EVENTUALITE D’UN TROISIEME MANDAT POUR KABILA
Du glissement vers la glissade
Partira, partira pas ? C’est la question que nombre de Congolais et d’observateurs de la scène politique congolaise se posent par rapport au président Joseph Kabila dont le deuxième mandat constitutionnel est échu depuis décembre 2016, mais qui, de glissement électoral en glissement électoral, continue de jouer les prolongations à la tête de l’Etat. Et pourtant, Dieu seul sait combien ils sont, ses compatriotes à attendre avec impatience l’organisation des élections censées ouvrir sa succession, au moment où lui-même entretient le flou sur les intentions de troisième mandat qu’on lui prête. De guerre lasse, nombre de ses compatriotes ne cachent plus leur opposition à ce que le chef de l’Etat brigue un troisième mandat. Sont de ceux-là, l’opposition politique congolaise, le Comité laïc de coordination (CLC) et l’Eglise catholique qui, à travers la Conférence épiscopale congolaise (Cenco), est au four au moulin pour faire respecter la Constitution et le jeu de l’alternance en RD Congo.
Plus vite Kabila clarifiera sa position, mieux cela vaudra
En effet, après avoir mouillé la soutane pour arracher l’accord de la Saint-Sylvestre 2016 qui traçait le chemin de sortie de crise entre le président Kabila et son opposition qui ne demandait ni plus ni moins que son départ du pouvoir, à l’échéance de son second et dernier mandat constitutionnel, les prélats ont dû se rendre à l’évidence qu’il fallait davantage clarifier leur message en direction du chef de l’Etat. Car, tout porte à croire que ce dernier cherche à rouler tout le monde dans la farine pour se remettre en selle dans la course à sa propre succession, après avoir travaillé à torpiller l’accord de la Saint-Sylvestre.
Et à six mois de la date prévue pour la tenue des élections, rien ne permet de dire avec assurance que l’échéance sera tenue, tant le pouvoir semble avoir déjà pris du retard dans l’organisation du scrutin. Et tout porte à croire que cela est fait à dessein et que Joseph Kabila n’ayant pas encore trouvé la formule pour se remettre dans le jeu, il ne veut pas tenir un scrutin auquel il est constitutionnellement disqualifié pour prendre part. C’est pourquoi l’Eglise catholique a clarifié sa position, en affichant des banderoles sur lesquelles on pouvait lire : « Pas de troisième mandat pour le président de la République » et « Pas de révision de la Constitution ». Il n’en fallait pas plus pour provoquer l’ire du bourgmestre de La Gombe qui s’est personnellement déplacé, flanqué d’un garde armé, au centre diocésain de ladite commune, pour arracher lesdites banderoles, sous prétexte qu’elles devaient faire l’objet d’une autorisation préalable. De quoi relancer la polémique autour du troisième mandat du président Kabila qui continue d’entretenir le flou sur ses intentions, au risque de mettre en péril la paix sociale dans son pays. Pourtant, plus vite il clarifiera sa position, mieux cela vaudra. Comme l’a si élégamment fait le président nigérien, Mahamadou Issoufou, qui n’a eu aucune difficulté à annoncer qu’il ne succomberait pas à la tentation d’un troisième mandat et qu’il se retirerait en 2021, à l’issue de son second mandat.
Il appartient au chef de l’Etat congolais de savoir lire les signes des temps
Çà, c’est la marque des grands Hommes d’Etat et le président nigérien, pour peu qu’il tienne parole, mériterait d’entrer au panthéon des grands chefs d’Etat africains.
Pour la petite histoire, pour avoir appelé leurs compatriotes à accorder un troisième mandat au président Issoufou, deux activistes nigériens ont été interpellés et écroués, en attente de s’expliquer devant la Justice de leur pays. En tout état de cause, il y a lieu de croire que s’il n’était pas animé d’intentions peu avouables, Kabila n’aurait pas eu autant de mal à s’exprimer sur la question.
Cela dit, au regard du triste constat de la situation en RDC où Joseph Kabila fonce visiblement droit dans le mur, l’on en vient à se demander si ce sont ses proches qui veulent le perdre ou si c’est lui-même qui court à sa propre perte. L’on est tenté de dire que ce sont les deux à la fois. Car, quand on voit toute l’énergie, à la limite du zèle, que déploient certains de ses partisans dont l’attitude tend à lui prouver qu’il peut gagner le pari d’un troisième mandat d’une part, et le louvoiement auquel lui-même s’adonne en entretenant le flou sur ses intentions d’autre part, il n’est pas difficile de se convaincre que Joseph Kabila n’a aucunement l’intention de passer la main, et qu’il fera tout pour qu’il n’y ait pas d’élections en RDC. En tout cas, on ne le croit pas capable de ce supplément d’âme qui est la marque des Hommes d’Etat, pour renoncer à un troisième mandat. Au contraire, en adoptant la stratégie bien connue des satrapes qui consiste à entretenir le flou pour tomber le masque au dernier moment, Joseph Kabila tend à conforter plus d’un qu’il est un « pouvoiriste », sans plus. Et les signes sont là. Soit on va vers un nouveau glissement électoral, soit Kabila fera tout pour rester dans le jeu. Il n’est même pas exclu que la fameuse machine à voter dont la fiabilité fait polémique, participe de la stratégie de confiscation du pouvoir par le maître de Kinshasa qui pourrait s’en servir, le cas échéant, pour biaiser les résultats. Et Dieu seul sait si ce terrain est suffisamment glissant pour le chef de l’Etat congolais qui pourrait y laisser des plumes. C’est pourquoi l’on est porté à croire que du glissement électoral, Joseph Kabila pourrait faire une glissade potentiellement lourde de conséquences pour lui-même. D’autant plus que non seulement la résistance s’organise à l’intérieur, mais à l’extérieur aussi ; certains signaux ne semblent pas non plus lui être favorables, à en croire certains cercles du pouvoir de Kinshasa qui voient dans les récents rapprochements Paris-Kigali-Luanda, une conspiration contre le pouvoir de Kabila. Quoi qu’il en soit, que ce soit des Raspoutine qui poussent Kabila à la faute ou que ce soit lui-même qui s’engage sur un terrain aussi glissant, ce sont autant de faits qui ne peuvent être que sources de tourments pour la RDC. Il appartient donc au chef de l’Etat congolais de savoir lire les signes des temps et de prendre une décision qui lui permettrait de sortir par la grande porte. Car, il n’est pas encore tard. Autrement, le pis-aller duquel il pense pouvoir tirer profit, pourrait lui réserver bien des surprises. Et son passé pourrait bien le rattraper. A bon entendeur…
« Le Pays »