JUGEMENT EN ASSISES DE SIMONE GBAGBO : Un procès juste dans le principe, mais…
Hier, 31 mai 2016, s’est ouvert à Abidjan, le procès en assises de Simone Gbagbo. L’ex-Première dame de la Côte d’Ivoire est, faut-il le rappeler, poursuivie par la Justice ivoirienne, pour crimes contre l’humanité suite à la crise post-électorale qui a secoué le pays. Ce procès fait suite à un autre où elle a écopé de 20 ans de prison pour atteinte à la sûreté de l’Etat. Dans un Etat de droit qui se respecte, tout individu doit pouvoir répondre de ses actes devant les structures habilitées à l’entendre, chaque fois qu’il le faut. L’épouse Gbagbo est accusée d’avoir joué un rôle néfaste dans la crise qui a secoué le pays. Elle est soupçonnée d’avoir été l’instigatrice des fameux escadrons de la mort qui, comme leur nom l’indique, ont semé la mort et la désolation à un certain moment dans le pays. Nombre de gens reprochent à Simone Gbagbo d’avoir semé la graine de l’anti-fraternité et de la violence sur les bords de la lagune Ebrié.
Ce procès constitue un cas de conscience pour tous ceux qui sont épris de justice et d’équité
Présentée comme une dame de fer, elle jouit d’une réputation sulfureuse à tout le moins. Elle faisait la pluie et le beau temps au temps où son époux était au pouvoir. Au sein du Front populaire ivoirien (FPI) qui fait de la libération de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé, son cheval de bataille, Simone Gbagbo ne semble pas vraiment bénéficier de la même attention. Certes, elle a conservé de nombreux partisans, en témoignent les images de l’ouverture des Assises. Mais, elle ne bénéficie pas visiblement du même charisme, ne déchaîne pas les mêmes passions que son époux. C’est peut-être en raison des vexations qu’il lui est reproché d’avoir fait subir à bien des gens, y compris à son propre camp, sous le régime Gbagbo. Quoi qu’il en soit, les faits reprochés à l’épouse Gbagbo sont si lourds qu’il est important que la Justice l’entende. C’est donc un procès juste dans le principe. Mais, ce procès, quoique bien fondé, comme tous les autres sur la grave crise qui a secoué la Côte d’Ivoire pendant une décennie, constitue un cas de conscience pour tous ceux qui sont épris de justice et d’équité. En effet, la situation de belligérance en Côte d’Ivoire a été telle qu’on ne peut qu’être choqué par cette façon de rendre justice. Une justice sélective. Une justice qui peint en noir un camp pendant que l’autre, en dépit des nombreuses accusations et soupçons qui pèsent contre lui pour les mêmes crimes, se la coule douce. On ne peut pas légitimement réclamer la justice sans la réclamer pour tous. Chaque individu, quel qu’il soit et de quel que camp qu’il soit, doit, en pareille circonstance, lorsqu’il est soupçonné de crimes aussi graves, être entendu par la Justice. On connaît le réflexe qu’ont les princes régnants à vouloir se soustraire, eux et leurs proches, au pouvoir de la Justice. Hélas, les attitudes de ce genre ne font que cacher le feu qui couve, reporter les problèmes. Car, il suffit que la force change de camp pour qu’une sorte de revanche s’installe.Dès lors, on comprend pourquoi les organisations de défense des droits de l’Homme refusent de prendre part à ce procès, allant jusqu’à remettre en cause la crédibilité de la procédure. En clair, pour elles, ce n’est ni plus ni moins qu’un procès politique. Et c’est peu dire ! Ce comportement de la Justice est un véritable obstacle à la paix, la vraie, celle qui permet, au regard de l’objectivité des procès, aux cœurs meurtris de se cicatriser. Du reste, que ne constate-t-on pas dans ces procès sur la crise ivoirienne ? Ceux qui sont traqués rejettent en bloc tout ce dont on les accuse. Comme pour faire écho à ceux qui refusent le principe que les leurs soient entendus, jugés. Car malgré ces milliers de morts, personne ne se sent coupable de rien. Donc, chacun peut encore se rendre coupable demain de ce dont il est aujourd’hui accusé, pour peu qu’il en ait l’occasion. C’est triste de le dire, mais c’est hélas, cela la vérité des choses en Eburnie.
Si la justice à double vitesse devait perdurer, le pays demeurera dans l’œil du cyclone
Une crise si meurtrière que celle qu’a connue le pays en une dizaine d’années, il importait que chaque protagoniste se regarde dans la glace, fasse une sincère introspection. Reconnaître ses fautes, les confesser est une preuve de grandeur d’âme. Il n’est pas donné à n’importe qui d’avoir l’humilité et la conscience nécessaires pour faire amende honorable. Aussi bien les pro-Gbagbo, poursuivis aujourd’hui, que les pro-Ouattara qui ne sont pas encore inquiétés malgré les soupçons qui pèsent sur eux, tous devaient, par amour pour leur patrie et en toute âme et conscience, reconnaître le cas échéant, leur part de responsabilité dans la chape de ténèbres et de violences qui s’était abattue sur la Côte d’Ivoire. Cette catharsis est indispensable aux Ivoiriens pour se pardonner et repartir sur des bases saines. Elle permet aux victimes d’un camp comme de l’autre, de faire véritablement le deuil de leurs morts et à l’ensemble des Ivoiriens de réapprendre à vivre ensemble, tirant leçon de leur passé douloureux. Il n’y a donc pas de raison de faire dans le sentimentalisme. Ceux qui sont soupçonnés de crimes doivent être entendus et se doivent de coopérer franchement pour la manifestation de la vérité. Mais, une fois de plus, il importe qu’on fasse l’effort d’entendre tous ceux qui sont indexés, quitte à les relaxer si leur culpabilité n’est pas établie à l’issue des procès. Tant que les poursuites se feront à la tête du client, tant qu’elles seront biaisées, la Justice sera le vilain petit canard, l’obstacle majeur des efforts de réconciliation en Côte d’Ivoire. Ainsi, chaque camp restera sur la défensive et voudra conserver le pouvoir ou l’arracher dans l’optique de faire rendre gorge à l’autre, et d’assurer sous le parapluie du pouvoir, sa propre impunité en toute quiétude. Si cette justice à double vitesse devait perdurer, le pays demeurera dans l’œil du cyclone et la fin du magistère de Alassane Ouattara risque d’augurer de lendemains incertains pour le pays.
« Le Pays »