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FAIBLE TAUX DE PARTICIPATION AUX LEGISLATIVES TUNISIENNES : Peut-on éviter une autre crise ?


Le 17 décembre 2022, les Tunisiens étaient invités à désigner dans les urnes, leurs représentants au Parlement. En rappel, depuis le 25 juillet 2021, date de la dissolution de l’Assemblée nationale par le président Kais Saied, le pays était sans pouvoir législatif. Mais le moins que l’on puisse dire, c’est que les électeurs ne se sont pas bousculés dans les isoloirs pour exercer leur devoir civique. En effet, le scrutin a connu un taux d’abstention record de près de 91,2%, soit un taux de participation de 8,8%, selon les chiffres publiés par le président de l’autorité électorale, Farouk Bouasker. Pourquoi les Tunisiens ont-ils boudé à ce point le scrutin, malgré l’appel du chef de l’Etat ? La première cause de cette désaffection des Tunisiens à aller aux urnes, est sans doute la vie chère qui préoccupe les populations. En effet, la Tunisie est plongée dans une grave crise économique depuis quelques années déjà. Le pays est étranglé par une dette supérieure à 100% de son PIB et est incapable d’emprunter sur les marchés financiers internationaux.

 

Il y a un lien entre les difficultés auxquelles sont confrontés les Tunisiens et leur absence dans les urnes

 

Cette crise financière s’est traduite, ces derniers mois, par des pénuries récurrentes de produits de base (farine, sucre, café) dans un contexte d’inflation galopante (près de 9%). Ces difficultés qui durent depuis bientôt une dizaine d’années, ont été gravement amplifiées par la pandémie de la Covid-19 et la guerre en Ukraine qui a renchéri les importations de céréales et des hydrocarbures dont l’économie du pays est fortement dépendante. Le 15 octobre dernier, des milliers de Tunisiens sont descendus dans la rue pour manifester leur ras-le-bol face à la situation et dénoncer la politique du président Kais Saeid qu’ils accusent d’être responsable de la grave crise économique qui frappe le pays. Il est donc indéniable qu’il y a un lien entre les difficultés auxquelles sont confrontés les Tunisiens et leur absence dans les urnes. Frappés de plein fouet par la crise économique et l’inflation sur fond d’instabilité politique, la plupart des Tunisiens ne semblent guère intéressés par ce scrutin qui, ironie du sort, s’est tenu à la date anniversaire de l’immolation de Mohammed Bouazizi, du nom de ce marchand de rue dont la mort avait entraîné le soulèvement populaire qui a entraîné la chute du régime autocratique du président Zine el Abdine Ben Ali et constitué le point de départ du printemps arabe en 2021.   La seconde cause de la forte abstention des Tunisiens aux législatives, est sans doute l’appel au boycott du scrutin, par les principaux partis de l’opposition. En effet, l’opposition, avec à sa tête le mouvement d’inspiration islamiste, Ennahda, dénonce les dérives autoritaires du président auquel elle n’a guère pardonné la dissolution du parlement précédent et l’adoption, par référendum, d’une nouvelle Constitution qui ne laisse au nouveau parlement, que des compétences très restreintes et cela, conformément à l’ambition de transformation du pays en un régime ultra-présidentiel.  

 

On peut se demander si l’opposition tunisienne a fait le bon choix en optant pour la politique de la chaise vide

 

Aux partis politiques coalisés contre le scrutin, il faut aussi associer la puissante centrale syndicale UGTT, devenue récemment très critique vis-à-vis de la politique du président et qui juge le scrutin inutile.  Cela dit, la question que l’on peut se poser est la suivante : au regard de la forte abstention au scrutin, le pays peut-il faire l’économie d’une autre crise politique ?  Cette interrogation est d’autant plus fondée que le scrutin législatif qui va déboucher immanquablement sur une Assemblée nationale monocolore, aura pour effet de déplacer le débat politique, de l’hémicycle à la rue. Il faut donc croire que la page de l’instabilité politique ouverte en Tunisie suite à l’exil forcé du président Ben Ali, est loin d’être tournée. Et il ne pouvait en être autrement dans la mesure où les longs règnes comme celui de Ben Ali qui a fait pas moins de 23 ans au pouvoir, se terminent souvent dans le chaos en raison même de l’impréparation des nouveaux pouvoirs. Dans le cas précis de la Tunisie, la difficulté est accentuée par le fait que l’opposition est composée de caciques de l’ancien régime qui détiennent encore tout le pouvoir économique. Il faut donc craindre pour le pouvoir du président Kais Saeid, qui va entrer dans une zone de fortes turbulences avec une rue qui est déjà en ébullition en raison de la crise socio-économique que ne manquera pas d’instrumentaliser l’opposition à des fins politiques.  Mais il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué, comme le dit la sagesse populaire. Le président Kais Saeid qui a été porté au pouvoir par cette même rue, peut bien se tirer d’affaire et prendre l’opposition à son propre piège.  En effet, l’on peut se demander si l’opposition tunisienne a fait le bon choix en optant pour la politique de la chaise vide au Parlement. Car, non seulement elle rate une tribune pour faire entendre sa voix et défendre les alternatives politiques qu’elle porte face aux difficultés des Tunisiens. Mais aussi elle commet la plus grande des fautes en politique : laisser le terrain vide à l’adversaire.  Elle manque ainsi l’occasion de capitaliser la colère de la rue, en voix dans les urnes.

 

« Le Pays »

 

 

 


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