HomeA la uneDESIRE PINGUEDEWINDE SAWADOGO, PROCUREUR DU FASO : « Bala le pétrolier est toujours en détention, il n’a jamais été libéré »

DESIRE PINGUEDEWINDE SAWADOGO, PROCUREUR DU FASO : « Bala le pétrolier est toujours en détention, il n’a jamais été libéré »


Cet homme que les Editions « Le Pays » ont rencontré s’appelle Désiré Pinguédewindé Sawadogo. Il est le Procureur du Faso près le Tribunal de grande instance de Ouagadougou (TGI), un des principaux acteurs du système judiciaire au Burkina Faso ; cette Justice à propos de laquelle certains se posent tant de questions sur son indépendance. De l’indépendance de la Justice burkinabè en passant par l’affaire « Bala le pétrolier », la lutte contre l’insécurité et bien d’autres sujets, M. Sawadogo a accepté de se prêter à nos questions avec cependant une retenue : « Si vous le permettez, je préfère ne pas me prononcer sur l’affaire Salifou Nébié », nous a-t-il lancé avant le début de l’entretien. Et ce, pour la simple raison qu’un certain nombre d’acteurs est en train de travailler sur le sujet, ce qui fait qu’il ne peut en parler de façon isolée. Somme toute, Désiré Pinguédewindé Sawadogo nous a promis de revenir sur la question en temps opportun. Quant à l’affaire « Bala le pétrolier », il y est revenu avec des détails qui peuvent intéresser nos lecteurs. Lisez plutôt.

 

« Le Pays » : Qui est le Procureur du Faso et quel est son rôle ?

 

Procureur du Faso : Avant tout propos, je tiens à vous dire merci pour cette démarche, parce que l’initiative de me rencontrer est venue de vous, et c’est fort louable quand on sait que le besoin de communiquer est réel. Cette occasion nous est offerte pour échanger et permettre aux justiciables de mieux connaître l’institution judiciaire, afin que cette dimension qui consiste à faire de la justice une réalité, un outil du justiciable, soit vraiment effective. On ne peut parler du Procureur du Faso qu’au sein d’un organe, en présentant un tout petit peu l’organisation judiciaire, à savoir comment les juridictions du Burkina sont organisées. C’est une organisation en échelle avec un niveau inférieur, un niveau moyen et un niveau  supérieur. Le Tribunal de grande instance (TGI) est un des maillons de cette chaîne, et le Procureur du Faso est un des organes du TGI. Actuellement, nous avons 24 TGI, et au sein de chaque TGI il y a un Procureur du Faso. C’est la loi qui délimite le ressort  du TGI. Pour me résumer, le Procureur du Faso est un organe du TGI, avec des attributions bien précises. C’est donc le Procureur du Faso plus d’autres organes qui forment le TGI.

 

Quelles sont les conditions à remplir pour entrer en contact avec le Procureur du Faso en cas de besoin ?

 

C’est simplement de venir vers le Procureur du Faso. La loi fait obligation à toute personne qui aurait connaissance d’une infraction, de la dénoncer au  Procureur du Faso. Dans

la dynamique de la gratuité de la justice, toute personne qui aurait une affaire est priée de s’approcher du Procureur du Faso pour obtenir l’orientation technique et, au besoin, le dispositif pénal nécessaire pour prendre en charge son affaire. Il n’y a pas de conditions figées. Je précise que quand je parle de Procureur du Faso, c’est beaucoup plus de l’organe et pas de l’individu. Cet organe, c’est le parquet, le ministère public, un organe avec plusieurs appellations, animé par une ou plusieurs personnes. Au niveau du TGI, nous sommes actuellement au nombre de douze ; le Procureur du Faso, avec onze substituts qui agissent en son nom et qui posent des actes ayant la même valeur.

 

En quoi consiste la journée d’un Procureur du Faso ?

 

La journée d’un Procureur du Faso est la même que la journée d’un agent public. Nous sommes soumis aux heures légales de travail, avec cependant la particularité que le Procureur du Faso n’a pas de moment où il ne travaille pas, à partir du moment où il peut y avoir infraction à n’importe quelle heure. Il y a certaines activités qu’on ne peut pas faire à certaines heures, mais le contact avec certains acteurs se fait de manière permanente. La journée commence par la revue du programme, l’échange avec les proches collaborateurs, notamment les substituts, le secrétariat, le traitement du courrier, la communication avec la police judiciaire qui est très importante. Elle peut être de manière directe ou téléphonique. Il y a la prise en charge des procès-verbaux d’arrestation qui requiert une certaine célérité, la répartition du travail et les audiences du Procureur du Faso, à savoir recevoir les justiciables qui viennent vers lui pour telle ou telle raison. Voilà succinctement, une journée du Procureur du Faso.

 

Procureur du Faso et du Procureur général. Quelle différence y a-t-il entre ?

 

On situe le Procureur général dans cette organisation judiciaire. Je vous ai tantôt dit que le Procureur du Faso est un organe au sein du TGI. Le Procureur général est un organe près la Cour d’appel qui est une juridiction d’appel supérieure au TGI, et l’autorité supérieure directe du Procureur du Faso est le Procureur général de qui il reçoit les instructions s’il y a lieu, à qui il rend compte, au regard des attributions que la loi lui confie. Pour résumer, le Procureur général est le supérieur hiérarchique du Procureur du Faso et il est logé au niveau de la Cour d’appel. Il y a un cas où, au niveau de la Cour de cassation qui est une juridiction supérieure dont les missions sont différentes de celles de la Cour d’appel, il y a également un Procureur général. Mais il n’y a pas de lien fonctionnel entre le Procureur général de la Cour de cassation et celui de la Cour d’appel ou le Procureur du Faso près le TGI, comme les liens qui existent entre le Procureur du Faso du TGI et le Procureur général près la Cour d’appel. La confusion est souvent entretenue.

 

La loi donne le pouvoir au ministre de la Justice de donner des orientations

 

Pour ce qui est de la hiérarchie entre le Procureur général et le Procureur du Faso, doit-on comprendre que s’il y a des décisions à prendre, le dernier mot revient au Procureur général ?

 

Nous appelons cela le Parquet, qui est l’organe du Procureur du Faso, ou encore le ministère public qui existe auprès du TGI qui, à son tour, existe auprès de la Cour d’appel et auprès de la Cour de cassation ; et pour bien situer la ligne directrice, on va du ministre de la Justice au Procureur du Faso, en passant par le Procureur général. Cela, pour dire que la loi donne le pouvoir au ministre de la Justice de donner des orientations au Procureur général qui, à son tour, peut impulser ces orientations au Procureur du Faso. C’est ce que nous appelons la hiérarchie. C’est une chaîne qui s’explique par le fait que c’est le couloir que la loi accorde à l’exécutif, pour pouvoir entendre sa voix au sein du pouvoir judiciaire qui est indépendant.

L’exécutif, en principe, n’a pas le droit de donner des instructions mais, à travers les Parquets dont le Parquet général du Procureur général, le Parquet du Procureur du Faso, le ministre de la Justice qui est un élément de l’exécutif peut donner des orientations qui impulsent par exemple la politique pénale à travers ses organes, pour faire entendre la voix de l’exécutif au sein du pouvoir judiciaire qui est indépendant. En d’autres termes, je peux accepter que le dernier mot revienne au Procureur général, avec certaines exceptions que les actes posés par un Procureur du Faso ne peuvent être annulés par un Procureur général, même s’ils sont contraires à ses instructions ; ils restent valides.

 

On assiste ces derniers temps à des actes d’insécurité, si bien qu’il n’y a pas un jour qui passe sans qu’on n’en parle. Quelle lecture faites-vous de cette insécurité au Burkina Faso ?

 

En tant qu’acteur principal de la sécurité, notre mission est de contribuer à ce que la sécurité règne. Ça fait un pincement au cœur que l’on reçoive des comptes-rendus successifs où ce sont des actes d’insécurité qui se produisent. Cela interpelle beaucoup. C’est inquiétant et ça nous interpelle quant aux formes d’actions à entreprendre pour être à la hauteur de cette mission que la nation nous a confiée.

 

Quelles pourraient être, selon vous, ces formes d’actions ?

 

La première arme, c’est la concertation entre les acteurs. Les acteurs qui ont la charge de gérer cette sécurité sont composites ; c’est un ensemble de plusieurs composantes, et la première des choses c’est de pouvoir se concerter, se comprendre pour voir tout ce qu’il y a comme dispositif, comme mesures, comme actions et mettre en synergie les forces. Nous avons les forces traditionnelles : Police, Gendarmerie, officiers de police judiciaire, la chaîne judiciaire. Chacun des maillons a un rôle à jouer, et tant qu’il n’y a pas un tandem suffisamment solide, efficace, d’éventuelles incompréhensions peuvent fragiliser cette chaîne. Et cela ne peut que profiter à ces personnes de mauvaise foi.

 

A votre avis, à quoi est due cette recrudescence de l’insécurité au Burkina Faso ?

 

Je la situerai au niveau international. Ces derniers temps, nous avons vu la crise économique et les crises sociopolitiques. Il y a ce qu’on appelle mondialisation. Le monde est devenu petit comme on le dit, de telle sorte que l’information circule beaucoup ; on bénéficie de ce qu’il y a de bon comme de mauvais. Cela explique que l’on ressent ce qui se passe chez le voisin ou ailleurs, et le Burkina ne saurait y échapper, d’où un regain de nouvelle criminalité avec souvent des comportements osés.

 

C’est sur la base du dispositif légal que nous nous fondons pour pouvoir contribuer à la lutte contre l’insécurité

 

 

De quels moyens le Procureur du Faso, en tant qu’un des acteurs de la lutte contre cette insécurité, dispose-t-il pour la combattre ?

 

Etant magistrat et acteur principal de la chaîne, le premier moyen, c’est la loi. Le législateur a mis tout un dispositif légal qui est un ensemble d’outils entre les mains des acteurs. On ne peut pas dire que c’est suffisant, mais on peut toujours l’améliorer. C’est sur la base de ce dispositif légal que nous nous fondons pour pouvoir contribuer à la lutte contre l’insécurité.

 

Existe-t-il des dispositions particulières pour combattre les malfrats ?

 

Les outils de premier plan du Procureur sont le Code de procédure pénale  qui décrit comment prendre en charge les infractions, l’enchevêtrement entre les différents acteurs. Il y a le Code pénal qui prévoit un certain nombre de comportements avec les sanctions appropriées, et aussi d’autres lois dont la plus importante est la loi 17 de 2009 ; la loi, votée par l’Assemblée nationale, lutte contre le grand banditisme et en tant que Procureur, je suis tenu de l’appliquer. Ce sont des outils que nous utilisons quotidiennement pour venir à bout de ce fléau.

 

Que stipule cette loi ?

 

Au regard de certaines difficultés de répression liées peut-être au caractère inadapté de certaines dispositions, les acteurs se sont retrouvés en 2009 pour proposer cette loi qui a été votée par l’Assemblée nationale. Elle est décriée par une certaine opinion qui a peut-être ses raisons mais, en tant que Procureur, c’est un outil qui est actuellement à ma disposition. Je suis tenu de l’appliquer et je l’applique. Il a des résultats, même si certains le critiquent. Ses aspects les plus particuliers sont, entre autres, la garde-à- vue dont la durée est plus longue que la garde-à-vue de droit commun. Nous avons une possibilité offerte aux juges du tribunal de juger des comportements qui, en principe, en temps normal, sont du ressort de la Cour d’appel. Nous avons également la possibilité pour le juge, de prononcer des peines beaucoup plus sévères que les peines prévues par les textes de Droit commun de la compétence de ce juge. Ce sont là, un certain nombre d’aménagements qui sont prévus par cette loi, pour répondre à cette préoccupation très prononcée.

 

Je crois que l’analphabétisme est l’une des grandes composantes de l’incompréhension de la Justice

 

On reproche à la Justice d’être très souvent laxiste car il y a des présumés coupables qui, sitôt arrêtés, sont relaxés quelque temps après. Qu’est-ce qui explique cela ?

 

La nature de la Justice, pas seulement au Burkina, est sujette à caution. Il y a toujours quelque chose à dire sur la Justice, soit qu’elle est trop lente, soit qu’elle est trop rapide. Quelle est la vitesse moyenne ? L’une des  difficultés est que nous avons une population en majorité analphabète. Le système de justice de notre pays est plus tourné vers une population lettrée, une population qui doit être en mesure de suivre des procédures bien tracées par la loi. Le sentiment humain est tel que face à un événement que nous ne comprenons pas, nous concluons tout simplement que ce n’est pas clair, qu’on me fait la force ; de telle sorte que les différentes procédures prévues par nos lois qui ne sont pas souvent connues des justiciables, sont traitées de fausses procédures, qualifiées d’arrangements en quelque sorte. Il y a déjà cette prédisposition. Encore que la Justice est un domaine qui touche à la vie du citoyen, à sa liberté, à sa fortune, bref le côté fondamental de l’Homme. Sur ces questions qui sont très délicates, si le citoyen n’a pas la possibilité de comprendre, le dernier recours, c’est se réfugier souvent derrière ces accusations. On dit qu’aucune œuvre humaine n’est parfaite, mais je crois que l’analphabétisme est l’une des grandes composantes de l’incompréhension de la Justice burkinabè aujourd’hui.

 

Si on prend l’exemple d’un individu qui a été arrêté et qui se retrouve à la Maison d’arrêt, injustement, pendant plusieurs mois, voire des années, en attente d’un jugement. Ne pensez-vous  pas que cette personne, à sa sortie, pourrait avoir des griefs contre la Justice ?

 

Je suis heureux que vous reconnaissiez que quelqu’un peut, par erreur, être emprisonné injustement. D’où la nécessité de connaître la procédure, de bien la suivre et de ne pas jeter l’anathème sur la première personne qu’on prend comme étant un voleur. Il y a ce qu’on appelle la présomption d’innocence qui stipule que la personne arrêtée est présumée innocente jusqu’à ce qu’une décision définitive soit prononcée. Je suis donc d’accord avec vous que c’est une situation préoccupante que de voir une personne arrêtée, mise en détention à la Maison d’arrêt et qui, par la suite, est  innocentée et relaxée. Aujourd’hui, nous avons notre personne, notre notoriété et ce genre de situation est stigmatisante dans notre contexte et c’est dommage ; souvent vu qu’au-delà de cela, il y a ce que nous pouvons perdre. Donc, on se pose souvent la question sur ce qui peut être fait pour restaurer cette personne dans sa dignité et dans ses biens. Le ver est déjà dans le fruit comme on le dit, mais c’est encore mieux qu’à cette étape, on reconnaisse qu’il n’est pas coupable car cela limite un peu les conséquences.

 

Combien de temps  dure une procédure normale?

 

J’ai l’habitude de dire qu’il n’ y a pas de petit dossier ni de grand dossier, et il n’y a pas de délai pour un dossier. Le traitement d’un dossier est tributaire d’un certain nombre de facteurs souvent même indépendants  de la volonté du Procureur et du juge. Il suffit qu’une partie civile ne comparaisse  pas pour que le report d’un dossier soit justifié. Il arrive que, pour une raison ou pour une autre, on ne puisse pas informer la partie civile sur la date de l’audience et qu’elle ne puisse pas comparaître. Cela peut être une raison pour renvoyer le jugement. Il y a beaucoup plus de raisons qui peuvent retarder le dossier et donc lui donner une nouvelle orientation, de telle sorte qu’on ne peut pas lui donner un délai. Le dossier peut venir tout simplement et se compliquer par la suite. Certaines personnes disent que c’est le dossier qui conduit le juge. Autrement dit, on ne peut pas présager de la suite d’un dossier. Souvent, des gens viennent nous voir pour dire qu’ils ont un petit problème. A ce moment, je leur recommande de dire seulement qu’ils ont un problème. Certaines personnes, quand elles viennent, nous disent qu’elles ont un gros problème alors qu’il suffit seulement d’un coup de fil pour que cela soit réglé. Donc, c’est difficile de donner une durée pour le traitement d’un dossier.

 

Parmi tous les dossiers que vous gérez à longueur de journées, quelles sont les affaires qui reviennent le plus souvent ?

 

Le plus souvent, nous rencontrons des affaires de parcelles, de terrains lotis ou non lotis qui divisent fondamentalement des familles. La plupart du temps, ce sont des gens qui se connaissent. C’est souvent les membres d’une même famille qui viennent pour des problèmes d’héritage, et c’est suffisamment sérieux. Une autre catégorie qui connaît actuellement un développement inquiétant, c’est celle des affaires de famille. Que ce soit les problèmes de non-paiement des pensions alimentaires, les problèmes de garde d’enfants, les violences au sein des couples et l’abandon moral et matériel des enfants, ce sont des problèmes sociaux qui quittent la partie civile pour se retrouver sur le champ pénal et qui amènent le parquet à intervenir. Au-delà de cela, nous avons les questions financières, l’abus de confiance et l’escroquerie avec de nouvelles formes. Ces infractions ont toujours existé, mais les moyens  utilisés diffèrent selon l’évolution de la technologie, avec de nouvelles stratégies d’arnaque. Il y a aussi le vol qui est la volonté de soustraire la chose appartenant à autrui avec des moyens différents et avec des victimes dans des contextes différents.

 

« La chaîne pénale est une continuité. Elle ne s’arrête pas à la Police ou à la Gendarmerie »

 

Depuis un certain temps, il y a des présumés délinquants qui sont présentés à la presse. Cette façon de faire est-elle normale ?

 

Je crois qu’il faut voir les attributions de chacun des organes. La police judiciaire, qu’elle soit de la Police ou de la Gendarmerie, doit constater les infractions, donc la violation de la loi pénale, réunir les preuves et rechercher les présumés auteurs. Dans le mot présumé auteur, tout le monde est inclus. Il y a un travail de filtrage qui est fait ensuite. C’est un travail qui est fait souvent dans la précipitation parce que la loi ne leur donne pas suffisamment de temps pour peaufiner leur enquête. La loi ne leur donne pas des outils pour pouvoir dire qui a fait quoi exactement et qui n’a pas fait quoi. Ils réunissent donc des éléments pour les mettre à la disposition d’autres acteurs, afin que la chaîne puisse continuer. Lorsque vous voulez préparer le tô par exemple,  à l’étape de la bouillie, vous avez un début mais ce n’est pas du tô. Donc si vous prenez cette bouillie pour du tô, cela peut poser des problèmes. A l’étape de la bouillie, il faudra donc faire autre chose pour que cela devienne du tô. C’est donc pour dire qu’à l’étape de l’arrestation, le temps, les moyens juridiques et techniques n’étant pas à la disposition de la police judiciaire, elle réunit un certain nombre d’éléments qui doivent faire l’objet de filtrage pour pouvoir dire que X est effectivement coupable. Il peut arriver que X et Y présumés innocents soient arrêtés, photographiés et présentés à la presse avec leurs noms. Mais après le travail du juge, Y peut être coupable et X relaxé, mais les justiciables l’auraient déjà jugé coupable de par sa présentation dans la presse.  C’est la même chose que pour le cas d’une personne injustement enfermée pendant des mois, et chacun de nous peut se retrouver dans une telle situation. Ne disposant pas suffisamment de temps pour instruire en profondeur et permettre aux présumés coupables de disposer des moyens juridiques pour s’expliquer et pouvoir se justifier, lorsque la police judiciaire présente X comme étant le coupable alors qu’il ne l’est pas, qu’est-ce qu’on peut faire par la suite pour le rétablir dans sa dignité, dans son image et dans ses droits ? Dans notre milieu, c’est très difficile. Les noms sont donnés et il y a certaines presses qui montrent les présumés coupables à visage découvert. C’est vrai qu’il y a une volonté de prouver que les acteurs de la sécurité font du travail. On dépense de l’argent pour eux et le citoyen aussi doit connaître les résultats de leurs actions. Mais il faudra faire attention pour que cette volonté de partage de l’information  et aussi de la performance de nos structures, ne sacrifie pas la liberté et la présomption d’innocence de certaines personnes. En résumé, la présentation peut se faire, mais avec d’autres formats qui prennent en compte les droits de ces personnes. Il y a des dossiers qui arrivent souvent à notre niveau et on se demande si c’est le dossier de la même affaire qui a été présentée dans la presse. Je pense qu’il doit y avoir une dynamique d’échanges entre les acteurs, parce que la chaîne pénale est une continuité. Elle ne s’arrête pas à la Police ou à la Gendarmerie. Elle est toute une continuité et chacun doit travailler dans cette dynamique.

 

« Bala le pétrolier est toujours en détention et depuis qu’il est arrivé au parquet, il n’a jamais été libéré ».

 

En d’autres termes, les procédés employés actuellement ne sont pas normaux.

 

Pas de manière péremptoire, mais il y a des manières de faire qui ne sont pas du tout normales. Ce n’est pas tout qui est illégal. Le besoin de recadrer certaines choses, tout en instaurant des échanges entre les acteurs, est très important. Je suis d’accord qu’il faut faire la présentation pour informer les citoyens et aussi décourager ceux qui voudraient s’adonner au banditisme. Mais il ne faudrait pas que le droit à l’information d’un citoyen préjudicie le droit d’un autre citoyen qui verrait son image et sa dignité sacrifiées.

 

A vous écouter, on comprend pourquoi il est parfois demandé de masquer leur visage !

 

L’opinion demande à voir leur visage et c’est son droit. Mais c’est à nous techniciens de voir qu’à cette étape, ils sont présumés innocents. Pendant la garde-à-vue, il y a un travail qui est fait. Le délai de garde-à-vue ne suffit pas pour avoir certains éléments et à la longue, si on approfondit, tout change, alors que l’opinion a déjà retenu un visage et s’en méfie. La procédure de jugement a tout son sens. Que chacun se dise qu’il peut se retrouver dans une telle situation.

 

Combien de temps  dure la garde-à-vue, en cas d’arrestation ?

 

Dans notre code pénal qui date de 1988, la garde-à-vue dure 72 heures prolongeables de 48 heures, selon  la loi. C’est dans ce contexte que l’officier de police judiciaire doit pouvoir interpeller la personne, monter sa procédure, entendre les témoins et les victimes et transmettre le dossier au Procureur du Faso. Mais, nous avons des contextes souvent particuliers et l’exigence est que le Procureur du Faso soit informé pour voir techniquement comment travailler à limiter au maximum le dépassement de ce délai pour que le travail soit bien fait et techniquement exploitable, et aussi qu’on n’exagère pas sur le déplacement. Nous savons que les problèmes de déplacement peuvent se poser avec des difficultés d’adressage et d’adresse. Ce sont des réalités, mais si les acteurs sont en tandem, on peut réduire au minimum les cas de violation. En matière de grand banditisme, la garde-à-vue est de 10 jours et on peut y ajouter 5 jours. C’est le dispositif offert aux enquêteurs pour efficacement lutter contre le grand banditisme qui déroge aux principes des 72 heures.

 

Selon certaines informations, il a été dit, entre-temps, que « Bala le pétrolier » était en liberté. Pouvez-vous revenir sur ce sujet ?

 

La brigade ville de gendarmerie de Kosyam a eu l’occasion de faire un point de presse et a présenté « Bala le pétrolier ». Nous avons ensuite reçu le procès-verbal de l’affaire de « Bala le pétrolier », son équipe et les différents objets qui ont été saisis et mis sous scellé à l’occasion. Son dossier a été examiné et nous l’avons traité, comme on le dit dans notre jargon, sous le coup de la loi « lutte contre le grand banditisme ». C’est cette procédure que nous avons appliquée et il a été placé sous mandat de dépôt. C’est courant octobre que son jugement aura lieu, mais je ne peux pas vous donner une date précise pour le moment. Actuellement, il est sous mandat de dépôt et gardé à la maison d’arrêt. C’est dire que Bala le pétrolier, comme vous le dites, est toujours en détention et depuis qu’il est arrivé au parquet, il n’a jamais été libéré.

 

« Je ne peux pas dire, aujourd’hui, qu’il n’y a pas de corruption dans la Justice »

 

Qu’est-ce que le commun des mortels doit comprendre par « il est mis sous mandat de dépôt » ?

 

C’est à dire que la loi donne la possibilité au Procureur du Faso de décerner un mandat de dépôt dans les procédures de flagrant délit. En d’autres termes, si le Procureur  décide de poursuivre quelqu’un pour le traduire en audience tout en souhaitant le garder en détention jusqu’à cette date, il peut, après l’interrogatoire, décerner contre ce dernier un mandat de dépôt pour qu’il soit gardé à la Maison d’arrêt, jusqu’à ce qu’il comparaisse devant le juge, le jour du  procès. Bala le pétrolier sera jugé publiquement, et à l’occasion nous allons convier toutes les personnes intéressées à venir assister à l’audience.

 

Il est souvent dit que la Justice burkinabè est corrompue. Est-ce un mythe ou une réalité ?

 

La justice est un peu au rythme du fonctionnement général qu’on lui demande, d’être au-dessus de la mêlée. Il faut reconnaître aussi que l’œuvre humaine n’est jamais parfaite. Donc je ne peux pas dire aujourd’hui qu’il n’y a pas de corruption au sein de la Justice. Mais tout ce que je sais, étant moi-même acteur de la Justice, c’est que nous avons des préjugés. Et j’insiste sur le fait que la Justice est essentiellement procédurale. Les justiciables en majorité sont analphabètes, et cela fait qu’on conclut très rapidement que certaines choses ne sont pas claires ou qu’on a été roulé. 99% des actes en justice se font à l’écrit. Vous voulez un casier judiciaire, un certificat de nationalité ou encore déposer une plainte, vous devez écrire. Mais combien de Burkinabè savent le faire ? Alors, beaucoup s’arrêtent à la porte et, voulant souvent la facilité, ne vont pas à la base pour solliciter nos actes. Je tiens à attirer l’attention des justiciables pour qu’ils aillent à la base et ne pas se fier à ceux qui sont autour de nos maisons qui sont, selon eux, disposés à les aider. Ce sont eux qui, le plus souvent, induisent les gens en erreur. Tous ces éléments contribuent à grossir les préjugés et l’appréciation qu’on a de la Justice. La corruption est une œuvre humaine mais je ne pense pas qu’au niveau de la Justice, elle ait atteint le palier qu’on lui attribue.

 

Quand peut-on dire qu’une personne est corrompue ?

 

On dit qu’une personne est corrompue, après une décision judicaire qui condamne cette dernière. Il peut y avoir des suspicions, mais il faudra que la procédure suive son cours, qu’on ait des preuves, avant de condamner la personne. Quant à la corruption elle-même, c’est le fait de prendre quelque chose ou le fait de faire ou de ne pas faire quelque chose en contrepartie d’une faveur ou de toute autre chose, même morale. Cela inclut donc une satisfaction chez la personne qui a fait ce qu’il ne devrait pas faire, ou de celui qui n’a rien fait, alors qu’il le devrait. Certaines personnes disent souvent qu’elles ont fini le travail et que c’est après service qu’on les a remerciées. Mais je pense que la corruption s’étend au-delà de tout cela.

 

« Au sein de la Justice, il y a des magistrats qui sont indépendants et d’autres qui ne le sont pas »

 

Est-ce qu’on peut dire aujourd’hui que la Justice burkinabè est indépendante ?

 

Je pense que l’indépendance est beaucoup liée à l’état d’esprit, et cela s’apprécie à plusieurs niveaux. Au niveau institutionnel, il y a le dispositif légal, mais il y a aussi le comportement des acteurs. C’est donc tout un mélange. Alors, je ne dispose pas de ces outils et je ne peux pas franchir cette frontière et trouver un niveau pour dire que la Justice est dépendante au Burkina. Au sein de la justice, il y a des magistrats qui sont indépendants et d’autres qui ne le sont pas. C’est une question de personne. On aura beau mettre un dispositif suffisamment sécurisé en règle et l’adapter, si le magistrat en charge d’appliquer la loi n’a pas des prédispositions mentales d’indépendance, je ne pense pas qu’il puisse l’être. Il y a un certain nombre de facteurs qui déterminent d’abord cette indépendance mentale, avant qu’elle ne se traduise sur le terrain.

 

Votre mot de la fin ?

 

Je tiens à vous dire merci. Je voudrais surtout rappeler aux citoyens qu’il faut toujours éviter les raccourcis. C’est le vœu que je lance de tout cœur. Je suis un des acteurs de la Justice, et à plusieurs occasions, j’ai vu les conséquences de ces raccourcis. Un bon nombre des maux qu’on jette à la Justice sont principalement dus à ces raccourcis. J’invite donc les citoyens à approcher directement les acteurs, et à s’en tenir à ce que ces acteurs leur diront. Ces acteurs  sont à la disposition des justiciables et s’ils leur demandent des explications, ils les leur donneront.

 

Propos recueillis par Christine SAWADOGO et Adama SIGUE


Comments
  • J’ai lu l’interview de M. SAWADOGO, procureur du faso, j’avoue que je suis restée sur ma faim. La question à savoir une personne qu’on emprisonne ex 2 ans ou plus et la justice se rend compte que c’est une erreur, pensez-vous pas que l’intéressé doit demander des dommages et intérêts ? pour réparation des torts causés. Dans d’autres cieux l’intéressé posera plainte et il gagnera le procès.

    Ces eux les acteurs qui encouragent les citoyens a opter pour les raccourcis. Sinon je peux comprendre qu’on vient à la justice pour demander comment rédiger une simple demande on vous dit d”‘aller dehors les gens vont vous aider” au moins faire un modèle de demandes et afficher les citoyens vont s’en inspirer.

    Je proposerais de créer un cadre de concertation en les différents acteur (OPJ, Gendarmerie, Police, Justice) 3 fois dans l’année ou plus se retrouver et recadrer les choses, travailler en synergie.

    Mci

    9 octobre 2014
  • JUSTICE, LE POURRISSEMENT SOCIAL C’EST EUX,,,,,,,,,,,,,,,,,,,

    10 octobre 2014

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