DEMISSION DU MINISTRE GABONAIS DE LA JUSTICE : Le roi de plus en plus nu
Une semaine après la proclamation des résultats provisoires de la présidentielle qui a vu Ali Bongo et Jean Ping arriver au coude-à-coude, la situation reste toujours tendue. En effet, le 2e vice-Premier ministre, ministre de la Justice et des droits humains, garde des sceaux, Séraphin Moundouga, a démissionné du gouvernement et du Parti démocratique gabonais (PDG), préférant prendre le parti du peuple que de défendre un président mal élu. C’est à peine s’il n’accuse pas le pouvoir gabonais de mauvaise foi, quand il affirme, qu’en sa qualité de ministre de la Justice, la loi organique de la Cour constitutionnelle lui permet, entre autres, de faire annuler une élection, « si les résultats annoncés n’étaient pas conformes à la réalité ». Alors, question : le Garde des Sceaux a-t-il été contraint à la démission pour avoir tenté d’annuler la présidentielle du 27 août dernier ? Difficile d’y répondre pour l’instant. Mais tout le laisse croire, surtout quand on sait que celui-ci avait déjà demandé à Ali Bongo de reconnaître le verdict des urnes, même s’il n’était pas en sa faveur. En tout cas, la démission du sieur Séraphin Moundouga est la preuve pour ceux qui en doutaient encore, que le président Bongo veut opérer un passage en force. Espérons donc que d’autres défections suivront dans les jours à venir pour in fine laisser totalement nu le roi Bongo. C’est dans ce contexte de contestation violente des résultats de ce scrutin qui s’est soldé pour le moment par une demi-douzaine de morts, des blessés et de nombreuses arrestations, que le Premier ministre gabonais, Daniel Ona Ondo, a invité ses compatriotes à reprendre le travail hier 05 septembre 2016. Cela, pour montrer que la situation est sous contrôle. De son côté, l’opposition leur a au contraire demandé de rester chez eux.
Aucune solution de sortie de crise ne semble poindre à l’horizon
Si l’opposition justifie son appel au boycott des travailleurs par des questions de sécurité, il est évident qu’elle veut s’en servir aussi comme moyen de pression sur les autorités, pour obtenir le recomptage des voix qu’elle réclame. Ce que n’envisage pas le pouvoir qui demande au candidat malheureux, d’utiliser les voies légales de recours. Dans ces conditions, la question que l’on pourrait se poser est celle de savoir jusqu’où ira le bras de fer entre Bongo et Ping, à propos de la victoire à cette présidentielle. Bien malin qui pourrait le dire. En tout cas, pour le moment, aucune solution de sortie de crise ne semble poindre à l’horizon, chaque camp campant sur sa position. L’on est donc dans une sorte de situation de blocage dont il est difficile de prédire l’issue. D’autant plus que la communauté internationale, notamment la France, les Etats-Unis et l’Union européenne (UE) qui continuent de réclamer davantage de transparence, ne semble rien entreprendre d’autre pour faire évoluer la situation dans le sens de la décrispation et d’une conciliation des positions. A quelques exceptions près, la situation du Gabon ressemble quelque peu à celle de la Côte d’Ivoire de 2010, qui s’était retrouvée avec deux présidents et deux gouvernements, à l’issue du scrutin présidentiel. Faut-il s’attendre au même scénario au Gabon ? Rien n’est à exclure. D’autant plus que l’on ne sait pas l’étendue des soutiens dont bénéficie actuellement Jean Ping, ni des moyens sur lesquels il compte ou dont il dispose pour se faire justice. Car, s’il ne veut pas recourir aux voies légales de réclamation, c’est qu’il a certainement un autre plan pour espérer avoir gain de cause. Pour le moment, la position de la communauté internationale qui réclame le recomptage des voix, est en sa faveur. Mais cela signifie-t-il pour autant que celle-ci le soutient et surtout, cela sera-t-il suffisant pour faire plier le pouvoir ? Rien n’est moins sûr. Surtout si ce dernier devait perdre la face, en cas de confirmation que les chiffres ont effectivement été gonflés dans la province d’origine du chef de l’Etat sortant pour lui donner cette avance décisive. Le Gabon est donc pour le moment dans l’impasse et tout le monde attend de voir ce que sera le déclic du dénouement de la crise qui semble lié au rapport de forces sur le terrain. Pour l’instant, Ali Bongo semble tenir la corde, avec des institutions à sa solde et la légalité pour lui. Quant à son rival, il court le risque d’une illégitimité après la forclusion du délai légal d’introduction des recours devant la Cour constitutionnelle, ce qui pourrait bien changer la donne. Mais prêter serment dans ces conditions, ne garantirait pas forcément à Ali Bongo un règne paisible. Car, Jean Ping pourrait montrer qu’il a plus d’un tour dans son sac, en appelant par exemple à la désobéissance civile. Et s’il est suivi dans son appel, cela pourrait paralyser l’Administration publique, mais aussi bien privée. Sans oublier les risques de défection dans le camp présidentiel, si les soupçons de fraude massive venaient à être avérés d’une façon ou d’une autre.
Il appartient aux Gabonais de tout mettre en œuvre pour sauver leur pays
Une chose est certaine : avec la peur qui s’est emparée de la ville suite aux manifestations violentes de la semaine dernière, l’heure n’est pas à la sérénité pour une bonne reprise du travail. Surtout si les populations doivent continuer à vivre dans la hantise et le manque d’informations, suite à la suspension des moyens de communication et de télécommunication. Il y a donc lieu de craindre pour le Gabon. C’est pourquoi la communauté internationale doit tout mettre en œuvre pour désamorcer cette crise avant qu’elle ne prenne des proportions plus dramatiques. Car, il ne manquerait plus que Jean Ping bénéficie, d’une manière ou d’une autre, d’un soutien armé pour que le Gabon bascule définitivement dans la guerre civile. Cela n’est pas souhaitable, mais c’est une piste qu’il ne faut pas négliger. Car, rien ne dit que dans la Grande muette, tout le monde est complètement acquis à la cause d’Ali Bongo. Or, c’est des plus petites étincelles que naissent souvent les plus grands brasiers. En tout état de cause, il appartient aux Gabonais de tout mettre en œuvre pour sauver leur pays. Car, c’est d’eux qu’il s’agit d’abord. Quant aux Africains, il est temps pour eux de prendre conscience que ces crises postélectorales à répétition, ne les grandissent point, et qu’il est de leur devoir de trouver les mécanismes de résolution pacifique de ces crises, sans chaque fois s’en remettre à la communauté internationale, notamment l’Occident. C’est une question d’honneur et c’est là que réside véritablement leur souveraineté.
« Le Pays »
Sawadogo
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On est libre de rennoncer a tout travail. Sa demission n engage que lui.
6 septembre 2016