FEMMES NETTOYEUSES DANS LES SERVICES PUBLICS ET PRIVES : Quand la galère le dispute aux agressions
Par ces temps d’harmattan qui courent, sortir de sa couchette à 3h ou 4 h du matin n’est pas chose aisée pour nombre de personnes. Mais, elles, elles le font pratiquement tous les jours, en tout cas six jours sur les sept dans la majeure partie des cas et ce, quelle que soit la période. En effet, que ce soit en période de pluies, de chaleur où de froid, elles sont obligées de sortir pour être à leurs postes le plus tôt possible. Elles, ce sont ces femmes qui nettoient les services ou encore balaient les abords des routes et qu’on a l’habitude de voir tôt les matins. Nous avons décidé de nous intéresser à ces femmes qui sont à la base de la propreté dans les services et autres édifices publics. Payées à des salaires dérisoires, ces femmes ont bien souvent de la peine à percevoir leurs sous. Obligées de se lever à des heures indues pour être à leurs postes, ces braves dames sont exposées à toutes sortes d’agressions (vols, viols, etc.) et de maladies. Les 22 et 24 décembre derniers, nous avons rencontré quelques-unes de la ville de Ouagadougou. Ce sont des femmes excédées par leurs conditions de travail difficiles qui crient à l’aide.
Lundi 24 décembre, il est 6h 30mn lorsque nous arrivons à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) située en face de Naaba-Koom. Binta Ouédraogo /Sidibé et ses collègues étaient en plein travail, étant donné qu’elles y étaient depuis 4h du matin. Chose normale puisqu’il faut faire vite et bien faire le travail avant l’arrivée des agents, prévue pour 7h. Une bonne partie des locaux avaient déjà reçu le passage de dame Ouédraogo qui fait ce travail de nettoyage depuis 2 001, donc bientôt 18 ans dont deux années passées à la SONABHY, huit à la Loterie nationale burkinabè (LONAB), et huit à la CNSS. Mais que de souffrances, d’amertume et souvent de découragement sur ce long chemin! En effet, en optant pour ce travail, Binta Ouédraogo a un objectif : ne pas passer le temps à tendre la main à son mari et surtout subvenir aux besoins de sa famille. Mais hélas ! Car, lorsque nous l’avons rencontrée, dans la matinée du 24 décembre, elle était au bout du découragement. Pour cause, cela fait 7 mois, a-t-elle dit, qu’elle n’a pas encore perçu un seul kopeck. Selon elle, faute d’argent, un de ses enfants n’a pas pu aller à l’école pour la rentrée scolaire 2018-2019. Moi, je pense particulièrement à l’école de mes enfants parce que j’ai eu à emprunter de l’argent pour faire face à quelques dépenses pour l’école. Nous pensions qu’on aurait au moins de l’argent pour rembourser nos dettes mais, il n’y a rien pour l’instant (NDLR : la rencontre a eu lieu le 24 décembre)
La croix et la bannière pour avoir ses « maigreurs »
C’est sûr qu’après les fêtes, nos enfants seront chassés de leur école parce qu’on n’a pas encore tout réglé. Comment allons-nous faire? Nous nous sommes plaints auprès de la société qui nous a embauchées mais les responsables ont fait savoir que le problème n’était pas à leur niveau mais au niveau de la direction de la CNSS. Trop c’est trop !», martèle t-elle. « On nous a dit que la CNSS, c’est l’entraide, le social mais pour des nécessiteuses comme nous, la structure devrait se pencher sur notre sort et régler les factures dans les délais pour que nos patrons puissent aussi payer nos salaires à temps», a estimé M. Ouédraogo. Talata Solga, une collègue de Binta Ouédraogo, est plus amère.
« Très souvent, on se demande si ces patrons savent que nous avons des familles. Nous avons accepté de faire ce travail à 12 500 F CFA pour pouvoir nous occuper de nos familles. Mais pour avoir ces maigreurs-là aussi, c’est la croix et la bannière. Pour des gens qui cherchent leur pitance quotidienne, si on doit leur imposer 6 à 7 mois sans salaire, voyez que cela est intenable. Nous sommes vraiment fatiguées. Qu’ils sachent que nous aussi avons besoin de vivre », lance-t-elle. Talata Solga, très en colère, pendant que son bébé, lui était accroché au sein. Cette habitante des zones non-loties du quartier Zongo affirme mener ce travail depuis 8 ans. Tout comme Binta Ouédraogo, dame Solga a dit avoir aussi emprunté de l’argent pour payer la scolarité de ses enfants. « Pendant la rentrée, j’ai emprunté de l’argent pour payer la scolarité et quelques fournitures des enfants. J’ai toujours ces crédits à rembourser. Si seulement ils allaient rembourser tout ce qu’ils nous doivent, cela nous arrangerait mais ils vont venir nous donner les salaires de deux à trois mois et il faut encore galérer pour avoir d’autres salaires. C’est toujours ainsi. On se demande souvent s’il vaut mieux rester à la maison ou continuer dans ces conditions », s’est-elle interrogée, très remontée. « Moi, je viens à vélo et très souvent, il y a des crevaisons et autres pannes, et je n’ai même pas 5 F CFA pour pouvoir réparer mon vélo. Je suis obligée de le pousser. Vraiment, nous sommes fatiguées, nous avons mal au cœur », ajoute-t-elle presque les larmes aux yeux. « C’est toi qui sors très trop de chez toi, c’est toi qui n’as jamais rien. Pourtant, tu dis que tu travailles. Au début, mon époux (NDLR : un maçon) se plaignait mais au fil du temps, il a accepté mon travail parce qu’à Ouagadougou, la vie est dure et il faut s’entraider. Mais si le salaire tombait correctement, chaque fin de mois, il n’y aurait pas de problème mais de là à faire 5, 6 ou 7 mois sans être payé, cela révolte très souvent mon mari. Le hic, c’est que si les patrons décident de nous payer, on ne touchera que le cumul de deux ou trois mois. C’est toujours le même scénario », a affirmé pour sa part Pauline Ouédraogo qui habite à Bissighin et exerce dans le domaine depuis 5 ans. Pour rejoindre son lieu de travail, elle doit prendre la route sous le coup de 3h 30mn. La plupart des femmes que nous avons rencontrées, étant donné qu’elles habitent dans les périphéries de la ville, sont obligées de quitter leur domicile entre 3h 30mn et 4h du matin.
Exposées à des agressions de tous genres
Et c’est peu dire que cette situation les expose à toutes sortes d’agressions (vols, viols, etc). Rasmata Ilboudo en est une victime. Celle que nous avons rencontrée le 24 décembre dernier, venait d’être quelques jours auparavant, victime de vol. « J’habite à Sonré, et je viens au travail à vélo. Il y a cinq jours de cela, quand je venais, un monsieur m’a croisée à moto. Je tenais un sachet dans lequel se trouvaient un pagne et mon porte-monnaie. Croyant que j’avais de l’argent, il a tiré le sachet de force et je suis tombée. Il a fouillé puis a enlevé mon porte-monnaie qui contenait mon téléphone portable et ma CNIB. Je n’ai ni pièce d’identité, ni téléphone portable. Je me promène ainsi, sans aucun document, comme un poulet. Je n’ai pas non plus d’argent pour me faire établir une CNIB car cela fait 7 mois que nous sommes sans salaire. Même manger chez moi est devenu une véritable équation », a témoigné Rasmata Ilboudo, le regard triste. Clémentine Marie Solange Kaboré/ Ouédraogo, nettoyeuse au Centre médical avec antenne chirurgicale (CMA) de Pissy, que nous avons rencontrée le 22 décembre, est dans le métier depuis 12 ans. Selon elle, à deux reprises, elle a échappé à des agressions. La première fois, c’est un motocycliste qui est venu la coincer sur son côté droit si fait qu’elle est tombée avec sa moto. Fort heureusement, un automobiliste passait et son agresseur a pris peur et s’est enfui. La deuxième fois, c’était pratiquement le même scénario et elle a eu la vie sauve grâce aux fidèles musulmans qui se rendaient à la prière de 4h du matin.
Fatimata Sacko, elle, a failli être agressée par un fou. Un jour, ayant quitté Saint Léon à pied pour la CNSS face à la SITARAIL comme à l’accoutumée, elle a croisé un fou. Paniquée, elle s’est enfuie et a trouvé refuge auprès d’un vigile. « Ce dernier a intimidé le fou et il est parti. Je suis restée pendant longtemps pour qu’il disparaisse avant que je ne reprenne la route pour rejoindre mon service », a-t-elle dit. En plus d’être exposées aux nombreuses agressions lorsqu’elles rejoignent leurs services, les nettoyeuses sont à la merci de toutes sortes de maladies, surtout pour celles travaillant dans les hôpitaux. Adissa Congo officie à la clinique Suka depuis maintenant 9 ans. « Nous sommes exposées à toutes sortes de maladies puisque nous sommes en contact avec les malades de tous genres. Nous n’avons pas le matériel adéquat pour nous protéger (gants, cache-nez, etc). Lorsque nos gants ou autre matériel se déchirent et que nous en demandons, c’est comme si nous les consommions. Ils mettront un bon bout de temps avant de nous en donner. C’est nous qui nettoyons le bloc opératoire rempli de sang et autres saletés lorsque les médecins finissent leur travail. Imaginez lorsque tu dois faire cela sans protection, tu ne peux qu’être exposé à des maladies. Si tu tombes malade, c’est à tes risques et périls car tu devras te soigner toute seule», a déclaré Adissa Congo. Selon dame Congo, qui a été recrutée comme fille de salle et en plus de faire les permanences pour la garde, elle doit aussi faire le nettoyage pour un salaire de 20 000 F CFA, lequel est passé à 30 000 F CFA pour les anciennes et 25 000 F CFA pour les nouvelles, suite à de multiples revendications. « Nous faisons le travail de filles de salle. Pourtant, nous ne percevons pas le salaire d’une fille de salle. Cela fait environ deux mois que nous n’avons pas de salaire », a-t-elle affirmé.
Un plan B pour ne pas mourir de faim
A en croire Fatimata Bah qui est dans le milieu depuis 12 ans, l’une des difficultés qu’elles rencontrent est le fait qu’elles ne perçoivent pas leurs rémunérations. « Tu peux faire plusieurs mois sans avoir ton argent et lorsqu’on décide de te payer, tu n’as pas la totalité. Ce qui fait que nous ne pouvons rien entreprendre. Déjà que les salaires sont insignifiants (NDLR : 16 000 F CFA), si tu dois faire 3, 4 voire 5 mois sans salaire pour qu’on vienne te donner au finish l’argent d’un ou de deux mois, c’est difficile. Les patrons se permettent tous les retards mais lorsque nous faisons un petit retard, c’est sans pitié », a déploré Fatimata Bah. « Quand tu arrives en retard, on te refoule et on soustrait 1 000 F CFA de ton salaire. Si tu as un empêchement dû à la maladie, ou à la pluie, on retient 1 000 F CFA sur ton salaire. C’est tout simplement méchant et révoltant », a regretté Bibata Sawadogo, nettoyeuse au CMA de Pissy depuis maintenant 4 ans. Elle est d’ailleurs la présidente du Syndicat national des nettoyeuses et balayeuses (SYNNETBA), lequel syndicat se bat pour l’amélioration des conditions de travail et de vie des nettoyeuses et balayeuses. Selon elle, les conditions que vivent les nettoyeuses sont dégradantes, à la limite inhumaines. « En plus d’être rémunérées à des sommes dérisoires, nous avons de la peine à percevoir nos sous. Nous sommes exposées à tous les dangers et peinons à atteindre notre objectif premier qui est de pouvoir au moins assurer le repas quotidien de nos familles », a déploré Bibata Sawadogo. Au regard de cette situation, nombre d’entre elles ont adopté un plan B. En effet, après le nettoyage, certaines se promènent pour faire la lessive dans des domiciles à l’image de Fatimata Bah, et Rasmata Ilboudo. D’autres, comme Fatimata Sacko, fabriquent le savon liquide et se promènent pour le vendre. Talata Solga, elle, fait le tissage et Binta Ouédraogo vend des bijoux pour femmes. C’est grâce à ce que chacune aura eu comme gain le soir qu’elle arrive à concocter quelque chose pour sa progéniture. Tout en saluant les promoteurs de services de nettoyage pour leur avoir permis de s’occuper, Bibata Sawadogo les a exhortés à plus d’humanisme. Quant aux autorités, elle les invite à jeter un regard sur le milieu des sociétés de nettoyage afin que les prestataires respectent au moins un certain nombre de principes (salaires réguliers, etc). « Nous souhaitons que le gouvernement suspende les activités de toutes les sociétés qui ne respectent pas un minimum de règles », a plaidé la présidente du SYNNETBA. Et sur toutes les lèvres, elles n’avaient qu’un seul refrain : « Nous demandons aux autorités de se pencher sérieusement sur notre sort sinon, nous souffrons ». Nous avons joint au téléphone certains promoteurs de sociétés de nettoyage pour avoir leur avis sur certains points dont on les accuse. Mais hélas ! Malgré notre insistance, nous n’avons pas eu de réponses favorables à notre requête. « Le patron est hors du pays pour des soins. Je l’ai joint mais il dit être le seul habilité à répondre aux questions », « Je suis en déplacement, hors de Ouagadougou », etc. sont, entre autres, les réponses qui nous ont été servies au téléphone.
Colette DRABO
Il faut noter que Force ouvrière/Union nationale de syndicats (FO/UNS) a accompagné ces femmes dans le cadre de la mise en place du SYNNETBA
El hadj Inoussa Nana, Secrétaire général Force ouvrière
« Nous avons mis en place le Syndicat national des nettoyeuses et des balayeuses (SYNNETBA) courant septembre 2017. En effet, nous avons remarqué que dans ce secteur, les femmes travaillent beaucoup. Quand nous avons constaté qu’elles gagnaient des salaires de l’ordre de 10 000, 15 000 F CFA et celles qui en avaient plus étaient à 20 000 F CFA, nous nous sommes dit que c’étaient des salaires en deçà de ce qui pouvait leur permettre de se prendre en charge vu que ce sont généralement des femmes démunies, veuves avec des enfants, ou âgées. Nous avons alors jugé utile d’attirer l’attention des promoteurs pour qu’ils puissent les encadrer et améliorer leurs rémunérations de sorte à leur permettre de vivre un peu décemment. Nous saluons déjà le fait que ces promoteurs essaient de trouver quelque chose pour ces femmes qui sont dans le besoin, mais nous avons attiré leur attention afin qu’ils prennent les précautions pour que le travail qu’ils leur donnent ne soit pas une source d’exploitation. Car au-delà de leur travail, certains promoteurs profitent de l’occasion pour leur confier d’autres tâches ne relevant pas de leur ressort. Dans certains milieux, elles sont obligées de désherber et pire, surtout dans les hôpitaux, elles assistent des malades en observation. Ce n’est pas leur travail. Ce sont toutes ces raisons qui nous ont poussé à mettre en place le SYNNETBA. En effet, vu le travail qu’elles font, elles sont dans le formel car à partir du moment où on leur donne un salaire, c’est déjà le formel. Les objectifs que nous poursuivons, c’est qu’à terme, on puisse ne serait-ce que leur donner le salaire minimum garanti, c’est-à-dire le SMIG qui tourne aujourd’hui autour de 38 000 F CFA et aussi les déclarer à la Caisse. C’est ce combat que nous menons. Mais notre travail ne concernera pas uniquement les promoteurs, nous allons aussi rencontrer ceux qui signent les contrats avec les prestataires parce que quand ces derniers soumissionnent, ceux qui signent le contrat doivent tenir compte du fait qu’elles doivent être payées suivant le SMIG au moins. Ce que nous avons remarqué, c’est que ce n’est pas parce que les contrats ne sont pas substantiels, mais il y a des prestataires qui déclarent des salaires élevés mais ce n’est pas ce qu’ils servent aux intéressées. Nous avons pu rencontrer déjà quelques promoteurs qui ont compris la situation et ont revu un peu le traitement salarial. Certaines étaient à 15 000 et aujourd’hui, elles ont atteint presque les 30 000 F CFA. Cela est dû à nos actions et nous profitons de l’occasion pour saluer les promoteurs qui ont compris et ont amélioré les choses. Nous disons que c’est bien mais ce n’est pas arrivé car nous voulons que ces femmes-là atteignent, ne serait-ce que le SMIG. Elles se lèvent très tôt, soit à 3h ou 4h du matin, et cela les expose. Nous disons qu’il va falloir trouver des solutions pour qu’elles ne soient pas trop exposées ».
Propos recueillis par CD