises pour atténuer le choc rassurent-elles les populations dans les villages et campagnes ? Pour en savoir davantage, nous avons effectué une visite, les 8 et 9 décembre derniers à Kampiti, village situé à 6 kilomètres de la ville de Dori dans le Seno, une province déclarée déficitaire. Nous avons également rencontré quelques agriculteurs dans des provinces où les récoltes sont considérées comme bonnes par le ministère en charge de l’agriculture. Pour ceux que nous avons rencontrés, non seulement les récoltes sont en deçà des prévisions, mais les mesures prises, notamment la vente des céréales à prix social par la SONAGESS, rassurent très peu.
Il était 10h, le 8 décembre 2017, lorsque nous arrivions dans la concession de Hamadou Mahamoudou Diallo, cultivateur à Kampiti, village situé à 6 kilomètres à l’Est de Dori. Après les salutations d’usage, nous expliquons les raisons de notre présence dans le village, précisément dans sa concession. Mais cette explication ne rassure pas le sexagénaire. Il a fallu quelques 15 minutes à celui qui nous a servi de tuteur pour le convaincre que nous ne sommes pas là pour enquêter sur son troupeau. Il accepte donc de parler de sa saison agricole. A la question de savoir si sa saison agricole a été bonne, il est catégorique ! « Il n’a jamais vu une saison aussi mauvaise que celle- là », a-t-il répondu avant de nous citer les quantités des différentes spéculations qu’il a récoltées. Il cultive le petit mil, le niébé et le sésame. Cette année, il a récolté 50 kg de sésame, 10 sacs de mil de 100 kg, 2 sacs de 100 kg de niébé. La somme de cette production lui permettra de nourrir sa famille pendant 4 mois. Pour le reste de l’année, il vendra une partie de ses animaux pour la survie de sa famille. Si les animaux ne suffisent pas, les revenus de ses enfants qui iront bientôt sur les sites d’orpaillage viendront compléter le reste pour la survie de la famille Diallo. Pour lui, ce n’est pas la peine de compter sur la SONAGESS, puisqu’elle n’autorise qu’un sac de céréales alors que les besoins des familles de grande taille sont plus énormes. Après notre entretien avec le vieux Diallo, nous voici chez un autre cultivateur de Kampiti. Cette fois-ci, nous avons rendez- vous avec Allou Oumarou Dicko, âgé de 76 ans. Lui aussi, il faut le rassurer que notre entretien ne porte pas exclusivement sur son troupeau, mais plutôt sur la saison agricole. C’est après cette étape que l’eau de l’étranger nous a été servie. C’est avec humour que ce grand producteur nous raconte sa saison. « La saison a été très mauvaise », a-t-il dit. En effet, l’année dernière, il avait récolté 68 sacs de 100 kilogrammes contre 17 cette année. Juste pour la consommation de 4 mois, pour une famille qui compte 28 membres. Tout comme Hamadou Mahamoudou Diallo, Dicko pense que la SONAGESS ne pourra pas leur fournir les quantités de céréales nécessaires pour faire face au déficit céréalier. Habituellement, a-t-il dit, la SONAGESS vend à chaque famille pas plus d’un sac. Souvent, il faut passer des jours pour avoir un sac de 50 kilogrammes. Pourtant, les familles composées de plus de 20 membres consomment plus.
Pour aider les populations à traverser la période de soudure, le gouvernement prévoit en plus, le maintien et le renforcement des opérations de vente de vivres à prix subventionnés dans les boutiques-témoins de la SONAGESS. Environ 95 000 tonnes de vivres seront collectées en 2018 pour parer au déficit céréalier enregistré au cours de la campagne agricole écoulée. Le ministère entend ainsi passer de 138 à 250 boutiques-témoins. Des acquisitions de céréales en vue de la reconstitution du stock national de sécurité alimentaire à hauteur de 50 000 tonnes sont également en cours. « En un mot, le plan de riposte contre l’insécurité alimentaire, doté de plus de vingt-deux milliards sept cent millions (22 700 000 000) de francs CFA pour l’année 2017, sera renouvelé afin de faire face aux défis actuels ». Ce plan va consister, à l’en croire, en des opérations de distribution gratuite, de vente à prix subventionnés de vivres, à la remise de cash et à l’octroi d’intrants agricoles aux ménages vulnérables. En outre, le ministre a annoncé la reprise de l’opération saaga et le lancement de la campagne de contre-saison dans la deuxième décade du mois de décembre. Et en prévision de la campagne agricole 2018-2019, les premiers responsables du ministère disent s’engager pour le maintien et le renforcement de la veille et de la lutte contre la chenille légionnaire d’automne, avec l’accompagnement de l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). A l’image du gouvernement, certaines collectivités locales s’organisent pour aider les populations dans cette période qui s’annonce douloureuse. A Dori, plusieurs cultivateurs ont reçu des semences agricoles et du matériel pour les cultures de contre-saison, selon Boureima Bocoum, 1er adjoint au maire de Dori. « Cette année, nous avons été surpris de la manière dont les choses se sont terminées. Les pluies étaient abondantes au début de la saison agricole, mais tout d’un coup, tout s’est arrêté. Comme chez nous, nous ne cultivons que le petit mil, cela a joué négativement sur les rendements. Le petit mil ne veut pas beaucoup d’eau, parce que c’est une zone sablonneuse. Il préfère une petite quantité, mais régulière sur une longue durée », a-t-il expliqué. Déjà, a-t-il indiqué, les prix des céréales ont flambé dans la ville de Dori. A l’en croire, le sac de mil de 50 kilogrammes avoisine déjà la somme de 13 000 F CFA. Pourtant, nous ne sommes pas loin de la période des récoltes. Ce qui sous-entend que ce sac pourrait coûter, dans quelques mois 30 000 F CFA, si l’on n’y prend garde. Et les conséquences de ces mauvaises récoltes se font déjà sentir. Les populations commencent à brader leurs animaux pour acheter des vivres pour les stocker. A titre d’exemple, témoigne Boureima Bocoum, un père de famille a été obligé de vendre le mouton qu’il avait acheté à 135 000 F CFA pendant la saison des pluies, à 100 000 F CFA. Et ce, après avoir nourri et entretenu l’animal pendant plusieurs mois. C’est d’ailleurs pour faire face à cette période incertaine que la mairie a offert du matériel agricole aux populations. Tout comme les populations, le premier adjoint au maire pense que la SONAGESS n’arrive toujours pas à faire face aux sollicitations des populations. « Il faut dire que là aussi, ce n’est pas une chose qui peut résoudre les problèmes des populations. Quand vous venez, ce n’est pas évident que vous puissiez avoir ce que vous voulez. D’abord, on autorise chacun à acheter un sac de 50 kg, alors que les besoins sont plus élevés dans les familles », a-t-il déploré. Après Dori, nous avons mis le cap sur une autre province où la saison agricole a été annoncée bonne, puisque les prévisions sont excédentaires. Cette fois, c’est Mogtedo, dans la province du Ganzourgou, ville située sur l’axe Ouagadougou-Zorgho. C’est dans le marché de céréales que nous avons rencontré Idrissa Kaboré, à la fois cultivateur et vendeur de céréales. Pendant la saison des pluies, il s’adonne aux activités agricoles. Une fois les récoltes terminées, ce dernier devient acheteur et vendeur. En effet, il achète directement les céréales auprès des agriculteurs et les revend aux grossistes venant de Pouytenga et de Ouagadougou. Déjà, en décembre, soit à peine un mois après les récoltes, le sac de maïs de 100 kilogrammes se vend à 20 000 F CFA. Il en est de même pour le sorgho. A cette même période l’année dernière, la même quantité coûtait 18 000 F CFA. C’est la première fois qu’il voit les prix grimper ainsi. Et pourtant, cette province a été annoncée équilibrée par le ministère en charge de l’agriculture. Comme les vieux Diallo et Dicko de Kampiti, il a peu confiance en la SONAGESS. Il propose l’interdiction de l’exportation des céréales made in Burkina.
Si certaines populations des provinces où les prévisions ne rassurent pas sont pessimistes, qu’en est-il dans les provinces où les prévisions sont optimistes ? En tout cas, dans la province de la Tapoa, les choses semblent plus compliquées. En effet, present à Diapaga le 19 décembre dernier à la faveur du lancement des travaux de bitumage de la route Kantchari-Diapaga –Tansarga-Frontière du Bénin, nous avons rencontré quelques paysans avec qui nous avons échangé sur la saison agricole écoulée. Tahirou Konari est cultivateur et habite le village de Ganbaga, à 31 kilomètres de Diapaga. Aux dires de ce dernier, pour la saison agricole écoulée, il n’a récolté que 20 sacs de maïs et 3 sacs de mil sur les 5 hectares qu’il exploite. Alors qu’il a obtenu respectivement 55 et 40 sacs l’année dernière. Aujourd’hui, il ne sait pas comment s’y prendre pour nourrir sa famille composée de 36 membres. En attendant, il est allé payer du manioc au Bénin, afin de parer à toute éventualité Pour lui, il est hors de question de compter sur la SONAGESS. « Si SONAGESS vient et il y a trop de gens, elle peut ne même pas dépasser une semaine ». Son avis est partagé par Ousmane Tankoano qui, également, a vu ses récoltes dégringoler cette année. En effet, il a pu récolter 6 sacs de maïs en 2017, contre 19 sacs en 2016. Ne disposant pas suffisamment de moyens financiers, il dit commencer la vente de ses moutons pour faire face aux besoins alimentaires de sa famille. Il dit les vendre à vil prix, rien que pour acheter la quantité nécessaire de vivres pour traverser la période de soudure. Le mouton qui se vendait à 100 000 F CFA l’année dernière à la même période, est vendu à 70 000F CFA.
Issa SIGUIRE
Bon à savoir
17 provinces déficitaires :
Kadiogo, Sanmatenga, Zondoma, Namemtenga, Boulkiemdé, Passoré, Bam, Kourwéogo, Oubritenga, Oudalan, Yatenga, Komondjari, Soum, Comoé, Seno, Houet et Kouritenga
Les provinces en équlibre, sont le Boulgou, la Gnagna, le Ganzourgou, le Sanguié, le Poni et le Bazèga.
22 provinces excédentaires
Koulpelgo, Tapoa, Sourou, Zoudweogo, Nayala, Yagha, Gourma, Nahouri, Ziro, Loroum, Bougouriba, Ioba, Banwan, Kompienga, Noumbiel, Mouhoun, Balé, Sissili, Leraba, Kossi, Tuy et Kénédougou
Sources : Ministère de l’1Agriculture