ENQUETE SUR LA MORT DE YAYA DILLO : La vérité est-elle possible ?
L’enquête sur la disparition tragique de l’opposant tchadien, Yaya Dillo, vient de démarrer avec la visite, en fin de semaine dernière, du procureur près le Tribunal de grande instance (TGI) de Ndjamena, accompagné d’un pôle de magistrats au bagne de Koro-Toro. Selon des sources proches du dossier, la mission a entendu ceux qui sont détenus dans le cadre de ce dossier et leur rapport devrait être prêt dans les prochains jours. Et c’est en ce moment que l’on en saura un peu plus sur ce qui s’est passé. Mais en attendant, deux versions contradictoires circulent sur ces tragiques évènements des 27 et 28 février derniers. Selon le gouvernement tchadien, Yaya Dillo a été tué les armes à la main. Mais pour la famille, son fils a été plutôt victime d’une exécution sommaire. Elle refuse même de faire le deuil comme le veut la tradition, en continuant d’exiger la vérité sur les circonstances exactes de la mort de son enfant dont la mère, il faut le rappeler, avait aussi été tuée par Idriss Deby père. Face à ces versions contradictoires et controversées de part et d’autre, la question que l’on peut se poser, est la suivante : saura-t-on jamais la vérité ? Ou encore la vérité est-elle possible ? Rien n’est moins sûr.
La Justice tchadienne est une justice aux ordres
Les chances que l’on aboutisse à la vérité recherchée par la famille de Yaya Dillo sont, en effet, très minces au regard du contexte actuel au Tchad. D’abord, c’est connu. La Justice tchadienne est, comme on le dit, une justice aux ordres. Elle ne peut donc aboutir à une autre vérité que celle voulue par le gouvernement. L’on peut même craindre que les différentes commissions d’enquêtes mises en place au plan national et international ne soient destinées à masquer la vérité ou au mieux, à noyer le poisson dans l’eau. Les histoires des commissions d’enquêtes internationales qui ont fini dans le désert comme un cours d’eau endoréique, sont légion sur le continent. C’est donc dire si ces commissions visent toute autre chose que la manifestation de la vérité et sont tout destinées à se donner bonne conscience et à endormir l’opinion nationale et internationale. Ensuite, la chance de voir les lignes bouger dans le sens souhaité par la famille Dillo, est d’autant plus mince que la pression politique sur le régime Deby est quasi inexistante du fait qu’une partie de l’opposition ait rejoint le régime militaire avec armes et militants. L’espoir reste donc la communauté internationale qui, malheureusement, semble prise à son propre piège. Embarquée par la France, elle a adoubé le régime de Deby fils et se retrouve face à ses propres turpitudes face à un régime qui s’en torche avec les droits humains mais contre lequel elle est désarmée. En somme, il n’y aura pas, pour l’instant, de vérité et encore moins pour Yaya Dillo. Et la question que l’on peut se poser, est la suivante : l’opposant lui-même n’a-t-il pas prêté le flanc ? En d’autres termes, n’a-t-il pas lui-même donné les armes de son propre supplice ?L’on est tenté de le croire dans la mesure où il lui est reproché, à lui et à ses militants, d’avoir fait usage d’armes. Si ces allégations sont avérées, on pourrait même affirmer que Yaya Dillo est allé au suicide, sachant qu’il ne pouvait pas faire le poids face à la puissance publique qui, d’ailleurs, l’accuse d’être en connexion avec des groupes rebelles.
La scène politique au Tchad est entachée de faits sanglants
Mais plus structurellement, au-delà de Yaya Dillo, ces scènes de violences permettent de faire le procès de la politique au Tchad. En effet, si l’on omet les différentes guerres civiles qui ont marqué l’histoire écrite en lettres de sang de ce pays, la scène politique au Tchad est entachée de faits sanglants dont les derniers sont l’élimination physique de Deby Père, la mort de la mère de Yaya Dillo et de Dillo lui-même. S’il y a donc une urgence au Tchad, c’est celle qui consiste, non pas à traiter isolément les dossiers, mais à exorciser la politique des germes de la violence. Et cela est certainement plus facile à dire qu’à faire à partir du moment où les conflits politiques prennent leurs racines dans les familles, les clans et les tribus. C’est d’ailleurs manifestement le cas de cette énième affaire où ce sont des conflits inter-familles sinon intra-familles qui déteignent sur la scène politique tchadienne. Et dans ce cas, l’on se demande même si la vérité est possible. Car, si la vérité existe dans cette affaire, elle sera toujours celle d’un camp et certainement celui du vainqueur. Cela dit, les bonnes surprises sont toujours possibles et les Tchadiens peuvent vouloir, une fois pour toutes, solder leurs comptes avec l’Histoire. Dans une telle perspective, ils peuvent mettre en œuvre le triptyque « vérité-justice-réconciliation » qui leur permettra de laver les draps sales en famille. Et c’est d’ailleurs tout le mal que l’on puisse souhaiter à ce pays où les populations n’aspirent qu’à la paix.
« Le Pays »