ENQUETE SUR LE MASSACRE DE PEULS AU MALI. : La CPI a-t-elle les moyens de sa politique ?
« Mon bureau est en contact étroit avec les autorités maliennes, notamment dans le cadre des événements (signalés dans la région de Mopti). Il prendra toutes les mesures qui s’imposent, en complémentarité avec le système de justice pénale du Mali, afin de veiller à ce que ceux qui ont participé ou contribué de tout autre manière à ce qui semble être des crimes abominables (…), fassent l’objet d’une enquête et de poursuites. Dans l’immédiat, une délégation du bureau va rencontrer cette semaine les représentants des autorités compétentes pour discuter de ces questions ». Ces propos sont de la procureure de la Cour pénale internationale (CPI), Fatou Bensonda. Elle compte ouvrir une enquête sur le massacre d’Ogossagou, au Mali, qui a coûté la vie à plus de 150 personnes, essentiellement des Peuls. La parquetière y voit un crime organisé, planifié et savamment orchestré dans un pays où les violences communautaires ont pignon sur rue. Il est donc du devoir de sa juridiction d’engager des poursuites contre les auteurs ou complices de ce drame indigne d’une époque civilisée. C’est tout à l’honneur de la CPI qui dispose là d’une occasion en or pour se refaire une virginité, pour peu qu’elle y mène un travail de qualité. Mieux, c’est le lieu pour elle de prouver à ses contempteurs qu’elle a toute sa raison d’être ; elle qui, en deux décennies d’existence, s’est le plus souvent illustrée par des enquêtes bâclées qui se sont soldées par des acquittements ou des non-lieux. On peut citer les cas de Jean-Pierre Bemba de la République démocratique du Congo (RDC) et de Laurent Gbagbo de la Côte d’Ivoire, qui, après des années derrière les barreaux, ont tous été élargis, fautes de preuves matérielles devant permettre à la Cour de prononcer leur condamnation.
D’aucuns n’hésitent pas à parler d’enquêtes impossibles
Or, en RCA où sévissait la milice de Bemba, tout comme en Côte d’Ivoire en pleine crise post-électorale de 2010-2011, tout le monde sait que de milliers de personnes ont perdu la vie. Etait-ce donc des morts par accidents de la circulation ? A la CPI d’y répondre ; elle dont les examens préliminaires restent le plus souvent sans suite, si fait que pour certains, l’institution passe pour être aujourd’hui un tigre en papier. En tout cas, le tout n’est pas d’ouvrir une enquête. Il faut aller jusqu’au bout en condamnant les coupables de crimes contre l’humanité ou crimes de guerre. Ce qui n’est pas généralement le cas. On l’a vu au Burundi, au Kenya, au Nigeria, en Palestine, en Birmanie, où de grands criminels courent toujours les rues. D’où la question suivante : en décidant d’ouvrir une enquête sur le massacre de peuls au Mali, la CPI a-t-elle les moyens de sa politique ? Pas si sûr. Car tout porte à croire que ce sera une véritable galère pour elle en ce sens qu’étant elles-mêmes mises en cause, les autorités maliennes pourraient ne pas coopérer franchement. Ou alors, elles pourraient faire sensation aux fins de biaiser les enquêtes en faisant voir aux juges de la CPI ce qu’elles voudraient seulement qu’ils voient. C’est pourquoi d’aucuns n’hésitent pas déjà à parler d’enquêtes impossibles, tant ils soupçonnent les autorités maliennes d’avoir laissé faire. Ce qui n’est peut-être pas faux quand on sait qu’il aura fallu environ dix bonnes heures après le massacre, pour qu’interviennent les forces armées maliennes dont on dit qu’une des bases était pourtant située à une vingtaine de kilomètres du lieu du drame. En tout cas, il faut souhaiter qu’en plus du Mali, la CPI s’intéresse au cas burkinabè où des dizaines de peuls avaient aussi été massacrés en début d’année, à Yirgou dans le Centre-Nord du pays. Bensounda serait la bienvenue d’autant que près de trois mois après, l’on n’a enregistré aucune arrestation y liée, à notre connaissannce.
Boundi OUOBA