HomeA la uneDr PAULIN SOMDA : « Les personnes souffrant de la drépanocytose doivent boire beaucoup d’eau »

Dr PAULIN SOMDA : « Les personnes souffrant de la drépanocytose doivent boire beaucoup d’eau »


La drépanocytose est une maladie génétique (la plus répandue au monde), héréditaire (naître avec), qui touche les globules rouges du sang se caractérisant par une anomalie de la forme de l’hémoglobine (hémoglobine S falciforme). Cette maladie tue plusieurs personnes au Burkina Faso, notamment les enfants de moins de 5 ans. Le 19 juin de chaque année, est célébrée la Journée mondiale de lutte contre la drépanocytose par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) depuis 2010.  C’est dans ce cadre que nous avons réalisé cette interview avec le  coordonnateur national du Programme de lutte contre les maladies chroniques non transmissibles au ministère de la Santé, Dr Paulin K. Somda, le 20 juin dernier à Ouagadougou. Lisez plutôt !

 

« Le Pays » : Qu’est-ce que la drépanocytose ?

 

Dr Somda : La drépanocytose est une maladie génétique (la plus répandue au monde). Elle est héréditaire et touche les globules rouges du sang se caractérisant par une anomalie de la forme de l’hémoglobine (hémoglobine S falciforme). D’où la difficulté dans leur rôle de transporter l’oxygène dans tous nos organes, car ces globules rouges malformés, « falciformes », peuvent obstruer les petits vaisseaux sanguins et empêcher la circulation sanguine. Ces globules rouges sont souvent rapidement détruits, entraînant ainsi des anémies.

 

La drépanocytose est une maladie qui n’est pas guérissable actuellement, en dehors de quelques cas exceptionnels avec des greffes de moelle. Et les personnes atteintes des formes majeures de la drépanocytose que sont les homozygotes SS, CC et les hétérozygotes SC, souffrent de crises douloureuses par manque d’oxygène et sont par conséquent exposées à des infections bactériennes fulminantes, à des complications parfois graves et mortelles, des défaillances multi organiques comme le priapisme (érection permanente et douloureuse) chez les sujets de sexe masculin.

Cependant, des mesures de lutte axées sur la prévention, le traitement et le soutien peuvent être mises en place et permettre d’améliorer aussi bien la qualité de vie que l’espérance de vie des personnes souffrant de drépanocytose.

 

Quelles sont les manifestations qui sont souvent observées ?

 

La crise (hyper) douloureuse caractérise la maladie intense, imprévisible pouvant toucher tous les os, durer plusieurs jours et qui nécessite des médicaments efficaces.

 

En dehors des crises

 

Chez les enfants :

Anémie (SS) d’où prise régulière d’acide folique ;

Infections graves, vaccin contre le pneumocoque, injection pénicilline tout le temps ;

Paludisme qui aggrave l’anémie et déclenche les crises.

D’où la nécessité d’un suivi préventif régulier par un agent de santé.

Les enfants de moins de 5 ans payent le plus lourd tribut, car la majorité de ceux qui sont atteints de la forme « SS » meurent avant.

 

Chez l’adulte, des complications chroniques peuvent survenir au niveau  des yeux (rétinopathies), des hanches (radiographie régulière pour éviter la nécrose fémorale) et de la peau.

 

Quelle est l’ampleur de la drépanocytose au Burkina Faso ?

 

La drépanocytose constitue un problème de santé publique dans notre pays, à l’instar des autres pays d’Afrique subsaharienne. C’est une maladie grave qui touche un grand nombre de familles.

Les enfants de moins de 5 ans payent le plus lourd tribut, avec la majorité des enfants atteints de la forme la plus sévère « SS » de la maladie qui meurent le plus souvent d’une infection ou d’une anémie grave. Ceux qui survivent, restent vulnérables aux poussées de la maladie et aux complications.

Les données disponibles sont parcellaires et ne concernent pas tout le pays; ces données disponibles estiment que sur 100 000 nouveaux-nés, 600 sont drépanocytaires homozygotes SS et 1 150 doubles hétérozygotes SC. Enfin, 7 150 sont des porteurs du trait drépanocytaire (AS) ; donc une incidence annuelle d’environ de 2% des naissances par an.

 

Qu’en est-il de son traitement ?

 

Les complications aiguës  qui sont caractérisées par des crises douloureuses, se traitent par des antidouleurs tels que le Paracétamol ou AINS et de l’ibuprofène. Mais, la morphine reste le traitement de référence des douleurs intenses. Malheureusement, elle n’est pas souvent disponible, et en plus, elle a beaucoup d’effets secondaires et est même difficile à manier. En cas de priapisme, un apport liquidien abondant et des antalgiques suffisent parfois. Mais, quand il dure plus d’une heure, il faut faire des injections intra-caverneuses de vasoconstricteurs telle l’adrénaline, avec cependant des risques de troubles cardiovasculaires.

 

Pour les infections, pour toute fièvre, il faut rechercher un foyer infectieux, ATB probabiliste contre le pneumocoque (amoxicilline), prélèvement bactériologique.

Une prise quotidienne de pénicilline (Péni G injectable ou Péni V oral) jusqu’à l’âge de 5 ans chez les enfants SS est conseillée.

En plus des vaccinations classiques pour la population, les vaccins anti-pneumocoque, anti-méningocoque, anti Hi et anti-grippal sont proposés. A cela, il faut ajouter l’administration quotidienne d’acide folique à titre prophylactique, contre les anémies.

 

Le traitement de fond pour certaines formes graves de drépanocytose.

La diminution, la fréquence et la gravité des complications se font par l’hydroxy urée ou hydroxycarbamide (comprimé de 200 et 500 mg), par des spécialistes, afin de diminuer les crises douloureuses et la mortalité (chez les plus de 2 ans dans les formes graves). Beaucoup de complications à long terme.

 

Les transfusions sanguines répétées

 

Le FACA (gélules de 80 et 100 mg) est un phytomédicament en poudre végétale extrait d’écorces et de racines de deux plantes de la flore burkinabè. Il est indiqué dans le traitement symptomatique de la crise chez l’enfant et l’adulte, le traitement préventif des complications. Il empêche les globules de se déformer, anti-inflammatoire contre la douleur et le corps chaud, dilate les vaisseaux sanguins et tonifie le cœur.

 

Quelle est l’organisation en place pour lutter contre la drépanocytose au Burkina Faso ?

 

Au Burkina Faso, il n’y a pas encore d’interventions spécifiques de santé publique pour la lutte contre la drépanocytose.

La prise en charge des cas se fait à différents niveaux de soins du pays selon les complications en présence. Il faut noter qu’en dehors des formations de base de tout agent de santé, ces trois dernières années, en collaboration avec des partenaires comme le Comité d’initiative contre la drépanocytose (CID) Burkina, il y a eu :

– la formation d’environ 400 médecins et infirmiers sur le dépistage et la prise en charge de la drépanocytose ; et surtout le suivi préventif ;

– l’élaboration et la distribution d’un guide de prise en charge de la drépanocytose à l’intention des agents de santé ; des formations pour la prise en charge de la douleur chez le drépanocytaire, des campagnes de dépistage aussi bien néonatal, en particulier lors de la commémoration de JMD les 19 juin par les associations, que natal. L’examen de dépistage et le diagnostic de la drépanocytose font partie du paquet de soins lors des CPN des femmes enceintes (électrophorèse de l’hémoglobine), du bilan prénuptial pour donner les conseils génétiques nécessaires pour le mariage.

Il y a aussi la mise en place, en 2013, du PNMNT qui prend en compte la drépanocytose.

 

Quels conseils donnez-vous aux malades drépanocytaires et à leurs parents ?

 

Les personnes souffrant de la drépanocytose doivent boire beaucoup d’eau, surtout  en cas de fièvre, de diarrhée ou des vomissements.

Elles doivent éviter le froid. Aussi veiller à la bonne prise des médicaments préventifs (ATB, Ac. folique) et à ce que les vaccins soient à jour.

Ils doivent aussi prendre les médicaments contre la douleur dès son apparition et régulièrement toutes les 6 ou 8 heures.

Une consultation régulière s’impose, (tous les 3 mois) pour les jeunes enfants et tous les 6 mois pour les autres.

Ne pas porter de vêtements serrés.

Avoir une alimentation saine avec de la nourriture variée, surtout en viande.

Pratiquer le sport, mais s’arrêter dès l’apparition de sueurs abondantes ou d’essoufflement.

Mais, c’est avant tout la prévention même de la drépanocytose, car elle a des implications sociales et économiques importantes pour le malade et sa famille. Les crises récurrentes de la maladie ont un impact sur la vie des malades, en particulier pour la scolarisation et le développement psychosocial.

Primaire : éviter la naissance d’enfant drépanocytaire par le biais des conseils génétiques

Secondaire : le dépistage précoce, mieux avant 6 mois de vie,

Tertiaire : mais aussi limiter l’impact des handicaps liés à la drépanocytose

 

Quelles sont les perspectives au niveau du ministère ?

 

Il y a des insuffisances dans la lutte contre la drépanocytose au Burkina Faso.

La drépanocytose est un problème de santé mal connu des patients, des familles, de la population en général et même de certains agents de santé en particulier.

D’où :

– une insuffisance du dépistage individuel;

– un retard du diagnostic et de prise en charge  précoce des cas;

– la diffusion et la persistance de fausses informations au sein de la population;

– la non-prise en compte par les futurs couples des résultats du dépistage prénuptial.

En perspectives, le ministère de la Santé envisage à court terme :

– l’élaboration de directives et protocoles de prise en charge de la drépanocytose pour tous les niveaux de soins ;

– l’élaboration d’un guide commun de prise en charge de la drépanocytose (avec 5 autres pays) ; une étude pilote d’intégration de la prise en charge dans les soins de santé primaires dans un de nos districts avec l’appui du gouvernement Princier de la Principauté de Monaco ; l’élaboration d’un plan stratégique de lutte contre la drépanocytose.

Ce plan devra permettre la mobilisation des ressources pour la mise en place de stratégies de lutte efficaces d’envergure nationale contre la drépanocytose (notamment le dépistage néonatal dans toutes nos formations sanitaires avec des TDR).

 

A plus long terme :

 – la mise en place d’un centre de soins de référence pour la prise en charge des complications graves de la drépanocytose ;

– l’organisation de  la prise en charge spécifique des crises douloureuses qui sont l’un des fardeaux les plus lourds pour les drépanocytaires et leurs familles (protocoles de PEC de la douleur).

Une attention particulière  devra être accordée à la prise en charge chez les enfants qui payent le plus lourd tribut de cette pathologie.

 

Un mot pour conclure?

 

La drépanocytose constitue un problème de santé publique au Burkina Faso. Cependant,  l’ampleur réelle de la maladie n’est pas connue et  l’offre de soins est limitée tout comme la prévention. D’où l’importance du guide et de protocoles de prise en charge de la drépanocytose pour nos formations sanitaires. L’élaboration d’un plan stratégique permettra de mieux organiser la lutte contre cette pathologie. L’accompagnement des associations de la société civile est attendu pour la sensibilisation de nos populations sur la drépanocytose qui peut être évitée.

 

Valérie TIANHOUN

 

 


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