LA NOUVELLE DU VENDREDI
Notre époque est un piège meurtrier pour la famille et pour les proches. Entre le boulot et les préoccupations quotidiennes, l’accès facile au téléphone et les nouvelles modes de communication, les occasions de se voir se rétrécissent chaque jour dans notre univers moderne. Parce qu’on a parlé avec l’autre ce matin, on pense que tout va bien dans son cœur à travers sa voix ou sur l’écran. Parce qu’on suit les activités de l’autre sur les réseaux sociaux, des images savamment distillées, on pense avoir des nouvelles rassurantes. Parce qu’on peut de nos jours offrir du mil et du tabac à son vieux oncle au village en 5 minutes à travers un transfert d’argent via le téléphone mobile, on se dit avoir accompli notre devoir. C’est ainsi que les visites de courtoisie qui cimentaient les cœurs et la famille, disparaissent au profit de l’électronique.
Aujourd’hui, dans nos villes modernes au Burkina, les vraies rencontres familiales se font à l’occasion des grandes tristesses. Très occupés, les uns et les autres ne se retrouvent vraiment que pendant les tristes évènements. Situation oblige.
La vieille Sally a vécu pendant des années dans notre quartier auprès de son frère Alioune, le père de mon voisin M. Nobila.
Depuis que la vieille Sally qui a presque 90 ans, est rentrée au village à une trentaine de kilomètres de Ouagadougou auprès de sa fille aînée après son opération, c’est par le téléphone que M. Nobila a souvent de ses nouvelles. Il faut dire que mon voisin M. Nobila est un inspecteur des finances très pris et préoccupé par son job. Entre les missions, le bureau et ses chantiers à Ouaga et Bobo-Dioulasso, difficile pour ce cher homme de rentre visite à tante Sally.
Il y a quelques jours, je rencontrai fortuitement M. Nobila. Je demandai les nouvelles de Tante Sally et il s’excusa :
– Il est vrai que j’ai les nouvelles de tante Sally au téléphone presque tous les jours, mais ce n’est pas suffisant. Plusieurs fois, j’ai promis d’aller lui rendre visite au village mais vous connaissez notre boulot.
Je reconnus que le boulot est sacré dans notre contexte actuel mais j’encourageai mon voisin à rendre souvent visite à sa parente. Je lui demandai de me tenir au courant car je pensais avoir un devoir de visite envers cette vieille et gentille dame qui a vécu un moment à nos côtés. Comme le disait l’autre :
– Rien ne remplace deux regards qui se croisent sous la lumière du soleil.
Pendant 3 mois, nous faisons des programmes de visite à tante Sally, mais chaque fois, une situation nous empêchait de remplir notre devoir. A chaque fois que je pensais à Tante Sally, j’avais un pincement au cœur.
Il y a quelques jours, un matin de bonne heure, je trouvai M. Nobila devant notre concession avec une mine catastrophique. Les larmes aux yeux, il m’annonça :
– Tante Binta vient d’être emportée par une crise sévère à l’aube.
Rapidement, mon voisin Nobila annula toutes ses grandes affaires pour organiser les obsèques de sa parente. Lorsque le lendemain, je me retrouvai avec lui devant le cercueil de Tante Sally, je versai abondamment des larmes de tristesse, de colère, de frustration et surtout d’indignation envers moi-même.
– Ce n’est point cette visite que tante Sally souhaitait, pensais-je.
J’aurai souhaité cette visite avant ce jour de tristesse. J’aurai voulu remonter le temps pour rendre visite à cette vieille personne de son vivant. Partager avec elle un verre d’eau, l’écouter et lui tenir la main, plonger dans son regard et percer les secrets du monde à travers son âge et ses expériences. Tout cela, nous l’avons raté.Pendant qu’on descendait le cercueil de tante Sally dans la fosse, je croisai le regard de Mr Nobila. A travers nos larmes, nous nous sommes compris : « La meilleure manière d’accorder du temps à nos vieilles personnes, c’est de le faire de leur vivant. »
Ousseni NIKIEMA
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