EVENTUEL DEPART DE BARKHANE DU MALI : La France a désormais une obligation de résultats dans les autres pays du Sahel
Un nouveau cap du désamour entre Paris et Bamako sera probablement franchi dans les prochains jours, avec le retrait éventuel de la force Barkhane du Gourma malien et de l’Adrar des Ifhogas. Si l’on en croit les autorités françaises, en effet, les emprises militaires de Kidal, de Tessalit et de Tombouctou seront très bientôt fermées, conformément à la décision prise dans ce sens depuis juin 2021 par Emmanuel Macron. Cette annonce du président français avait, on s’en souvient, pris au dépourvu les autorités de la transition malienne, et déclenché ipso facto l’ire du Premier ministre Choguel Maiga qui l’avait assimilée à un « lâchage en plein vol » du Mali par la France. Depuis, on assiste à une passe d’armes et à des joutes verbales entre les autorités des deux pays, qui ont abouti à une brouille diplomatique sans précédent, avec l’expulsion de l’ambassadeur de France au Mali en janvier dernier. En toile de fond, il y a les résultats mitigés de la lutte contre le terrorisme engagée au Mali depuis une décennie par l’armée française qui est accusée, à tort ou à raison, de pactiser avec les diables de la rébellion touarègue, et de laisser les terroristes faire du Nord et du Centre du pays, leur sanctuaire, malgré les moyens impressionnants dont elle dispose.
C’est la présence de paramilitaires russes qui a exacerbé la crise entre les autorités de Bamako et leurs partenaires européens
L’ultranationalisme dont le Premier ministre malien s’en fait le chantre surfe justement sur l’attitude condescendante de la France qui continue, sans gêne, de faire le matamore dans cette lutte contre le terrorisme malgré son échec patent. Pour les Français, leur mission n’est pas de faire cesser toutes ces attaques presque simultanées à des endroits éloignés les uns des autres dans un pays vaste comme deux fois l’Hexagone, mais plutôt d’apporter aide et assistance aux Maliens pour qu’ils fassent eux-mêmes le boulot. Mais comment ces derniers pourront-ils y arriver avec des dirigeants en panne de stratégies, une armée qui a la réputation d’être une pétaudière et des officiers pantouflards qui espèrent tous que Wagner, cette sulfureuse société de mercenaires russes, viendra les sauver ? C’est justement la présence de ces paramilitaires russes sur le sol malien (un secret de Polichinelle mais désormais confirmée officiellement par le président de la fédération de Russie), qui a exacerbé la crise entre les autorités de Bamako et leurs partenaires européens et américains notamment. En mettant ainsi les pieds dans le plat de Assimi Goïta, Vladimir Poutine complique, involontairement sans doute, la guerre de communication que le président de la transition et son Premier ministre livrent contre les autorités françaises, malheureusement au moment où ils ont besoin de gagner les cœurs et les esprits de certains de leurs compatriotes encore sceptiques quant à l’intérêt de s’enticher de ces mercenaires qui, en principe, ne devraient prendre part aux combats que s’ils sont pris pour cible. Qu’à cela ne tienne, les premiers responsables de la transition, convaincus que les défauts des uns feront fatalement ressortir les qualités des autres, comptent poursuivre et même intensifier leur coopération militaire avec ces instructeurs russes qui marquent déjà des points, si l’on en croit les réactions triomphalistes sur les réseaux sociaux.
On espère que la force Barkhane multipliera ses frappes ciblées contre les mauvais garnements
Dans le fond, le gouvernement malien a raison de faire grise mine et de chercher les solutions d’où qu’elles pourraient venir, surtout que la France et la communauté internationale ont été incapables, pour ainsi dire, de contribuer au retour de la paix comme leur mission le leur assignait. Reste à savoir s’ils ont les moyens d’aller jusqu’au bout de ce bras de fer, surtout que leur pays est pratiquement sous cloche depuis les sanctions prises contre lui par la CEDEAO (Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest). Rien n’est moins sûr, mais cette décision de s’assumer pourrait avoir le mérite de sonner le glas du paternalisme rampant et sournois de la France vis-à-vis de ses anciennes colonies, et de profiter indirectement aux pays comme le Niger et le Burkina, vers lesquels les forces françaises Barkhane et européenne Takuba pourraient progressivement se redéployer. Car, ces forces étrangères savent déjà qu’elles ne sont pas les bienvenues dans ces pays où les opinions publiques sont particulièrement remontées contre l’armée française notamment, avec le risque énorme d’accentuer la défiance et le dégoût si leurs opérations militaires ne sont pas couronnées de succès. C’est sans doute conscients du fait que Barkhane a cette obligation de résultats, que les responsables militaires français ont abondamment communiqué ces derniers temps sur les succès engrangés dans la traque contre les djihadistes. On a ainsi appris que dix terroristes impliqués dans l’attaque d’Inata considérée par les Burkinabè comme le symbole de l’humiliation nationale, ont été neutralisés, et quarante autres expédiés en enfer alors qu’ils traversaient le pays des Hommes intègres en provenance du Bénin où ils ont tué à l’explosif une dizaine de personnes, dont un Français. On espère qu’il ne s’agit pas d’une simple opération de communication pour les besoins de la cause, et que la force Barkhane multipliera ses frappes ciblées contre les mauvais garnements, en laissant une marge de manœuvre aux autorités locales pour trouver des solutions endogènes qui pourraient ne pas être forcément militaires. C’est à cette condition que ces troupes étrangères éviteront le syndrome afghan pour ne pas dire malien, et rabattront le caquet à ceux qui pensent que leur réaction face aux actes terroristes a toujours été à géométrie variable : aucune échappatoire pour les criminels quand parmi les victimes il y a des Occidentaux et surtout des Français. Mais presque jamais d’intervention même quand des centaines de morts et de mourants jonchent le sol, si ces derniers ont le malheur de ne pas être du Nord.
« Le Pays »