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JOURNEE INTERNATIONALE DE LA FEMME : Une fête toujours à polémique


Jamais la fête de 8-Mars n’avait fait couler autant d’encre et de salive. La polémique tourne autour de la multitude de pagnes qui existent, à l’occasion de cette fête. Alors que le gouvernement a bien signifié que le pagne officiel du 8-Mars au Burkina Faso, est le pagne tissé.  Malgré ce décret, des pagnes venant d’horizons divers ont envahi le marché national. Qu’en pensent les femmes ? Comment les commerçants s’en sortent-ils ? Comment les femmes vont-elles passer la journée du 8-Mars ? Quelle est la vision de certains hommes à propos du 8-Mars ? Le constat est clair, le 8-Mars est une fête à polémique.

A l’instar des femmes du monde entier, les femmes du Burkina Faso commémorent la 160e Journée internationale de  la femme  sous le thème : «La valeur morale de la personne humaine : responsabilité des communautés dans la lutte contre l’exclusion sociale des femmes ». Mais au Burkina Faso, ce n’est ni le thème de la journée, ni les réflexions sur l’amélioration des conditions de vie des femmes qui font des gorges chaudes, mais la diversité et le prix du pagne. En effet, depuis la Transition, il a été décrété que le pagne tissé est le pagne officiel du 8-Mars. Mais depuis ce temps, on constate sur le marché une diversité de pagnes imprimés et de pagnes tissés, tous destinés aux femmes. Alors que si l’on analyse le fond de l’existence du pagne du 8-Mars, il a été institué pour renforcer l’unité entre les femmes. Mais vu toutes les polémiques autour de ce pagne tant convoité par les femmes, ne courons-nous pas le risque de nous détourner de son objectif premier, à savoir l’unité et la cohésion des femmes autour de la lutte commune pour leur émancipation ? En tout cas, les femmes du Burkina Faso ont du mal avec le pagne du 8-Mars de l’édition 2017, tant il y en a trop sur le marché, si fait qu’elles ne savent plus quel pagne porter le jour de la fête, même si c’est le pagne tissé qui a été choisi officiellement par le gouvernement. Reine Yabré, vendeuse de cosmétiques, dit n’avoir pas payé le pagne du 8-Mars parce qu’« il y a une quinzaine de pagnes et je ne sais pas lequel choisir.  Il y a le pagne tissé, une réplique du pagne tissé mais en version imprimée et les pagnes imprimés ordinaires. En fait, les pagnes sont diversifiés mais très chers ». Pourquoi ne pas payer le pagne officiel, c’est-à-dire le Faso Dan Fani ? « Je voulais le payer, mais c’est cher. J’ai l’habitude de payer le pagne pour toute la famille, notamment mon mari, les enfants, mes sœurs, ma mère, ma belle-mère. Je fais tout pour que chacun ait au moins un morceau à porter le jour du 8-Mars, mais avec le pagne tissé, c’est pratiquement impossible », a-t-elle soutenu. « Les pagnes tissés sont bien mais c’est cher. Le pays est dur ». Comme solution alternative, Mme Yabré propose que « le pagne tissé soit utilisé chaque deux ans comme pagne officiel et dans cet intervalle on utilise le pagne imprimé comme pagne officiel ». Si Reine ne s’est pas procuré le pagne, Alima qui est coiffeuse dit avoir payé un pagne imprimé de couleur verte. « J’ai payé le pagne mais je regrette actuellement parce que je suis découragée à cause de la diversité des pagnes du 8-Mars. On ne sait même plus quel pagne tissé est le pagne officiel, parce qu’il y en a de toutes les couleurs et les logos sont différents. Il en est de même au niveau des pagnes tissés. Cette multitude de pagnes porte un coup au message d’union. Quand les femmes ne s’habillent pas avec le même pagne le jour du 8-Mars, il n’y a pas d’harmonie », souligne-t-elle. Laure Sawadogo, quant à elle, voit le problème du pagne sous l’angle de la cherté. « Je n’ai pas payé le pagne du 8-Mars parce qu’il est trop cher. Il y en a à 7 500 et à 6 000 F CFA. Le 8-Mars, c’est la fête des femmes ; raison pour laquelle on doit diminuer le prix du pagne pour permettre à toutes les femmes de se le procurer. Que ce soit le pagne tissé ou le pagne imprimé », a-t-elle dit. Concernant le choix du pagne tissé comme pagne officiel, Reine Yabré dit ne pas y trouver d’inconvénient, « parce que le pagne est bien » mais, dit-elle, « avec le pagne tissé, quand on veut habiller tout le monde dans la famille, cela vous revient très cher. Sinon, le pagne tissé est résistant et c’est un produit de chez nous. Mais quand tu es avec ton conjoint, au moins tu dois lui faire plaisir en lui payant un pagne du 8-Mars pour qu’il en fasse une chemise ». Concernant la diversité des pagnes du 8-Mars, Laure Sawadogo estime que « ce n’est pas une bonne chose ». Elle préconise « un seul motif, une seule couleur, c’est-à-dire une seule sorte de pagne pour toutes les femmes ».

Quid de la journée du 8-Mars ? Reine Yabré affirme que le jour du 8-Mars, « nous préparons un repas de fête pour toute la famille et nous nous souhaitons les vœux parce que c’est une nouvelle année ».

« Le 8-Mars, je me repose et mon mari fait le ménage »

Laure Sawadogo nous donne des pistes en ces termes : « Ce jour, c’est moi qui assure la popote et mon mari va au marché pour revenir préparer. Le 8-Mars, je me repose et mon mari fait le ménage à la maison ». Paradoxalement, un lecteur que nous avons interviewé et qui a préféré garder l’anonymat, nous a dit que « jamais, il ne fera la cuisine parce que c’est le 8-Mars ». Pour lui, l’objectif de la Journée internationale de la femme ne se limite pas à inverser les rôles, « c’est plus profond que cela. Les femmes du Burkina Faso ne doivent pas se focaliser sur les festivités mais réfléchir à comment se défaire du carcan de la pauvreté parce qu’il est prouvé que la pauvreté a un visage féminin ». Pour les pagnes, il estime qu’il faut supprimer ce volet parce que « ça entraîne des problèmes dans les foyers en ce sens que quand tu payes les trois pagnes pour ta femme, il faut payer autant pour ta mère, sans oublier la belle-mère et les filles de la famille. Cela fait beaucoup de dépenses ». A quand donc la réduction du coût du pagne tissé ? Le ministre en charge de la femme, Laure Zongo/Hien, a, au cours d’une conférence de presse organisée le 28 février 2017, démontré que « la réduction du coût du pagne tissé n’est pas pour maintenant». Elle explique : « Nous avons effectué une visite à l’usine dénommée Filature du Sahel (FILSAH) qui produit les ballots de coton, mais ils nous ont montré qu’ils ne peuvent pas encore réduire les coûts, compte tenu de leurs charges. Donc, nous sommes en réflexion pour trouver les voies et moyens afin de réduire le coût du pagne tissé ». Pour ce qui est de la multitude de pagnes et de la diversité des logos, au cours de la même conférence de presse, Sylvie Sontié Meda du ministère du Commerce, de l’industrie et de l’artisanat, a relevé que ce n’est pas une impuissance de la part du gouvernement. En effet, explique-t-elle, « des projets d’arrêté avaient été préparés pour interdire la production du motif que l’autorité a choisi, sur autre support que le Faso Dan Fani. Mais nous avons été interpellés lorsque nous avons introduit ces projets, au motif que les accords que le Burkina Faso a ratifiés en matière de promotion et de protection industrielle et intellectuelle ne sont pas respectés». Par conséquent, « si nous voulons édicter ces arrêtés sans respecter les conventions, le Burkina Faso peut être sanctionné ». Que faire alors face à cette nouvelle équation qui s’impose aux autorités gouvernementales ? En tout cas, importateurs et commerçants du Burkina Faso profitent bien de ce parasol dressé par les conventions internationales. Si fait qu’à Rood-Wooko,  grand Marché de Ouagadougou, on rencontre toutes sortes de pagnes avec des diversités de logos, de motifs et de couleurs qui se vendent à différents prix, selon la qualité du pagne. « Il y a une dizaine de sortes de pagnes du 8-Mars au marché. Si fait que les femmes ne savent plus quel pagne prendre parce qu’il y en a trop », nous informe Hadja Traoré, dans un brouhaha commun à tous les marchés. Entre deux conversations avec des clientes, elle reprend : « Moi, je vends les pagnes de Chine mais c’est l’original », comme pour nous rassurer. Quelques instants après, elle poursuit : « Nous les commerçantes, nous ne trions pas. Tous ce qui est pagne du 8-Mars, nous achetons et revendons parce que nous voulons faire fructifier notre argent ». Est-ce que les années antérieures, c’était la même chose ? « Non. Avant, le monopole du pagne du 8-Mars était détenu par une seule personne. Mais cette année, nous avons constaté que c’est devenu une affaire de moyens. Quand tu as de l’argent, tu t’en vas prendre un container en Chine et tu viens vendre. Le grossiste chez lequel je me suis ravitaillée n’a pas importé beaucoup de pagnes parce qu’il avait peur de se faire prendre, car les pagnes qu’il a fait venir sont différents de ce que le gouvernement a dit de porter. Donc, ça fait que les balles de pagnes que je prends sont vite finies. Si fait que certaines ne font plus de différence entre le pagne du 8-Mars d’ici et ceux d’ailleurs et elles payent tous les pagnes sur lesquels il est écrit « 8-Mars » », nous a-t-elle confié.  A la question de savoir pourquoi elle ne vend pas le pagne officiel, elle nous apprend que « le pagne tissé est bien », mais « l’année dernière, nous avons eu des problèmes avec les clientes parce qu’il se trouvait que les logos étaient imprimés sur le pagne tissé. Et au premier lavage, les femmes ont constaté que le logo s’est détérioré parce que c’était de l’encre qui n’est pas indélébile. Ce qui nous fait perdre des clientes ». Compte tenu de tous ces aspects, « cette année, nous avons décidé de vendre le pagne imprimé au lieu du pagne tissé. Mais il y a trop de désordre », a indiqué Mme Traoré.  Comme solution, Hadja estime qu’il faut que le gouvernement initie une rencontre avec les associations de commerçants de pagnes, pour voir comment sortir de ce désordre. Effectivement, un vrai désordre règne dans le domaine. En témoigne la multitude de pagnes que nous avons vus sur les étalages des commerçants. Certains pagnes ne comportant même pas de thème. Et même qu’il y en a sur lesquels on peut lire « Journée internationale de la femme, Women’s day ». En tout cas,  dans ce marché, les commerçants qui vendent les pagnes imprimés ne se plaignent pas, parce qu’ils font de bonnes affaires avec les pagnes du 8-Mars. A quelques mètres,  loin de la boutique de Hadja, se trouvent la boutique de Salam Koanda, vendeur de pagne tissé. Chez lui, dit-il, « ça marche un peu parce que les commerçantes de pagnes imprimés nous font une concurrence déloyale ». Salam Koanda estime que la population doit respecter ce que le gouvernement a dit, à savoir « porter le pagne tissé le jour de la commémoration de la Journée internationale de la femme ». En tout cas, il est clair que le 8-Mars au Burkina Faso, rimera toujours avec une histoire de pagne.

Pour ce qui est des pagnes qui véhiculent les messages du genre : « Protéger le mariage forcé et précoce », qui portent atteinte à la dignité de la femme, Sylvie Sontié Méda a rassuré « qu’ils ont été retirés du marché ».

Françoise DEMBELE

 


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