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LA LETTRE DE L’EDITEUR/INSECURITE AU SAHEL


Depuis quelques jours, l’année 2019 gît dans le grand caveau du Temps. A jamais endormie dans les profondeurs abyssales du néant, elle fait place à 2020, toute nouvelle certes, mais au diadème déjà terni par les stigmates et la douleur des tragiques événements de 2019. Ouverte dans l’horreur (tueries de Yirgou, le 1er janvier), 2019 s’est refermée, hélas, dans la même symphonie tragique. Et elle projette déjà ses brûlantes et mortelles éclaboussures sur 2020. On croise les doigts.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le Burkina continue sa pénible et douloureuse marche vers son Golgotha. A telle enseigne que s’il est un vœu partagé en cette aube de nouvel an, par l’ensemble des filles et fils de ce pays et au-delà, c’est bien que le « Pays des hommes intègres », triomphe enfin de la barbarie insensée que lui imposent depuis le 15 janvier 2016, les haruspices illuminés de l’apocalypse, en passe de ravir au diable, la palme de l’ignominie.

La comptabilité macabre des attaques terroristes aura été longue comme le bras, en 2019 (plus d’un demi-millier de personnes tuées) et son lot de déplacés internes sans commune mesure, tous contraints d’entasser du jour au lendemain, leur vie dans un baluchon et partir, pour ne pas subir la folie bestiale du monstre anthropophage.

Mais face à la tragédie, l’on peut saluer à sa juste valeur, l’effort continu et soutenu des preux chevaliers de notre sécurité, c’est-à-dire nos FDS (Forces de défense et de sécurité) qui, de plus en plus, infligent de lourdes pertes à l’ennemi grâce à leur progressive montée en puissance. Même s’il est notoire qu’il faudra bien plus pour venir à bout de l’ogre.

Face à l’ennemi invisible qui se mue comme un gaz mortifère, la lutte engagée doit être collective

Vaincre à tout prix ; c’est un impératif catégorique, d’autant que les élections de 2020 avancent à grandes enjambées.  Celles-ci se tiendront-elles à bonne date ? Si oui, dans quelles conditions et proportions ? Questions à mille tiroirs. Gageons que d’ici là, des garanties de sécurité suffisantes seront réunies pour que les Burkinabè en âge de voter, où qu’ils soient en territoire burkinabè, puissent s’acquitter convenablement et sans crainte, de leur devoir de citoyen. En tous les cas, la plus que préoccupante situation sécuritaire ne saurait avoir bon dos ; elle ne doit servir d’alibi ni de chemin de traverse vers la satisfaction d’intérêts obscurs et partisans tendant à reporter sine die la tenue du scrutin.  La conscience responsable de tout un chacun, est interpellée et l’on ose croire que la classe politique dans son ensemble, saura se fixer des limites à ne pas franchir.

Face à l’ennemi invisible qui se mue comme un gaz mortifère, c’est connu, la lutte engagée doit être collective. Elle ne peut être laissée entre les seules mains de nos braves soldats. Et c’est pourquoi l’on peut se féliciter que des groupes d’auto-défense aient vu le jour pour engager la riposte. Une action citoyenne qui vaut aujourd’hui son pesant de dissuasion, au regard des quelques résultats appréciables déjà engrangés sur le terrain. Quant à l’appel du chef de l’Etat au recrutement de volontaires, l’on attend de savoir quelles en seront les modalités pratiques.

Dans leur lutte contre les forces maléfiques, les pays du G5 Sahel ne sont pas seuls. Ils bénéficient du soutien déterminant et continu de la France, engagée depuis janvier 2013 au Sahel, à travers l’opération Serval plus tard rebaptisée Barkhane, forte à ce jour, de 4 500 hommes. Que serait aujourd’hui le Mali pour ne citer que ce pays-là, sans l’appui de cette force ? Sans nul doute sous la cruelle et humiliante férule des groupes obscurantistes armés, et arraché à la farandole des Etats-Nations. Et c’est pourtant l’opportunité de la présence militaire française au Sahel, qui fait débat.

En effet, dans de larges secteurs de l’opinion publique africaine, s’est développé un sentiment anti-français vociféré au rythme de marches populaires et autres prises de positions de responsables politiques. Des événements très mal vécus dans l’Hexagone, à l’image du mémorable coup de sang du général Lecointre, chef d’Etat-major des Armées françaises, dont l’émoi ressenti suite à la perte récente de ses treize soldats à Ménaka dans le Liptako-Gourma, le 25 novembre dernier, aura été ravivé par l’amer sentiment du sacrifice payé en monnaie de singe.  Dans la foulée de ce drame et certainement excédé par les mouvements d’humeur des populations du G5 Sahel, le président français, Emmanuel Macron, s’est-il, comme on l’en a soupçonné, laissé emporter par l’émotion, dans son adresse à l’issue du dernier sommet de l’OTAN (Traité de l’Atlantique Nord) ?

Autant Macron veut des réponses claires, autant il devrait se résoudre à tenir un langage de vérité

Toujours est-il qu’il aura été reproché à l’actuel locataire de l’Elysée, un ton inadéquat, quand certains y ont vu une « convocation » à peine voilée des chefs d’Etat africains du G5 Sahel. Sans doute Jupiter a-t-il voulu, à travers sa saillie médiatique, calmer et donner des gages à son opinion publique particulièrement remontée contre l’électro-choc de Ménaka. Faut-il lui en tenir rigueur ? Dans le fond, on ne peut reprocher au président français de réclamer à ses pairs africains, de clarifier leurs positions sur l’engagement militaire français dans les pays respectifs, d’autant que cette présence est pour le moins dénoncée sur le sol africain et l’Hexagone accusé d’être de connivence avec des groupes armés terroristes. Mais autant le président Macron veut des réponses claires (oui ou non ses pairs africains veulent-ils toujours de Barkhane), autant il devrait se résoudre à tenir un langage de vérité à ses concitoyens par rapport à la lancinante et préoccupante question du statut particulier de Kidal, cet Etat dans l’Etat malien.

En tout état de cause, les récentes effusions de colère populaire contre la présence militaire française au Sahel, tirent en grande partie leurs sources ou leur légitimité des ambiguïtés qui continuent à caractériser les relations entre la France et ses anciennes colonies.  Tant et si bien que plus que jamais, les peuples africains de plus en plus formés, informés, critiques et exigeants, attendent de leur ancien colonisateur, des relations empreintes de clarté mais aussi de respect réciproque.  Des exigences dont les dirigeants doivent se sentir contraints de tenir compte. Osons croire que la rencontre de Pau sur l’avenir de Barkhane, prévue pour le 13 janvier 2020, qui s’annonce comme celle de la « clarification » tant réclamée par le président Emmanuel Macron, permettra aux chefs d’Etat du G5 Sahel, de « se parler franchement ».  En tout cas, pour les pays du G5 Sahel, il y a urgence à trouver la thérapie de choc face à la grave pathologie sécuritaire susceptible d’engager le pronostic vital de ces Etats.

Pour en revenir au Burkina, le mal terroriste ne saurait en cacher un autre ; il s’agit de la mal gouvernance économique que ce pays continue de traîner comme un fil à la patte. Entre faits de corruption et scandales de gestion dans bien des secteurs de l’Administration publique et au-delà, le plus emblématique de l’année écoulée, ayant été l’affaire dite de charbon fin, les lièvres repus et grassouillets soulevés sans cesse par les médias d’investigation, ont été nombreux.

L’enrichissement illicite, goguenard, continue sa vile marche

Et les structures anti-corruption comme l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de lutte contre la corruption (ASCE/LC), le Réseau national de lutte anti-corruption pour ne citer que ceux-là, toujours aux trousses des « Ali Baba » et de leurs cavernes, en savent certainement beaucoup. Mais, hélas, plus grave est le traitement généralement réservé à ces graves manquements à l’orthodoxie comptable et financière, par le pouvoir en place.  On peut avoir, en effet, le sentiment qu’aucun brise-vent n’a été sérieusement envisagé pour freiner les ardeurs de la kleptomanie et de la délinquance financière, malgré le colossal travail abattu au quotidien par ces structures d’Etat.  Conséquence, l’enrichissement illicite (détournements, surfacturations, marchés de gré à gré, etc.), goguenard, continue sa vile marche dans un contexte général d’incivisme ambiant, d’affaissement de l’autorité de l’Etat.  Il faudra pourtant y mettre le holà si tant est que le Burkina veuille véritablement s’inscrire dans la logique d’une gouvernance vertueuse.   Mais tout n’aura pas été que ombres sur le tableau 2019 ; loin s’en faut. Car, il faudra reconnaître au pouvoir actuel, ses efforts continus et soutenus en matière d’infrastructures routières, de santé, d’eau potable, d’énergie, etc., en dépit d’un environnement particulièrement difficile aggravé par le péril terroriste.

L’an 2019 aura aussi connu le procès à rebondissements du coup d’Etat manqué de septembre 2015, qui a rendu son verdict le 2 septembre dernier. Le fait que le jugement soit allé jusqu’à son terme, est, en soi, déjà une grande victoire pour la Nation et la démocratie. Quoi qu’on dise de son verdict, les accusés auront eu droit à un procès où chacun a eu l’occasion de faire valoir ses arguments pour sa défense.  C’est la preuve que le différend peut se régler par la justice et il est heureux de constater que le temps où « on te fait (zigouiller) et il n’y a rien », appartient désormais à une autre époque. Quid des autres dossiers pendants dont les jugements tiennent tout autant à cœur les Burkinabè ? Pour ces affaires, la soif de vérité et de justice est restée intacte et inextinguible.  La Justice doit s’atteler. La case vérité et justice est un passage obligatoire, la seule voie véritable pour opérer la catharsis dans la nécessaire dynamique de réconciliation nationale.  En attendant, bonne et heureuse année à toutes et à tous.  Que Dieu bénisse le Burkina Faso !

Cheick Beldh’or SIGUE, Directeur général, Directeur de publication des Editions « Le Pays »

Chevalier de l’Ordre national

 


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