IMA YERO JEAN-BAPTISTE, représentant des Kolgwéogo du Kouritenga : « Nous ne sommes pas allés à l’école, mais nous ne sommes pas bêtes »
Il s’appelle Ima Yéro Jean-Baptiste. Il est le représentant des Koglwéogo de Kouritenga et est à l’origine de l’installation des associations Koglwéogo dans les zones du Namentenga, du Sanmentenga et de la Gnagna. Le 26 mars 2016, nous l’avons rencontré pour échanger sur les groupes d’auto-défense communautaires devenus célèbres pour leurs actions diversement appréciées sur le terrain. Cette interview a été réalisée en langue nationale mooré et traduite en français. Bien évidemment, traduire c’est trahir quelque peu, mais nous avons œuvré à ne pas altérer les propos de notre interlocuteur. C’est un Kolgwéogo à la limite très remonté que nous avons reçu.
« Le Pays « : Qu’est-ce qui justifie l’installation des Koglwéogo dans votre zone ?
Ima Jean-Baptiste Yéro : La raison fondamentale est liée à l’insécurité. Aujourd’hui, au Burkina Faso, si les Koglwéogo n’existaient pas, nous serions tous des voleurs. Tous nos biens seraient récupérés par les voleurs. Les gens ne doivent pas penser que les groupes d’auto-défense existent du fait d’une simple volonté des hommes. C’est Dieu qui l’a voulu ; c’est ce qui explique d’ailleurs cette adhésion communautaire ou ancrage social des Kolgwéogo. A un moment donné, les bandits avaient mis nos localités sous coupe réglée. Nous étions obligés de subir la situation. On a eu l’impression que personne n’était là pour ramener l’ordre. Voilà pourquoi les communautés ont pris l’initiative pour non seulement protéger leur vie, mais aussi assurer la sécurité de leurs biens.
Vous avez dit qu’il n’y a personne pour ramener les délinquants et les voleurs sur le bon chemin. N’avez-vous pas confiance aux forces de défense et de sécurité ainsi qu’à la Justice ?
La Justice ne fait pas son travail. Parmi les gendarmes et les policiers, il n’y a pas plus de 40% qui font correctement ce qu’ils ont appris à l’école. Au niveau de la sécurité, les éléments consciencieux ne sont pas nombreux.
Est-ce que vous avez des preuves de ce vous avancez ?
(Il présente des photos qu’il tient par-devers lui). Parmi les photos de délinquants, il y a un bandit armé que nous avons attrapé. Dans le répertoire de son téléphone portable, nous avons trouvé le numéro d’un procureur, ceux d’un commandant de brigade de gendarmerie et d’un commissaire de police. Le voleur est toujours là ; les données aussi mais je ne vais nommer personne. Si nous attrapons un voleur que nous remettons à la Justice et qu’il se trouve qu’il a des amis au sein de cette Justice, c’est clair que l’affaire ne sera pas jugée convenablement.
Qu’est-ce qui a amené les Koglwéogo à manifester leur colère ?
Nous avons des membres qui ont été arrêtés et emprisonnés. Si quelqu’un te vole et que tu as les preuves, n’est-il pas normal que tu cherches à l’arrêter ? Si tu l’arrêtes et au lieu que l’on te rende justice, tu es emprisonné, est-ce normal ? Les forces de l’ordre ne sont pas allées à l’école pour protéger et aider les voleurs. J’ai suivi deux procès impliquant des délinquants mais j’ai découvert que tout était faux. La Justice, c’est désormais une question d’argent.
Depuis quand votre association existe-t-elle et quel est le nombre de ses membres ?
Je ne saurais dénombrer les membres de notre association qui a moins d’une année d’existence. Pour la petite histoire, les Koglwéogo ont commencé dans le Bazèga. Mais du Ganzourgou au Namentenga en passant par le Kouritenga, le mouvement n’a pas plus d’une année d’existence. C’est le mois de mai qui marquera le premier anniversaire de notre association.
Quel est le nom de votre association ?
Il y a plusieurs noms : association Koglwéogo, mais son nom c’est Koglwéogo. Koglwéogo signifie qu’on a réussi à sécuriser nos domiciles et maintenant on est en train de sécuriser la brousse et nos champs. Et nous sommes en passe de relever le défi car depuis la naissance du Koglwéogo dans notre zone, nous n’avons pas encore appris que quelqu’un a encore perdu ses biens ou a été volé. Actuellement, les délinquants sévissent plus dans les localités où les Koglwéogo n’ont pas été installés.
Vous avez dit tantôt qu’il n’y avait personne pour dissuader les délinquants. Qu’est-ce à dire ?
C’est vrai. J’ai dit que la crise actuelle des Koglwéogo est née de l’emprisonnement de nos membres. Est-ce qu’on peut dire à quelqu’un que le fait d’attraper une personne qui a volé ses bœufs, n’a pas suivi la procédure ? Malheureusement, c’est le cas présentement dans notre pays.
Dites-nous exactement ce qui s’est passé ?
Nous avons perdu nos 22 bœufs et cela fait trois ans. Le berger est allé à Fada et a reconnu un des bœufs. L’information a été communiquée aux propriétaires qui ont dépêché une équipe pour vérifier les faits. Effectivement, le bœuf leur appartient. Interrogé, celui chez qui le bœuf a été retrouvé dit l’avoir acheté au marché. Sur-le-champ, il a appelé les témoins au moment de l’achat du bœuf. Ensemble, ils sont allés voir un conseiller du village avec qui ils se sont rendus chez la personne qui a vendu les bœufs. Des Koglwéogo qui étaient dans la zone, ont arrêté le voleur qu’ils ont remis à nos éléments. Ces derniers sont allés en véhicule récupérer le voleur et étaient avec lui, en route pour Boulsa. Car nous sommes convaincus qu’un voleur ne peut pas quitter Fada et venir à Boulsa voler 22 bœufs aussi facilement. Donc, nous savons que le vrai voleur se trouve à Boulsa. Celui que nous avons appréhendé à Fada devrait nous aider à démasquer le voleur à Boulsa. C’est sur la route du retour que les délinquants ont pris les devants et ont alerté les forces de sécurité. Nous avons appris que les forces de sécurité ont pris de l’argent mais nous n’avons aucune preuve. Les forces de l’ordre sont intervenues en interceptant le véhicule. Elles ont laissé le voleur partir et ont emprisonné ceux qui sont allés le récupérer. Pensez-vous que ces forces de l’ordre protègent vraiment nos populations ou assurent notre sécurité ? Voilà pourquoi je vous disais que nous n’avons personne pour assurer notre sécurité. Si les forces de l’ordre assuraient notre sécurité, elles n’auraient pas dû laisser filer le voleur et emprisonner nos éléments. Cela veut dire qu’elles préfèrent plutôt protéger les voleurs. Partout ailleurs au Burkina Faso, il y a des comportements de ce genre et je demande au nouveau pouvoir de réagir vite en mettant de l’ordre.
« Il y a quelque chose qui ne va pas dans ce pays »
Est-ce qu’il y a eu des échanges entre vous et les forces de sécurité après l’arrestation de vos camarades ?
Nous n’avons pas échangé entre nous. Nous nous sommes rendus à Fada où nous étions au nombre de 137. D’autres personnes nous ont rejoints par la suite. C’est le prince de Fada, Django, qui nous a demandé expressément de laisser l’affaire entre ses mains. Il a dit, entre autres, que ce n’est pas nous qu’ils recherchent mais lui personnellement.
« Quand j’ai entendu l’affaire des Koglwéogo, je suis allé les voir mais ils ont dit qu’ils n’en veulent pas. Ils m’ont dit que si je fais installer des Koglwéogo ici à Fada, je répondrai en cas de problème. Mais voilà, les Koglwéogo ne sont pas encore à Fada mais il y a un problème avec l’arrestation de vos éléments. S’il y a des affrontements entre vous et les forces de l’ordre, ce sera vraiment la catastrophe » ; voilà ce que le prince nous a dit. En fait, nos éléments étaient très mobilisés et on pouvait s’attendre à ce qu’au moins 50 000 membres des Koglwéogo de plusieurs localités descendent sur Fada. Mais Django nous a demandé de constituer une délégation de cinq personnes qui allaient s’adjoindre à lui pour aller échanger avec les autorités aux fins de trouver une solution au problème. Je pense que certains commettent une erreur en pensant que les Koglwéogo sont juste des parias qu’il faut traiter avec mépris. Ils doivent se détromper car, parmi nous, il y a des hommes et des garçons qui peuvent montrer ce dont ils sont capables. Pour en revenir à Django, il nous a finalement demandé de retourner chacun chez soi et qu’il va se charger de l’affaire. C’est donc avec surprise que nous avons appris son arrestation et son transfèrement, avec nos éléments, à Ouagadougou. Comment peut-on traiter un médiateur de la sorte ? Il y a quelque chose qui ne va pas dans ce pays. Je pense qu’aujourd’hui, ce sont les délinquants qui ont voix au chapitre au pays des Hommes intègres.
Vous ne pensez pas que c’est pour des besoins d’enquête que les forces de sécurité ont préféré prendre tout le monde ?
Mais elles ont laissé partir le voleur. Ce sont plutôt les propriétaires des bœufs qui sont en prison.
A l’heure actuelle, quelle est votre décision ?
Nous avons mis balle à terre parce que le ministre de la Sécurité intérieure, Simon Compaoré nous a rencontrés. Après lui, le président du Faso a reçu notre président et a demandé de lui laisser le temps de régler le problème. Il a expliqué que le bras de fer ne fera que détériorer davantage la situation. Depuis lors, les Koglwéogo sont rentrés dans leurs bases. Si le Président du Faso vous demande pardon et vous refusez, c’est le pardon de qui vous accepterez ? Nous sommes rentrés pour ne pas désobéir à notre président.
Qui sont ceux qui sont contre les Koglwéogo aujourd’hui ?
Ce sont les délinquants et les voleurs. On nous demande de ne plus frapper les voleurs. Mais qui plus qu’un voleur, mérite un châtiment ? Nous ne comprenons pas une telle position. Regardez les photos que je vous ai montrées. Il y a beaucoup de cadavres, des gens tués par des bandits. Est-ce qu’une personne peut laisser la vie sauve à un délinquant qui a tué son frère ?
En fait, ce sont vos méthodes de travail qui amènent l’Etat à sévir contre certains de vos éléments. N’est-ce pas ?
Je pense que bastonner un voleur ou un délinquant n’est pas de trop. En principe, ces gens méritent la mort. Si un voleur tente de dérober 10 millions de F CFA en banque, est-ce qu’on le laissera ? Même 50 000 FCFA, il ne sera pas épargné. Or, dans nos villages, les délinquants prennent presque tous nos biens et certains demandent qu’ils ne soient pas châtiés ! C’est peut-être parce qu’on pense que nous sommes moins humains, sinon, une telle exigence n’aurait pas sa raison d’être.
14- Qu’est-ce qui prouve que les voleurs que vous attrapez sont effectivement coupables ?
Quand nous attrapons un voleur, c’est que nous avons des preuves irréfutables. Nous ne sommes ni la gendarmerie ni la police à qui on indique un voleur pour qu’elles aillent le saisir.
« Nous n’attrapons pas un voleur deux fois »
Comment faites-vous vos enquêtes ?
Nous ne connaissons pas les enquêtes et nous n’en faisons pas. Nous prenons les voleurs en flagrant délit. Dans nos zones, si nous voyons quelqu’un transporter des animaux, nous l’interceptons pour savoir si les animaux lui appartiennent réellement. La personne doit nous donner les preuves que les animaux lui appartiennent. Nous téléphonons à des témoins éventuels pour confirmer ou infirmer les dires de celui qui transporte les animaux.
Qu’est-ce qui fait votre force ? Est-ce le « wack » ?
Je ne saurais vous le dire. C’est du “mooré”.
Ici le “mooré” signifie wack, n’est-ce pas ?
Non ; il y a une différence entre le “mooré” et le wack. Notre force réside dans la tradition. Dans toutes les religions que vous connaissez, il n’y a point de vérité. La vérité se trouve dans nos traditions. Un interdit en est toujours un. Personne n’ose enfreindre à la règle. Parmi nos membres, celui qui joue un double jeu, avec un pied dehors un autre dedans, répondra de ses actes devant les ancêtres.
Voulez-vous dire qu’il n’y a pas de voleur parmi vous ?
Il y a de grands délinquants et voleurs qui font partie de nos équipes. Mais ils n’opèrent plus. Parmi les photos que je vous ai montrées, figurent des voleurs (il nous indique sur une photo deux voleurs faisant partie des Koglwéogo).
Est-ce qu’ils volent toujours ?
Non. Nous n’attrapons pas un voleur deux fois. Quand nous mettons la main sur un voleur, nous disons, entre autres, qu’on peut le laisser partir mais que si nous le prenons une seconde fois, il ira dans une prison d’où il ne pourra plus sortir.
Voulez-vous dire qu’il vous arrive de donner une seconde chance à un voleur ?
Bien sûr. Evidemment. S’il se repent, il peut travailler avec nous.
Donc, vous ne bastonnez pas systématiquement vos voleurs ?
On peut les bastonner juste pour qu’ils nous disent la vérité. Mais ceux qui avouent sont toujours épargnés.
Comment financez-vous vos activités ?
Ce sont les voleurs qui paient des amendes. Quand nous saisissons un voleur, nous devons récupérer ce qu’il a volé pour le restituer à son propriétaire. C’est notre principe de travail. Le voleur restitue son butin et nous paie une amende.
Et si le voleur n’a pas de quoi payer ?
Ce n’est pas possible. Quand on n’a rien, on ne vole pas. L’amende est une contrainte non négociable pour un voleur. En fait, nous sévissons toujours pour l’exemple.
Vers Léo, vos camarades Koglwéogo ont forcé un catéchiste à payer injustement une amende. N’est-ce pas là l’exemple d’une dérive dont on peut accuser les Koglwéogo ?
Sur cette question, il faut reconnaître qu’il y a eu une erreur. Dans le principe, le Koglwéogo n’a de problème qu’avec un voleur. Voyez-vous, quand il y a beaucoup de noix de karité, il arrive que certaines soient de mauvaise qualité.
C’est-à- dire ?
Quand il y a beaucoup de gens, il ne manque jamais de brebis galeuses. Aujourd’hui, sur plus de la moitié du territoire burkinabè, sont implantés les Koglwéogo. Ils ne sont pas allés à l’école, ils n’ont reçu aucune formation. Parmi nous, il y a des gens qui ne suivent pas les consignes, mais nous travaillons à ce que tout le monde respecte les règles de fonctionnement. Pour le cas du catéchiste, personne ne peut contraindre l’autre à être un Koglwéogo. Si une famille n’a pas un de ses membres parmi les Koglwéogo, quand nous attrapons un voleur qui a pris un bien appartenant à cette famille, nous ne récupérons pas le bien volé. Nous remettons le voleur à la famille concernée qui en dispose comme elle l’entend.
« Personne ne leur demande le lieu de provenance de leurs armes mais nous les victimes, on nous demande des papiers »
Selon-vous, que faut-il faire pour permettre aux Koglwéogo de continuer à apporter leur contribution à la sécurisation du territoire tout en respectant les lois de la République ?
Nous avons un peu de difficultés avec le respect des lois. Si la loi doit protéger les voleurs et brimer les honnêtes citoyens, elle sera difficile à accepter. Nous ne sommes pas allés à l’école mais nous ne sommes pas bêtes. Nous aussi, nous sommes des Burkinabè. Il n’y a pas de raison qu’un délinquant puisse nous tuer et qu’on nous dise qu’on n’a pas le droit de le bastonner ou de le tuer. C’est cela qui nous embête. Si ceux qui sont chargés de faire respecter la loi faisaient correctement leur travail, il n’y aurait pas de Koglwéogo. Si la police et la gendarmerie étaient capables de nous protéger et sécuriser nos biens, les Koglwéogo n’auraient pas de motif d’exister.
D’où proviennent les armes que les Koglwéogo détiennent par-devers eux ?
Ce sont nos propres armes.
Avez-vous des permis de port d’armes ?
Tout le monde n’en a pas. Mais, moi, j’ai le mien depuis 1987. Je voudrais vous retourner la question. Les bandits ont des armes de guerre qui ne sont pas fabriquées au Burkina Faso. Ils ont des kalachnikovs. Ils peuvent aller les acheter quelque part et venir nous massacrer. Personne ne leur demande le lieu de provenance de leurs armes mais nous les victimes, on nous demande des papiers. Pourquoi cela ? Il faut réfléchir à cette situation. Nous sommes d’accord que la détention des armes obéit à des règles mais les bandits respectent-ils ces règles ?
Ne pensez-vous pas que des gens peuvent profiter des Koglwéogo pour régler les comptes à leurs adversaires ?
Nous avons attrapé et remis à la gendarmerie des Koglwéogo qui ne respectent pas les règles. Nous sanctionnons toujours ceux qui enfreignent au règlement en notre sein. Les Koglwéogo ne s’intéressent qu’aux voleurs et aux bandits.
Selon vous, quel avenir pour les Koglwéogo ?
J’ai peur pour l’avenir des Koglwéogo. Si l’Etat nous le permettait, le travail des Koglwéogo prendrait fin d’ici trois ans parce que sans voleur ni bandit, ils n’auraient pas de raison d’exister.
Votre dernier mot ?
Je demande au gouvernement de faire la part des choses entre les dérives de Koglwéogo et celles des brigands et prendre les décisions qui s’imposent. Il faut régler les problèmes au niveau des forces de sécurité avant de venir au niveau des Koglwéogo. En plus, les délinquants ne peuvent pas avoir plus de droits que leurs victimes que nous sommes.
Propos recueillis par Christine SAWADOGO