HomeA la uneINSURRECTION POPULAIRE DE 2014 : Le synopsis d’un film long métrage  

INSURRECTION POPULAIRE DE 2014 : Le synopsis d’un film long métrage  


L’insurrection populaire n’a pas été un acte décrété. C’est la séquence d’un film, d’un long feuilleton. Autrement dit, si les 30 et 31 octobre existent, ils ont été l’épilogue d’un processus dans lequel l’issue a été difficile à pronostiquer. Nous avons retenu des faits et des dates importants de ce processus ayant abouti à l’insurrection.

 

Décembre 2009.  Cela rappelle ce que d’aucuns ont qualifié de « l’appel de Ouahigouya ». A l’occasion du 49e anniversaire de la fête nationale célébrée à Ouahigouya, le président du Faso, Blaise Compaoré, tient des propos qui indiquent le sort qu’il compte réserver à l’article 37 de la Constitution qui lui interdit un autre mandat en 2015 : « La construction de la démocratie et de l’Etat de droit est une œuvre de longue haleine qui exige de nous, un esprit d’ouverture et le respect de l’autre. A ce titre, j’invite l’ensemble des citoyens à approfondir les réflexions sur les réformes politiques indispensables à l’enracinement, dans notre société, des valeurs de démocratie et de citoyenneté responsable. Le perfectionnement continu de notre système politique est aujourd’hui un impératif qui requiert la modernisation des instruments de la gouvernance de l’Etat, en référence aux attentes légitimes des populations ».

Juillet 2009. Au cours  du 4e congrès ordinaire du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) tenu sous le thème : « Renforcer les capacités organisationnelles du CDP pour une forte impulsion du processus d’édification d’un Burkina émergent », le parti du président décide de la révision de l’article 37. Comment faire aboutir ce projet ? La solution est tout trouvée : proposer des réformes politiques et institutionnelles. Au moment où le parti se prépare à prendre l’initiative, le n°2 du régime à l’époque, en l’occurrence Salifou Diallo, tombé en disgrâce entre-temps, fait une sortie fracassante.

 

8 juillet 2009 : Salifou Diallo, ex-n°2 du régime de Blaise Compaoré accorde une interview à notre confrère L’Observateur Paalga. Tout en indiquant que la question de l’alternance n’est pas une question taboue qu’il faut contourner, il déclare: « Pour moi, le meilleur moyen de créer une alternance dans notre pays, dans la paix et la stabilité, c’est de réformer profondément les institutions actuelles, pour approfondir la démocratie, en donnant des chances égales à tous les partis politiques ». Il propose un régime parlementaire qui éviterait une « patrimonialisation de l’Etat ». « Je donne un point de vue politique, je ne vois pas pourquoi le Président du Faso va se fâcher. S’il doit l’être, c’est contre ceux qui lui « pompent » l’air tous les jours avec des pseudo-lectures de la situation nationale, qui veulent maintenir le statu quo, croyant qu’avec le temps et par des tours de passe-passe, ils pourront hériter de son pouvoir ou conserver des avantages ». En son temps président du CDP, Roch Marc Christian Kaboré va entériner la sanction qui tombera sur Salifou Diallo.

Novembre 2010 : Blaise Compaoré est élu président de la République avec 80, 15% des voix. Dans son projet de société (2010-2015) « Bâtir, ensemble un Burkina émergent », il est question de réformes. Notamment, il s’agit de  « faire de la Constitution, un instrument de progrès continu » : « La finalité d’une Constitution est d’encadrer l’exercice des droits politiques, économiques et sociaux en garantissant la stabilité et la viabilité des institutions. Dès lors que la Constitution fixe elle-même les limites de sa propre révision, je veillerai à ce que les innovations et expériences démocratiques soient contenues dans ces limites. A cet effet, j’impulserai des réformes importantes dans notre loi fondamentale pour le raffermissement de la démocratie », écrit-il. Le 11 décembre 2010, lors de la célébration du cinquantenaire de l’accession du Burkina Faso à l’indépendance à Bobo-Dioulasso, le président indique à ses concitoyens: « J’attends votre contribution à la réussite des réformes politiques indispensables à l’approfondissement de la démocratie et à l’accélération du processus d’édification d’un Burkina de paix et de prospérité partagée ».

 

20 décembre 2010 : Lors de la cérémonie de son investiture après l’élection présidentielle, Blaise Compaoré revient sur la nécessité d’engager des réformes politique : « Prenant la pleine mesure de la volonté de mes concitoyens, je conduirai mon agenda politique sous l’éclairage de leurs pertinentes propositions, qui sont porteuses d’enjeux et de défis en termes d’actions de développement, de réformes institutionnelles et politiques ».

6 février 2010 : Les partisans du président déclarent que la « limitation du mandat, dans son principe est anti-démocratique. Il va contre le droit du citoyen à désigner qui il veut ». Cette phrase est du président du parti, un certain Roch Marc Christian Kaboré.

23 juin 2011 : Après une crise socio-politique de plusieurs mois, due à la mort de l’élève Justin Zongo et à des actes de mutineries au sein des Forces de défense et de sécurité, un Conseil consultatif sur les réformes politiques (CCRP) est installé le 23 juin 2011 par le Premier ministre, Luc Adolphe Tiao. Il est fort de 66 membres, issus des formations politiques, de la société civile, autorités coutumières et religieuses. Exit les principaux partis de l’Opposition qui accusent le pouvoir de vouloir modifier la Constitution pour se maintenir au pouvoir.

Juillet 2011 : le CCRP dépose son rapport qui comporte des décisions consensuelles et des décisions non consensuelles. Selon la promesse du Président, seuls les points consensuels sont mis en œuvre. Les membres du CCRP s’accordent sur: la création d’un observatoire de la laïcité ; la journée des partis politiques ;  le maintien ou la relecture de l’article 37 de la Constitution ; l’abolition de la peine de mort ; l’élargissement à tous les partis du financement public des activités politiques lors de la campagne ; l’interdiction du financement privé des activités politiques ; la suppression des gadgets pendant les périodes d’élections, et des candidatures indépendantes aux élections législatives et municipales.  Les assises nationales sur les réformes politiques et institutionnelles organisées en début décembre 2011 maintiennent les mêmes positions.

9 décembre 2011 : A la clôture des Assises nationales, Blaise Compaoré, indique qu’il tient à la question de l’article 37 : « Les idées de réformes apparues non consensuelles n’en demeurent pas moins d’une importance certaine pour l’approfondissement de la démocratie, des libertés et de l’Etat de droit. Je pense particulièrement à celles relatives aux candidatures indépendantes, à la limitation des mandats électifs, au redécoupage des circonscriptions électorales, à l’abolition de la peine de mort et autres. Je vous convie à poursuivre les analyses sur ces questions tout aussi essentielles, car aucune contribution ne me paraît négligeable dans la construction d’une nation émergente, solidaire et démocratiquement forte. A travers ce processus qui va donner une légitimité et une légalité plus fortes à l’Etat de droit et consolider le climat de paix et de sécurité, j’invite l’ensemble de mes concitoyens à toujours faire preuve de sagesse et de sens élevé de la tolérance afin de conférer une place primordiale aux idéaux de démocratie et de dialogue. Ces vertus permettront à notre peuple souverain de transcender les divergences et d’entretenir les concertations utiles à la protection de ses acquis immenses. Aujourd’hui plus qu’hier, ma conviction est faite sur l’impérieux devoir de tous les acteurs de la vie nationale, de s’engager résolument dans le raffermissement de l’ordre républicain ».

Mars 2012 : le CDP tient son congrès ordinaire. Roch Marc Christian Kaboré, sachant déjà qu’il est éjecté de la tête du parti, se permet certaines analyses. Dans son discours, il fait savoir qu’il est « révolu le temps » où l’esprit est « formaté », « incarcéré », « standardisé, « embastillé », « emprisonné » maintenu sous une « chape de plomb » derrière « un rideau de fer ».  A l’issue de ce congrès, Salifou Diallo, Simon Compaoré, Roch Marc Christian Kaboré, entre autres, vont se voir offrir des vacances politiques. Par contre, François Compaoré fait son apparition dans l’organe exécutif du CDP.

28 juillet 2013 : L’Opposition politique et la société civile qui luttent contre la mise en place du Sénat et la révision de l’article 37, font une démonstration de force à Ouagadougou.  Plusieurs milliers de personnes manifestent ce 28 juillet dans la capitale, la date prévue par le pouvoir pour tenir les élections sénatoriales. Les slogans : «Non à la patrimonialisation du pouvoir», «Non au gaspillage des ressources du pays», « Non la modification de l’article 37». Saluant la «gigantesque mobilisation» des manifestants, le chef de file de l’Opposition, Zéphirin Diabré,  s’offusque du silence du président Compaoré sur une lettre de protestation de l’Opposition, remise lors d’une marche du 29 juin. Selon lui, le «combat contre le Sénat, contre la révision de l’article 37 et contre la politique du gouvernement doit se poursuivre résolument jusqu’à la victoire finale qu’est le changement». «Nous pouvons et nous devons être optimistes, car les choses évoluent dans le bon sens, au moment où le pouvoir est aux abois, et au CDP (Congrès pour la démocratie et le progrès, parti au pouvoir), c’est la débandade, car depuis le 6 juillet, où les partisans du président Compaoré ont manifesté leur volonté de modifier l’article 37, les clans s’attaquent au sein du parti où des cadres se démarquent publiquement des propos tenus par les premiers responsables et disent que l’Opposition a raison», explique ce jour-là Zéphirin Diabré.

Janvier 2014 : Roch Marc Christian Kaboré, Salifou Diallo, Simon Compaoré et plusieurs de leurs camarades quittent le CDP. Le lundi 6 janvier 2014, le Secrétariat exécutif national (SEN) du CDP, après une session ordinaire du parti, qualifie la démission du trio et de leurs camarades de « non-événement dans la mesure où tout le monde savait depuis longtemps que ces ex-camarades étaient de plus en plus enfermés dans une logique qu’ils n’arrivaient plus à contrôler, à savoir trouver un espace pour faire aboutir coûte que coûte leurs ambitions personnelles ». Par la suite,  le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) est créé par le trio Roch Marc Christian Kaboré, Salifou Diallo et Simon Compaoré. Le rapport de force entre le camp présidentiel et celui de l’Opposition dans les questions du Sénat et surtout de l’article 37 de la Constitution prend une autre tournure.

Février 2014 : Un groupe de médiateurs, composé du président Jean-Baptiste Ouédraogo, Mgr Paul Ouédraogo, El hadj Mama Sanou et le pasteur Samuel Yaméogo, s’auto-saisit pour tenter de dénouer la crise, en faisant des propositions : « Le Burkina Faso vit une crise politique depuis plusieurs mois avec des risques de confrontations, de divisions et de troubles pouvant compromettre la paix sociale d’où l’initiative de cette médiation interne dont l’objectif est d’éviter que la crise politique actuelle ne dégénère en affrontements catastrophiques pour tous et d’aboutir à un modus vivendi sous forme de plateforme de transition démocratique apaisée. Cette volonté a conduit le groupe de médiation à demander à l’Opposition et à la majorité de respecter scrupuleusement la Constitution en s’interdisant la révision de l’un et l’autre des articles déjà ancrés dans la loi fondamentale. Par ailleurs, la médiation a proposé l’adoption d’un mécanisme qui pourrait ménager une sortie honorable à M. le Président du Faso, l’ouverture d’une transition démocratique apaisée au terme de son mandat constitutionnel, des garanties de sécurité et l’acceptation d’une formule de sénat aménagé en concertation avec l’Opposition et dont la mise en place se fera d’accord parties ». Cette médiation va échouer.

21 octobre 2014 : le régime de Blaise Compaoré décide de convoquer un référendum pour trancher la question de l’article 37. Un Conseil extraordinaire des ministres se tient le mardi 21 octobre 2014. « Par application du titre 15 de la Constitution, le Conseil extraordinaire des ministres a adopté un projet de loi portant révision de la Constitution qui sera soumis à l’Assemblée nationale en vue de la convocation du référendum (…). La date sera donnée après le vote de l’Assemblée nationale», déclara à l’issue de ce Conseil Jérôme Bougouma, ministre de l’Administration territoriale et de la Sécurité. Extrait du rapport du Conseil extraordinaire des ministres : « Le Conseil a examiné un projet de loi portant révision de la Constitution conformément aux dispositions des articles 161 à 165 du titre XV de la Constitution. Le Conseil a marqué son accord pour la transmission de ce projet de loi à l’Assemblée nationale, conformément à l’article 163 de la Constitution en vue de la convocation d’un référendum. Le vote est programmé pour le 30 octobre ».

28 octobre 2014 : Les opposants à la révision de l’article 37 organisent une grande manifestation à Ouagadougou et en provinces. Plusieurs centaines de milliers de Burkinabés – un million selon les organisateurs –  descendent dans les rues de Ouagadougou, et protestent contre la décision du gouvernement de procéder à une modification de la Constitution qui permettrait au président Blaise Compaoré, de briguer un cinquième mandat en 2015. Lors de cette manifestation, d’une rare ampleur en Afrique subsaharienne, les manifestants arboraient des pancartes portant les slogans suivants : « Judas, libérez les lieux », « Blaise dégage » ou encore « Article 37 intouchable ».

30 octobre 2014 : l’Assemblée nationale doit se réunir pour voter le projet de loi portant révision de la Constitution en vue de la convocation du référendum. Les députés n’en auront pas le temps, puisque l’Assemblée a été saccagée dans la matinée par des milliers de manifestants. Le départ de Blaise est réclamé sous une ambiance de pillages et d’incendie de bâtiments publics et de biens des hommes du régime Compaoré.

31 octobre 2014 : Dans les environs de 12 heures, Blaise Compaoré quitte le pouvoir. Dans un convoi de 28 véhicules, il se dirige vers Pô. Les Burkinabè apprendront ensuite, qu’un hélicoptère de l’armée française l’a exfiltré avec pour destination, la Côte d’Ivoire. Pour la suite des évènements, des tractations dont les contours restent jusqu’à ce jour à élucider, aboutissent à la prise du pouvoir par le lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida. C’est la fin d’un film long métrage de l’histoire de l’article 37 qui a connu son épilogue dans une insurrection populaire.

Par Michel NANA


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