HomeA la uneJUSTICE POUR LES BERETS ROUGES AU MALI : Les parents des victimes seront-ils entendus ?

JUSTICE POUR LES BERETS ROUGES AU MALI : Les parents des victimes seront-ils entendus ?


En mai 2012, un charnier contenant les corps de 21 bérets rouges avait été découvert à Diago près de Bamako. Ces militaires, proches de l’ancien président Amadou Toumani Touré, avaient été froidement exécutés après une tentative présumée de contre-coup d’Etat contre les putschistes bérets verts qui venaient de s’emparer du pouvoir par la force. L’homme fort de l’époque était le sulfureux Amadou Sanogo. Ce dernier, contraint de lâcher le pouvoir sous la pression notamment des chefs d’Etat de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) avait été inculpé le 27 novembre 2013 d’abord pour « complicité d’enlèvement ». Les charges avaient ensuite été requalifiées en « complicité d’assassinats ». C’était le 22 avril 2014. Depuis cette date, les choses sont restées en l’état sur les bords du fleuve Djoliba. C’est contre cette attitude de la justice malienne que les épouses et les familles des bérets rouges assassinés ont battu le macadam le 5 novembre dernier, pour exprimer leur mécontentement.

 

La colère des parents des victimes est légitime

 

Et ils l’ont fait savoir en des termes explicites et pathétiques, à qui de droit. En effet, Sagara Bintou Maïga, dont le fils fait partie des victimes, a laissé entendre ceci à cette occasion : « On veut avant tout la justice. Récupérer le corps ne servira à rien si on n’obtient pas gain de cause. Il faut qu’il y ait un procès. Ensuite, on pourra faire notre deuil ». Dans le même registre, le Secrétaire général de l’association des parents et épouses des victimes, a appelé le gouvernement à prendre toutes ses responsabilités sur cette affaire. Il est d’autant plus remonté contre la justice malienne que selon lui, « des rumeurs sont en train de courir sur le fait qu’après trois ans, c’est-à-dire le 27 novembre prochain, Sanogo sera libre ». L’avenir nous dira si cette rumeur relève de l’intox ou pas. En attendant, force est de reconnaître que la colère des parents des victimes est on ne peut plus légitime. En effet, comment comprendre que plus de 3 ans après les faits, la justice malienne ne soit pas capable de fixer une date pour le procès relatif au charnier des bérets rouges ? Cela  est d’autant plus incompréhensible que l’homme par qui le malheur s’est abattu sur les 21 bérets rouges et par voie de fait sur leurs familles, c’est-à-dire le capitaine Sanogo, pardon le Général Sanogo, a été arrêté et inculpé depuis le 27 novembre 2013. Le responsable politique et moral du progrom donc a été identifié. Par conséquent, les parents des victimes étaient en droit d’attendre que les investigations soient accélérées de manière à identifier et à punir tous les acolytes qui ont trempé leur main dans cette boucherie digne de Néron. Un autre élément qui nous amène à dire que la justice malienne n’a aucune excuse, est le fait que les camarades d’armes rescapés des 21 bérets rouges assassinés, représentent une mine potentielle d’informations dans laquelle la justice malienne a la latitude de puiser tout ce dont elle a besoin pour faciliter toute la manifestation de la vérité. Seulement, l’on peut avoir le sentiment que certaines considérations parasitent l’action de la justice dans l’élucidation de cet épisode sanglant de l’histoire récente du Mali. La première pourrait être liée au fait qu’un procès du Général Sanogo, dans le cadre de cette affaire, a de fortes chances de faire tomber des têtes et non des moindres au sein de la Grande muette. Or, le contexte fait qu’une telle éventualité pourrait fragiliser davantage la cohésion de l’armée et subséquemment le moral de la troupe face à la menace djihadiste qui prend de plus en plus de l’ampleur. En effet, pas plus tard qu’hier, un convoi de la MINUSMA a fait l’objet d’attaque, faisant un mort et plusieurs blessés  dont trois dans un état grave. La deuxième considération tient au fait que de par le passé, le sulfureux capitaine s’était beaucoup investi pour favoriser la victoire de Ibrahim Boubacar Kéita (IBK)  à la présidentielle. Ce dernier pourrait être donc tenté de lui retourner l’ascenseur en lui garantissant une impunité. L’on pourrait objecter à cette hypothèse en brandissant le principe de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de la justice. Mais il faut avoir la lucidité et l’honnêteté de reconnaître que sous nos tropiques, dans bien des pays, ce principe reste encore une vue de l’esprit. Cette appréciation vaut surtout pour les juridictions d’exception, comme les tribunaux militaires. Dans nombre de pays de l’Afrique noire francophone, en effet, ce genre de tribunaux n’ont pas encore réussi à couper le cordon ombilical qui les lie au pouvoir et par voie de conséquence à la présidence de la République. En ce qui concerne l’affaire des bérets rouges au Mali, c’est ceci qui pourrait expliquer cela. Si cette hypothèse venait à se confirmer, l’on pourrait affirmer que c’est un coup mortel porté contre la démocratie au Mali.

 

Toutes les grandes nations ont su solder leur passé par la justice

 

En effet, la démocratie, pour prendre pied véritablement dans un pays, ne peut en aucun cas cohabiter avec l’impunité et le déni de justice. Croire le contraire relève d’une constipation de l’esprit. Car, la justice, selon Platon, « c’est l’ordre et l’harmonie de l’âme ». Tous ceux qui, au Mali ou ailleurs, ignorent cette sagesse au point de prôner la réconciliation en passant par pertes et profits la vérité et la justice, sont en train, consciemment ou inconsciemment, de saper les bases de la stabilité et du développement durable. Et au Mali, les massacres odieux qui gardent encore intacts tous leurs mystères sont légion, faute de justice. L’on peut, par exemple, en plus du cas des 21 militaires bérets rouges, citer, entre autres, celui d’Aguelhok. On  se rappelle, en effet, que peu avant que les djihadistes ne fassent main basse sur le septentrion du pays, un nombre important de soldats maliens en poste dans cette localité, avait été assassiné avec une barbarie qui rappelle le moyen-âge. Jusqu’à ce jour, la justice malienne est restée muette sur la question. Pourtant, les auteurs de ce drame sont connus de tous. Certains d’entre eux se la coulent douce aujourd’hui au Mali. De ce point de vue, l’on peut se demander si les parents des bérets rouges assassinés sous la terreur du capitaine Sanogo, seront entendus. En tout cas, il faut le souhaiter car, toutes les grandes nations ont su courageusement solder leur passé par la justice. En dehors de cela, tout le reste n’est que saupoudrage qui ne fera que reporter les vrais problèmes. D’ailleurs, l’on peut dire que c’est le triomphe de l’impunité dans ce pays qui a enfanté des monstres qui échappent aujourd’hui à tout contrôle. Ansar Dine en est un exemple, lui qui vient de faire une piqûre de rappel au peuple malien en assassinat un malheureux soldat du contingent français, dans les environs de Kidal. Ainsi vont les pays qui trichent avec la justice.

 

« Le Pays »


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