DR ABLASSE OUEDRAOGO, PRESIDENT DE LE FASO AUTREMENT
Dr Ablassé Ouédraogo est certainement l’un des hommes politiques les plus médiatisés, en tout cas, pour ce qui est de l’année 2019 qui tire inexorablement à sa fin. Dans cette interview réalisée dans le cadre de la rubrique « Mardi Politique », le président de Le Faso Autrement aborde plusieurs sujets et ne manque pas l’occasion, comme à son habitude d’ailleurs, de tirer à boulets rouges sur le pouvoir de Roch Marc Christian Kaboré. Lisez plutôt.
« Le Pays » : Les plus hautes autorités du pays, notamment le Président du Faso, le président de l’Assemblée nationale et les chefs coutumiers et religieux ont reçu une délégation des 14 partis parlementaires dont Le Faso Autrement dans le cadre du programme DIPD / CGD pour le dialogue interpartis. Pouvez-vous nous parler de ce programme ?
Ablassé Ouédraogo : Ces rencontres ont eu lieu dans le cadre du programme danois de renforcement de la démocratie multipartite au Burkina Faso, financé par le DIPD (Danish Institute for Parties and Democracy), et mis en œuvre avec l’appui du Centre pour la gouvernance démocratique (CGD). L’objectif global du projet consiste à promouvoir et à renforcer les fonctions démocratiques des partis politiques au Burkina Faso ainsi que le dialogue politique entre les 14 partis politiques représentés à l’Assemblée nationale dont Le Faso Autrement. Les objectifs spécifiques sont de renforcer les capacités des partis politiques à fonctionner démocratiquement avec une meilleure représentation des femmes et des jeunes au sein de la structure du parti et de créer un espace de dialogue politique et de coopération interpartis au sein d’un système multipartite. De toutes ces audiences et notamment celles que les responsables des partis concernés ont eues dans la journée du vendredi 15 novembre 2019 successivement avec le Mogho Naaba, le Président de l’Assemblée nationale, l’Ambassadeur du Danemark au Burkina Faso et le Président du Faso, pour leur présenter l’évolution de la mise en œuvre du programme, je retiens qu’il est accepté de tous que le dialogue national inclusif, ouvert et sincère, est un facteur de consolidation de la paix, de la stabilité, de la sécurité, du développement et du vivre-ensemble. Le Mogho Naaba nous a entretenus pendant près de deux heures sur la nécessité d’aller au pardon et à la réconciliation nationale en insistant sur le fait que les hommes passent mais que le pays demeure. Plus important encore, le Président de l’Assemblée nationale et le Président du Faso ont exprimé leur soutien non seulement au programme, mais aussi leur adhésion à la dynamique du dialogue. Je retiens donc que tous les ingrédients sont maintenant réunis au Burkina Faso pour le déclenchement du dialogue national inclusif devant aboutir à la réalisation de la réconciliation nationale et je ne suis pas naïf. Les freins au processus sont en train de lâcher et c’est très réconfortant pour moi personnellement. En effet, toutes les personnalités et autorités rencontrées nous ont réaffirmé leur souhait de voir se réaliser cette réconciliation nationale et plus encore, l’unanimité est faite de ce que celle-ci est une impérieuse nécessité et un impératif catégorique pour la construction de la Nation.
Quels sont les objectifs spécifiques de ce programme ?
Les objectifs spécifiques sont de renforcer les capacités des partis politiques à fonctionner démocratiquement avec une meilleure représentation des femmes et des jeunes au sein de la structure du parti et de créer un espace de dialogue politique et de coopération interpartis au sein d’un système multipartite. Je voudrais ajouter que le projet est financé pour une période de trois ans (2018-2020) dont la phase pilote a débuté en juillet 2018. Il met l’accent sur le renforcement de la démocratie interne des partis ainsi que sur l’autonomisation des femmes et des jeunes afin de leur permettre de participer aux activités des partis politiques. Il permet également de mettre en place une plateforme de dialogue entre partis. En outre, le projet prévoit de fournir une orientation stratégique de haut niveau et une formation en matière de politique et de gestion aux partis du Burkina Faso. Les activités du programme ont été élaborées par les quatorze partis politiques représentés à l’Assemblée nationale, avec l’accompagnement et la facilitation du CGD. Ils ont convenu, à l’unanimité, de le baptiser : « Cadre de Dialogue Inter Partis au Burkina Faso (CDIP/BF) ». Les 14 partis politiques suivent et mettent en œuvre toutes les activités y relatives classées en trois grandes catégories. Il s’agit du renforcement des capacités des femmes et des jeunes de moins de 35 ans afin de leur permettre d’occuper activement des fonctions de direction, de plaidoyers conduits par les membres du Cadre auprès des autorités politiques, administratives, coutumières et religieuses et enfin l’ouverture d’un espace de dialogue entre les partis politiques sur un large éventail de problématiques d’intérêt national.
Certains Burkinabè rattachent le concept de la réconciliation nationale à la personne de Ablassé Ouédraogo. Ont-ils raison ? Où en est-on aujourd’hui avec cette réconciliation nationale qui constitue d’ailleurs un sujet qui divise ?
Sans la réconciliation nationale, le Burkina Faso n’a pas d’avenir. C’est un honneur pour moi de savoir que beaucoup de nos compatriotes voient en moi l’homme attaché à la réalisation de la réconciliation nationale. En toute humilité, je dois dire qu’effectivement, je me bats et m’investis depuis toujours, pour la cohésion sociale et le meilleur vivre-ensemble des Burkinabè de tous horizons et de toutes origines sans distinction aucune. La gestion de la Transition, et plus grave encore, la politique de division du peuple en deux camps, celui des insurgés contre celui des non-insurgés, au sortir de l’insurrection populaire, a fini de mettre le feu aux poudres. Tout le monde sait que notre pays a une position géostratégique extrêmement compliquée puisqu’il est entouré de pays en guerre ou fraîchement sortis de guerre. Mieux, notre pays a été médiateur dans plusieurs conflits régionaux, avec les succès que nous connaissons tous. Dans une telle ambiance, la seule politique qu’il aurait fallu appliquer à l’exception de tout autre, aurait dû être de travailler pour le rassemblement. On ne devait surtout pas s’amuser à chercher à démarquer les mauvais Burkinabè des bons. Certes, on me dira que la foule exigeait des têtes car ayant trop souffert d’une gestion exclusive du pouvoir d’Etat par le CDP et ses alliés. D’accord, mais c’est quoi être un leader ? C’est quoi le leadership ? Un leader c’est celui qui a une vision claire du bien-être collectif et qui, tout en mettant de côté ses propres ressentis et/ou frustrations, canalise et éduque sa base, la foule ou le peuple en l’occurrence, afin que de manière constante, chacun ait conscience du fait que ce qui nous unit, est et sera toujours plus fort que ce qui nous divise, et que nous avons tous un destin commun qu’on appelle le Burkina Faso. En conséquence, nous vivons tous la division et la suspicion aujourd’hui. Après s’être acharné à diviser l’armée, diviser le peuple au moment même où il fallait absolument rassembler tout le monde autour d’un idéal commun, on est surpris que le pays soit instable, frappé par une crise sécuritaire, économique et sociétale jamais connue sur la terre sacrée du Burkina Faso. Soyons clair : la situation que nous vivons aujourd’hui, a des causes lointaines évidentes mais elles sont aussi directement imputables aux différents hommes forts du pays depuis octobre 2014. Je voudrais donner un exemple simple et clair du manque de leadership et de clairvoyance des gouvernements successifs depuis l’insurrection. Pourquoi depuis la démission du Président Blaise Compaoré et son exil en Côte d’Ivoire, aucun gouvernant n’a jugé pertinent de faire une démarche en direction de l’ancien Président du Faso pour lui demander de regagner sa terre natale et d’y vivre ? Ne pensez-vous pas que quelqu’un qui a façonné, maîtrisé et dirigé l’appareil d’Etat (armée, classes politique et économique) pendant 27 ans, serait plus utile au pays s’il était présent sur le sol national ? Un leader, c’est celui qui se demande à chaque instant de sa vie et à chaque prise de décision, quelle est la meilleure chose à faire dans l’intérêt de son peuple et de son pays. Comme on dit, nous avons raté le coche mais il n’est jamais tard pour nous ressaisir et éviter de sombrer définitivement dans le chaos. C’est cela le sens de ma lutte et de mon action politique depuis plusieurs années. Je suis fier d’avoir été à l’initiative, avec d’autres partis, de la Coalition pour la Démocratie et la réconciliation nationale (CODER), qui est la première et peut-être la seule organisation à ce jour, à avoir élaboré un Mémorandum pour la Réconciliation nationale au Burkina Faso, qui a été remis en main propre à toutes nos autorités. Ledit mémorandum a été remis le mardi 13 février 2018 au Président du Faso qui a promis de nous revenir mais manifestement, son emploi du temps super chargé ne lui a pas encore permis d’étudier nos propositions, et nous dire ce qu’il en pense. Entre- temps, le simulacre de dialogue politique a été organisé du 15 au 22 juillet 2019 pour amuser un peuple qui souffre et pleure : chacun saura apprécier en son temps. Dans toutes nos déclarations, prises de paroles ou prises de positions, je mets la réconciliation nationale au centre, au cœur de mon action, et ceci pour une raison simple. Dans la situation actuelle, rien n’est possible, aucun développement n’est envisageable si nous ne nous asseyons pas tous ensemble autour d’une même table pour panser ensemble nos plaies, réconcilier les Burkinabè entre eux, réconcilier le Burkina Faso avec lui-même, et envisager ensemble un Burkina Faso prospère, sécurisé et stable où il fera bon vivre pour tous et pour chacun. C’est cela le mieux vivre-ensemble, et ce n’est pas possible sans une réconciliation nationale inclusive, sincère et ouverte, qui s’impose comme une impérieuse nécessité et un impératif catégorique pour la construction de l’unité nationale et de la Nation. La réconciliation nationale est l’affaire de tous ensemble et pas d’un individu ou d’un groupe d’individus.
Vous faites un lien entre la situation d’insécurité actuelle au Burkina Faso et le besoin de réaliser la réconciliation nationale. En quoi faut-il établir un lien entre ces deux aspects ?
Ce n’est pas moi qui fais le lien, qui n’est qu’une évidence. Et les gouvernants auront beau faire dans le déni de réalité, ce lien est là. Il faut espérer qu’ils en prennent conscience avant qu’il ne soit vraiment trop tard. Le peuple, lui, le sait et le réclame : le Burkina Faso aujourd’hui est divisé et va très mal. Le Burkina Faso vacille, mais le peuple reste fort et digne et réclame une véritable union de tous les fils et filles de notre pays à travers la réalisation de la réconciliation nationale. A chacune de mes sorties, même privées, je rencontre des jeunes, des femmes et des hommes qui m’encouragent et me disent de ne surtout pas abandonner mon combat. Car le message que je porte, est le seul qui vaille et le seul qui puisse sauver notre pays. Toutes ces personnes que je croise ne sont malheureusement ou heureusement pas des membres de mon parti politique, et peut-être ne voteront jamais ni pour moi ni pour ma formation politique. Pourtant, elles viennent spontanément vers moi et me disent : continuez votre démarche, nous avons besoin de nous rassembler, de nous parler, de nous écouter, de nous pardonner mutuellement. En un mot, de nous unir pour avancer tous ensemble. Le lien entre l’insécurité croissante et généralisée et le besoin de réaliser la réconciliation nationale est évident, parce que seule la réconciliation nationale, vecteur essentiel pour le renforcement de la confiance et de la solidarité, et de la construction de l’unité nationale, nous permettra d’arriver à bout de l’insécurité et là, vous me demanderez pourquoi. Je vais vous dire. Qui peut aujourd’hui nous dire qui nous attaque ? Contre qui sommes-nous en guerre ? Contre qui se battent nos vaillantes Forces de défense et de sécurité (FDS) ? Quel pays ou quelles organisations terroristes attaquent notre pays et nos populations ? Ne nous voilons pas la face : pour peu qu’on mette de côté l’appellation hypocrite d’«individus armés non identifiés », on s’aperçoit qu’aucun pays n’a entrepris aucune campagne contre le Burkina Faso. Certes, des groupes de bandits, de terroristes profitent de la situation pour venir faire leur marché chez nous, on ne peut pas le nier. Mais là n’est pas la source première de notre malheur. La plupart des terroristes abattus sont des Burkinabè, mais depuis ce temps, aucune autorité nationale n’a publiquement pris la parole pour se demander pourquoi des fils du Burkina Faso prennent des armes contre les fils du même Burkina Faso. Pourquoi des populations entières qui, jadis, cohabitaient paisiblement, en arrivent-elles aujourd’hui à s’entretuer ? En réalité, notre ennemi n’est pas externe, et on a tort de comparer et surtout de mélanger notre situation à celle des pays frères et amis, que sont le Mali et le Niger qui, eux, font face à des velléités indépendantistes ou sécessionnistes. Pour le moment, notre pays échappe aux conflits régionalistes et religieux, mais si nous n’y prenons garde, cela nous arrivera et c’est pour cela que nous devons aller dès maintenant à cette réconciliation nationale inclusive, sincère et ouverte, avec tous et ensemble.
Comment, selon vous, le Burkina Faso doit-il combattre le terrorisme et s’en débarrasser définitivement ?
Ecoutez, déjà, c’est clair que le tout militaire ne règle rien, et nous le voyons tous les jours. Si les autorités acceptaient de communiquer les chiffres exacts de nos dépenses militaires depuis que cette guerre asymétrique a commencé, je suis sûr que les Burkinabè auraient mal à la tête. Pourtant, rien n’avance puisque la situation se détériore de plus en plus. Face à cela, ne serait-il pas plus indiqué d’explorer d’autres solutions et d’autres stratégies? Pour bien illustrer ma réponse, je voudrais revenir sur le cas malheureux de Yirgou. Tout le monde a pleuré et s’est indigné après les massacres dans cette localité le 1er janvier 2019, mais aucune de nos autorités ne s’est sérieusement penchée sur les causes profondes, lointaines et immédiates de cette tuerie. Il ne suffit pas de nous dire que la Justice s’est saisie de l’affaire et que les coupables seront recherchés et traduits devant les tribunaux. Non, c’est trop facile et surtout ça ne garantit nullement la non- répétition. Ce qu’il aurait fallu faire parallèlement au travail indispensable de la justice, c’est de remettre l’Etat dans cette localité, et quand je dis l’Etat, je parle ici de l’ensemble des structures indispensables à une vie épanouie en société (commission commune de concertation et de gestion de l’espace commun, brigade de gendarmerie, centre de santé, école, eau et assainissement). Si tout cela existait, on aurait pu éviter cette tuerie. Lorsque les populations se sentent abandonnées, elles cèdent plus vite aux mauvaises sirènes. L’Etat doit réinvestir toutes les localités du pays et quand je dis l’Etat, il ne s’agit pas seulement de la police et de la gendarmerie ou encore de l’armée. C’est d’abord les structures de gestion concertée et partagée des espaces à l’échelle locale. A la base, nos populations sont, soient des éleveurs, soient des agriculteurs, et cela n’a pas changé dans les campagnes. C’est dire qu’avec la croissance démographique et la raréfaction des cours d’eau, les petites tensions peuvent dégénérer rapidement en drames, surtout qu’on sait que la situation politique nationale est caractérisée par la mauvaise gouvernance et le partage clanique des richesses nationales. La solidarité nationale doit être effective même dans les contrées les plus éloignées de notre pays car l’éleveur qui voit tous ses animaux mourir de faim et de soif, tout comme l’agriculteur qui n’a plus de terre à cultiver, s’ils ne se sentent pas aidés, deviendront des candidats kamikazes tout désignés. Comprenons une fois pour toutes, que seule l’union sacrée des fils et des filles de ce pays, reste la solution adéquate pour vaincre l’insécurité. C’est ma profonde conviction.
Etes-vous pour ou contre la présence militaire française au Burkina Faso ?
Je voudrais d’abord saluer la mémoire de ces 13 soldats morts le 25 novembre 2019 à Menaka au Mali au service de l’humanité et de la sécurité de leur propre pays aussi, la France. Chaque vie fauchée dans la lutte contre le terrorisme, est une vie perdue de trop, quelles que soient les manières dont ces vies ont été ôtées et quelles que soient les nationalités des personnes décédées. Je voudrais donc, en mon nom personnel et au nom des militants, amis et sympathisants du parti Le Faso Autrement, présenter nos sincères condoléances aux familles des victimes et exprimer notre compassion à l’ensemble du peuple français, ami et frère du peuple burkinabè. Nous présentons également nos condoléances à nos frères nigériens qui viennent de perdre près de 71 soldats. Nous espérons que toutes ces vies fauchées n’auront pas été des vies inutilement perdues. Votre question nous conforte dans l’idée que la solution dans cette lutte contre le terrorisme, ne saurait être seulement militaire. Nous comprenons cette hostilité grandissante au sein de la population. En effet, le citoyen naïf ne comprend pas que malgré l’engagement sur le terrain de la toute puissante armée française, le terrorisme ne recule pas. Au contraire, si ce n’est qu’il gagne du terrain. On a tôt fait de se laisser aller aux amalgames et théories des complots. La réalité est tout autre et croyez bien que ça me fait mal de l’admettre mais si la France n’était pas intervenue militairement en janvier 2013, l’Etat malien tel que nous le connaissons aujourd’hui, n’aurait peut-être plus existé. Et mieux, si l’armée française se retire maintenant, les Etats malien et burkinabè, très probablement, ne seront plus viables. C’est une évidence et comme je l’ai dit plus haut, j’ai mal de le reconnaître. Nos pays ne sont pas suffisamment aguerris pour faire face aux menaces réelles et terrifiantes que constituent le terrorisme et l’obscurantisme dans notre région. Les mauvais choix successifs dans la gouvernance, depuis les indépendances de nos pays, nous ont conduits dans ce gouffre. Mais il appartient à la génération consciente d’aujourd’hui de faire de notre malheur une formidable opportunité pour nous relever et faire face. Je voudrais paraphraser le leader chinois, Mao Tsé Toung, qui disait ceci : « Le ciel est très nuageux, la situation est excellente ». Ce qu’il veut dire par là est que c’est lorsque tout semble noir et perdu qu’il faut justement trouver la force pour combattre avec intelligence et vaincre. Nous ne devons pas confondre chauvinisme et patriotisme. Ce que nous devons faire aujourd’hui, c’est de comprendre et reconnaître que seuls, nous ne pouvons pas vaincre. Ce que nous devons faire, par contre, c’est exiger de nos gouvernants une renégociation des accords militaires et de coopération afin que la présence des militaires français sur nos sols, serve effectivement à un transfert de technologies, de connaissances, de compétences, mais aussi et surtout de moyens afin que nos armées, à court terme, soient capables de faire face, seules, à toutes les menaces. Nous devons également exiger de nos gouvernants de tout faire pour qu’il n’existe plus un seul centimètre carré de notre pays où l’Etat ne serait pas présent à travers les structures de gestions concertées, donc de prévention des conflits et aussi à travers les infrastructures socio-éducatives et de santé. Aucun citoyen burkinabè ne doit se sentir mis à l’écart ou oublié. Et pour être plus complet sur cette question, je voudrais fustiger les propos, pour le moins surprenants, tenus par le ministre des Affaires étrangères lors de son intervention sur la radio Omega FM, le 1er décembre 2019, qualifiant de terroristes les populations qui demandent le départ de l’armée française. Le drame ici est que cet autre son de cloche et les propos du président du Faso himself à l’occasion de la célébration du 59e anniversaire de l’indépendance de notre pays, sont venus renforcer la cacophonie gouvernementale sur la relation entre le Burkina Faso et la France comme sur beaucoup d’autres sujets.
D’aucuns dénoncent, en cette fin d’année, une hausse de la pression fiscale sur le contribuable burkinabè. Quel est votre avis sur le sujet?
C’est connu de tous : la principale ressource financière d’un Etat, c’est l’impôt, autrement dit, la contribution obligatoire de tout citoyen à l’effort national de développement et de solidarité. Il est donc normal que chacun de nous s’acquitte de ses impôts et taxes pour permettre à notre Etat et donc à nos administrations, de bien fonctionner. En fin d’année, les différentes régies financières à qui des objectifs chiffrés ont été assignés, se voient obligées de mettre la pression sur les retardataires et les fraudeurs pour que chacun donne sa contribution. Une fois qu’on a dit cela et rappelé ce principe fondamental, on peut soulever les deux principaux problèmes que pose cette pression fiscale. Le premier, à mon avis, est que cette pression fiscale provoque une asphyxie de l’activité économique du pays et au final, retombe toujours sur le bas-peuple qui a déjà du mal à s’assurer un repas quotidien. Le dernier trimestre de l’année correspond à la période où tout le monde veut faire des économies pour bien passer les fêtes de fin d’année et les temps sont généralement durs pour tout le monde. Le deuxième problème, le plus important d’ailleurs, à mon avis, concerne l’utilisation qui est faite de ce trésor commun. On est plus enclin à participer à une caisse commune lorsqu’on est sûr que l’argent récolté sera bien utilisé et que tout le monde en bénéficiera. Quelle communication est faite au sujet de l’utilisation de nos impôts ? Aucune ! Au contraire, ce sont les scandales financiers à répétition, les cas de malversations de plus en plus nombreux sur des montants de plus en plus gros, qu’on sert au peuple. Nos gouvernants ont encore du mal à penser au bonheur collectif qui, pour eux, doit être une notion abstraite ou utopique. Je ne prône ni l’incivisme fiscal ni le misérabilisme administratif, mais je dis simplement que nous gagnerions tous à comprendre que nous ne pourrons jamais être véritablement heureux seuls, lorsque le peuple peine à vivre.
Dans le même ordre d’idée, que pensez-vous de la récente hausse des prix des produits pétroliers à la pompe ?
C’est la même chose. On donne l’impression de vouloir soutirer par tous les moyens les maigres sous de la population pour remplir les caisses de l’Etat. C’est vrai qu’il y a une structure de péréquation des prix des produits pétroliers, mais tout se passe dans une opacité totale et complète. Qui dit péréquation dit ajustement des prix à la pompe compte tenu des fluctuations enregistrées sur les marchés internationaux. Dans le cas d’espèce, cette dernière hausse intervient alors que la tendance au moment où elle est intervenue, était à la baisse.
Comment s’organise votre parti en vue des prochaines échéances électorales ?
Comme nous le vivons tous, le Burkina Faso devient de plus en plus un pays où les libertés individuelles et collectives sont constamment piétinées et le musellement des voix dissonantes est méthodiquement appliqué. Toujours est-il que Le Faso Autrement, malgré cette atmosphère négative et agressive teintée d’injustices, garde la tête froide et poursuit la mise en œuvre de son programme d’enracinement dans les localités du Burkina Faso profond. Les instances et organes du parti poursuivent inlassablement le travail de sensibilisation à la base avec pour principal message que la réconciliation nationale est une impérieuse nécessité, et un impératif catégorique si nous voulons que notre pays redevienne le havre de paix qu’il était. Tous les Burkinabè savent que Le Faso Autrement est parmi les 14 partis parlementaires de notre pays, et constatent que notre parti, membre de l’opposition politique dont le CFOP en est le porte-parole, contribue activement à l’animation de la vie politique et au renforcement de la démocratie dans notre pays. En toute objectivité, Le Faso Autrement est tout aussi méritant que les partis de l’Opposition politique parlementaire, décorés le 6 décembre 2019 à l’occasion de la commémoration du 59e anniversaire de l’indépendance de notre pays. C’est l’occasion de remercier tous ceux et celles qui expriment aux militants et sympathisants de notre parti ainsi qu’à nous-même, leur grand étonnement sur le fait que Le Faso Autrement n’a pas été pris en compte dans la décision du Grand maître des Ordres burkinabè. Le Burkina Faso est le pays de tous les possibles, et cette omission nécessite réparation. Nous poursuivons la mise à jour de notre projet de société compte tenu des défis divers de plus en plus grands que doit relever le Burkina Faso. C’est d’ailleurs, à cet effet, que nous envisageons de réaliser très prochainement une plateforme participative des suggestions et propositions de nos compatriotes à la base pour sortir du marasme et éviter le péril absolu qui pointe à l’horizon. L’objectif de cette plateforme participative est de dresser une ossature du nouveau pacte social national qui doit être le Bien-Etre pour tous évidemment. Nous pensons, au parti Le Faso Autrement, que la réconciliation nationale doit être au centre et même au cœur de l’action politique nationale à partir de maintenant et pour les années à venir. Mais nous avons aussi voulu faire en sorte que les populations se sentent concernées par les décisions et surtout les orientations qui seront les nôtres. Il y a trop souvent une déconnexion totale entre les élites nationales et les réalités de terrain. C’est pour cela que Le Faso Autrement a voulu faire autrement en partant de la base avec les idées, les propositions, les impératifs et les besoins réels pour remonter au sommet afin de proposer un projet dans lequel tout le monde se reconnaît, qu’on soit jeune ou vieux, femme ou homme, agriculteur ou éleveur, du Nord ou du Sud, de l’Est ou de l’Ouest etc. Il est important que nous pensions autrement notre vivre- ensemble et c’est ce que nous faisons sur le terrain, sans tambour ni trompette, mais avec l’espoir que nos efforts seront couronnés d’un succès dont profitera tout le peuple burkinabè.
Comptez-vous vous présenter à la prochaine présidentielle ?
Une chose est sûre, le parti Le Faso Autrement sera bien présent aux prochaines élections générales. Notre ambition et notre objectif sont d’y aller dans le cadre d’une coalition gagnante. C’est donc pour cela que nous nous évertuons à construire un regroupement au sein duquel les intérêts des individus ne comptent pas, mais comme vous le savez, ce n’est pas une tâche facile. Nous le faisons cependant, avec détermination et objectivité. Lors du congrès que nous prévoyons d’organiser courant mars 2020, le parti Le Faso Autrement se prononcera sur la personne qui incarne le mieux notre vision pour un Burkina Faso réconcilié avec lui-même et dans lequel les Burkinabè sont réconciliés entre eux pour un vivre-ensemble dans le bonheur et la confiance et un développement harmonieux de notre pays.
Ablassé Ouédraogo donne l’impression de s’attaquer à tout le monde, et le dernier exemple en date, est le CFOP qui, normalement, devait être son allié politique. Quels sont vos griefs contre Zéphirin Diabré ?
Beaucoup de nos compatriotes pensent qu’entre le président Zéphirin Diabré et moi, il s’agit d’une querelle de personnes. Mais non et pas du tout, absolument pas. Ce que je reproche au CFOP, c’est la manière hypocrite et sournoise de détourner la loi et les vides juridiques au profit des intérêts personnels et égoïstes. Sur d’autres plans, M. Zéphirin Diabré et moi sommes partenaires et çà se passe plutôt pas mal, mais jamais, je ne me tairai face à l’arbitraire et à la mal gouvernance. Je ne voudrais pas m’étendre trop longtemps sur ce même sujet, mais comme la répétition est pédagogique et comme j’estime que personne n’est totalement insensible au point de persévérer dans le mal, je dirai que je reproche deux choses essentielles au CFOP. La première est de vouloir empêcher, sans s’assumer clairement, le parti Le Faso Autrement de jouer le rôle qui est le sien au sein d’une opposition politique républicaine et dynamique. En fait, on craint que Le Faso Autrement, au CFOP, empêche les gens de détourner en rond et de s’engraisser sur le dos du peuple. Tout ceci est fait sournoisement parce qu’on refuse de s’assumer. Lorsque vous refusez un droit constitutionnel à une formation politique, vous devez avoir le courage de dire ouvertement la motivation de votre refus. Tel n’est pas le cas, ici, malheureusement. La seconde chose que nous reprochons au CFOP est de faire volontairement ou involontairement le jeu du pouvoir MPP en contenant l’opposition dans une léthargie qui, de fait, permet d’asseoir le pouvoir du Président Kaboré et du MPP et ouvre un boulevard pour le renouvellement de cette équipe qui est en train de conduire le peuple burkinabè dans le désastre que nous vivons aujourd’hui et au chaos total certain sous peu. Les faits sont têtus et les récentes illustrations de leurs complicités, crèvent les yeux.
Qu’est-ce qui vous a marqué en cette année 2019 qui s’achève et quels sont vos vœux à l’endroit du peuple burkinabè en 2020 qui pointe à l’horizon ?
Le Burkina Faso a ouvert l’année 2019 dans l’horreur avec les tueries de Yirgou le 1er janvier, qui sont restées jusqu’à ce jour impunies. Tout au long de l’année 2019, l’insécurité a connu une recrudescence exponentielle dont la conséquence directe est l’accroissement du nombre de personnes déplacées internes et leur nombre avoisine le millier aujourd’hui. L’on pourrait penser que la gestion catastrophique du drame de Yirgou a probablement pu influer sur la dégradation de la situation sécuritaire dans notre pays. Le refus des gouvernants de décréter un deuil national à la mémoire des victimes de Yirgou, comme nous l’avons demandé en son temps, a été le comble. Sans remuer le couteau dans la plaie, la quantité de sang versé et le nombre ahurissant de vies arrachées en 2019 et pour la mémoire desquelles je m’incline avec respect et humilité, tout en compatissant à la douleur de leurs familles et proches, auront marqué et jalonné l’année 2019 qui referme ses portes dans quelques jours. En plus de cette situation d’insécurité galopante et effrayante, les gouvernants de notre pays sont restés constants dans la mal gouvernance, teintée d’une forte corruption et d’un incivisme ancré dans le quotidien, l’exclusion et le sectarisme au sommet de l’Etat. Aucune activité et aucune vie ne sont possibles dans l’insécurité. Par conséquent, pour l’année 2020 qui s’annonce, je souhaite au Burkina Faso et aux Burkinabè, la sécurité et la paix réelle et tout naturellement la réalisation de la réconciliation nationale, qui doit être inclusive, ouverte et sincère afin que le vivre-ensemble et la cohésion sociale soient consolidés dans notre pays. L’année 2020 étant une année électorale, donc une année de tous les dangers, qu’il plaise à Allah, Le Tout Puissant, d’apaiser les éventuelles tensions et mettre le peuple burkinabè et ses dirigeants sur la voie de la réconciliation nationale, du pardon, de l’amour réciproque et de la solidarité agissante. Dieu aime le Burkina Faso, aux Burkinabè de s’aimer les uns les autres.
Propos recueillis par la Rédaction