DEMISSIONS DE MINISTRES :L’Afrique doit s’inspirer de l’Occident
Le président français, François Hollande, et son Premier ministre, Manuel Valls, ont dû se résoudre à constituer une nouvelle équipe gouvernementale. En rendant leur liberté à Arnaud Montebourg et à Benoît Hamon en raison de désaccords sur l’orientation économique du gouvernement, Manuel Valls a tranché pour une cohérence de l’action de son équipe. De toute évidence, la cacophonie observée sur certains sujets, bien que cela traduise les divergences au sein du Parti socialiste (PS) français, ne faisaient pas beau à voir. Car, les socialistes auraient mieux fait de ne pas étaler au grand jour les bisbilles au sein du gouvernement. Ainsi, il aurait été mieux pour leur parti que Montebourg et ses camarades frondeurs fassent tout leur possible pour poser les problèmes, exprimer en interne leur refus de la ligne dictée par le chef du gouvernement et tenter d’obtenir une sorte de consensus dans un cercle restreint, avec le moins de fracas possible. En occultant le fait que « le linge sale se lave en famille », ils contribuent à fragiliser davantage leur parti.
En Afrique, on ne démissionne pas d’un poste de responsabilité pour ses idées
Cela dit, leur décision de rendre le tablier parce qu’ils ne sont pas en phase avec ce que doit faire l’équipe dont ils faisaient partie, est à saluer à sa juste valeur. C’est un exemple d’honnêteté avec soi-même et avec les compatriotes. Ces ministres démissionnaires ont eu une attitude d’hommes d’Etat. En effet, ils ont montré qu’on n’entre pas dans un gouvernement pour exécuter mécaniquement des choses, mais parce qu’on a des idées à matérialiser à travers les actions du ministère. Et lorsqu’on estime que ce qui est décidé s’éloigne des valeurs pour lesquelles on milite et au nom desquelles on a décidé d’aller dans ce gouvernement, rien de plus normal que de reprendre sa liberté. Ce, pour ne pas être comptable de ce qu’on désapprouve. Cela permet même au chef du gouvernement de reconstituer une équipe plus cohérente, plus homogène et à certains égards, de revoir plus ou moins en profondeur, certaines de ses décisions. Au regard de tout cela, les démissions de ministres sont vertueuses.
En tout cas, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon ont le mérite d’avoir eu le courage de leurs idées. Vu d’Afrique, ce qui s’est passé n’est pas sans commentaire. A titre comparatif, il est très difficile d’assister à ce genre de démissions sous nos tropiques. Car, vertu en France, les démissions de ministres et autres hautes personnalités de l’Etat sont considérées comme une bêtise en Afrique. En effet, sur ce continent, on ne démissionne pas d’un poste de responsabilité pour ses idées. Cela est dû au fait que la conception de la politique et du pouvoir d’Etat sur le continent noir, est biaisée. Les grandes idées politiques à même d’aider les pays à se développer, n’intéressent pas grand-monde sous nos tropiques. En Occident, la vie des dirigeants est, comme on le sait, surveillée comme du lait sur le feu, parce qu’il est bien compris qu’on vient à un poste pour servir l’intérêt général et qu’on doit rendre gorge si jamais on venait à se rendre coupable d’entorse aux règles et à l’éthique républicaine. A contrario, le pouvoir est perçu comme une entreprise en Afrique et ce qui intéresse l’écrasante majorité des Africains, ce sont les rentes qu’ils en tirent ou comptent en tirer. Dans un tel contexte, si d’aventure un dirigeant venait à avoir la hardiesse de quitter de son propre chef son poste, c’est son entourage qui verrait du même coup ses privilèges remis en cause, et il se chargerait de lui faire comprendre qu’il a commis une faute lourde, une bêtise. Une bêtise parce qu’en s’éloignant du pouvoir, il s’éloigne de ses avantages, et donc de la richesse. Car, il est bien établi qu’en Afrique, pour être riche, il faut être au pouvoir ou au moins, le côtoyer de très près. Dans de nombreux Etats africains actuellement, une nomination à un poste de ministre est une chance, voire l’une des meilleures chances de sa vie, de sortir de la pauvreté. En effet, à partir d’un poste de chef d’Etat, de ministre ou de Directeur général et grâce à ce qui, en Occident, est qualifié de délit d’initié, de détournement de biens publics et d’abus de biens sociaux, on se constitue un pactole en Afrique, on en fait profiter ses proches au maximum. Prendre le risque de perdre tout cela n’est donc pas acceptable.
Le chef de l’Etat est un roi et dans la cour royale, il n’y a que des griots et des courtisans
En France et d’une manière générale en Occident, n’est pas ministre qui veut, mais qui peut. C’est dire que les compétences de l’individu sont une qualité substantielle pour sa nomination à tel ou tel autre poste. En Afrique, le premier référent au moment de constituer un gouvernement, c’est la fidélité inconditionnelle au chef de l’Etat, à son épouse, à son enfant, à son frère ou sa sœur pour ne citer que ceux-là. Cette fidélité vous garantit à coup sûr un portefeuille « juteux ». En d’autres termes et comme on a pu l’entendre dans certains cas, si tu brilles de mille feux par ta fidélité au président, « on te nomme pour que toi aussi, tu puisses manger un peu ». C’est dire à quel point les gens ne sont pas toujours nommés au regard de leurs compétences intrinsèques pour faire avancer le pays. Ils sont également très peu nombreux à aller dans un gouvernement par conviction, pour apporter leur pierre à la construction du bien commun. C’est pour cela qu’il est courant d’assister à des retournements de vestes spectaculaires, des leaders reniant sans sourciller leurs idéaux. Pas question de prendre la moindre initiative susceptible de remettre en cause, un tant soit peu, sa participation au banquet. Chaque ministre prend bien le soin de chanter les louanges du chef de l’Etat à chacune de ses sorties, quitte à se couvrir de ridicule. Peu importe. Le mot d’ordre étant visiblement « pourvu que le puissant chef soit conquis par mon attachement à sa personne et me maintienne à sa table ».
Cette incapacité à défendre une idée contraire à celle du président de la République ou du Premier ministre est accentuée surtout dans la savane africaine. En effet, sous nos cieux, le chef de l’Etat est un roi et dans la cour royale, il n’y a que des griots et des courtisans. Dans ces contrées, malheur à celui qui conteste le chef. Conséquence, chaque ministre s’enferme et avec lui, enferme le pays, dans une multitude de cercles vicieux qu’il n’a pas le courage de regarder en face et de briser. La notion du scandale n’existe pas. Il ne peut donc pas être scandaleux d’octroyer des marchés publics à ses proches, de détourner des ressources qui auraient permis à l’éducation et à la santé par exemple, de connaître un meilleur sort, de placer ses frères et cousins aux postes dits juteux, même s’ils n’en ont pas les compétences. Si seulement les personnalités qui se comportent de la sorte assumaient jusqu’au bout leurs actes ! Malheureusement, elles ont le manque de conviction si chevillé au corps qu’elles sont les premières à abandonner le navire en cas de naufrage. En cas de chute d’un régime, comme on peut le constater un peu partout sur le continent noir, bien de ces anciens ténors se dépêchent de rejoindre, avec armes et bagages, les nouveaux princes et de crier sur tous les toits qu’ils n’étaient pas d’accord avec ce que faisait le chef. Cela, dans le secret espoir de conserver leur place à la table des nouveaux maîtres. C’est cela la triste réalité en Afrique. Et on a hélas, le fort sentiment que ce n’est pas demain la veille de la fin de cette politique « tube-digestiviste », vu la façon dont l’éducation des futures générations est faite.
« Le Pays »