LA NOUVELLE DU VENDREDI : Deux frères
Lorsque je rends souvent visite à mon cousin Mohamed dans sa boutique, je discute amicalement avec Yacouba, le mécanicien juste à droite de la boutique de mon parent. Un manguier sert d’atelier à Yacouba. L’homme n’est pas vraiment un as de la mécanique. Il n’avait pas beaucoup de clients dans la journée. Avec quelques clés de circonstance et un peu de bricole la nuit, il permettait simplement à quelques noctambules en délicatesse avec leur engin de rentrer. Cette débrouillardise permettait à Yacouba de gagner quelques maigreurs pour lui, sa femme et ses deux enfants. L’homme avait la quarantaine et en paraissait avoir un tiers de plus. La misère quand elle vous tient. Comme dirait l’autre.
Souvent, mon cousin Mohamed, dans la discrétion, offrait des vivres à son voisin. Je ne l’aurai jamais su. Sauf qu’un jour Yacouba lors d’une fête m’a demandé de remercier son bienfaiteur pour sa générosité.
Un après-midi, en arrivant chez Mohamed, je remarquai le vide de son atelier de mécanique sous l’arbre. Mon cousin me dit :
– Ça tombe bien que tu sois là. Depuis trois jours mon voisin Yacouba est malade. J’ai envoyé un enfant chez lui hier mais si tu as le temps nous pouvons aller lui rendre visite.
Et c’est à cette occasion que je connu le domicile du mécanicien. Pendant une heure, nous roulâmes d’un point à l’autre au bout de la ville de Ouagadougou. Au sortir de la ville vers Saba, un jeune homme nous accueillit et nous plongeâmes dans un vrai labyrinthe de petites rues et de maisonnettes sans tête ni queue. On pourra aller mille fois chez Yacouba, tant qu’on n’était pas du quartier pour avoir des fixations, jamais on ne s’en sortira.
Au bout d’une heure, nous arrivâmes dans une petite concession de fortune. Nous entrâmes et Yacouba était couché sur sa natte sous un hangar. Une maisonnette de dix tôles, croulante sous les fissures, abritait la famille. La brave femme de notre ami, vendeuse d’eau par l’effort de sa barrique, suspendit son activité un moment pour nous accueillir. Ses deux gosses, le garçon tenant compagnie au père et la fille vendeuse de mangues à l’autre bout de la petite rue, vinrent nous saluer.
Yacouba allait beaucoup mieux et était visiblement touché par notre visite.
– Merci de venir jusqu’ici pour me rendre visite. Je vais beaucoup mieux. Et s’il plaît à Dieu, je reprendrai le boulot dans quelques jours.
Nous lui offrîmes un petit présent et retournâmes à la boutique. Pas besoin de commentaires, le voisin de Mohamed vivait péniblement dans une extrême pauvreté.
Le temps passa avec son train-train quotidien.
Un soir, Mohamed vint chez moi. Nous regardions le grand journal de 20h sur la chaîne nationale du Burkina. Les images et les commentaires montraient l’inauguration d’un édifice religieux dans une localité. Le joyau pour le bonheur des fidèles avait coûté une fortune. A tout seigneur, tout honneur, on donna la parole au donateur. Un nanti de la région, un homme au cœur de coton dont la fortune, la sensibilité et la générosité avaient permis plusieurs offrandes pareilles à la population. Le grand donateur, modeste et bien éduqué, après avoir dit « Je l’ai fait pour Dieu », laissa la parole aux bénéficiaires.
Lorsque le reportage montra le donateur en gros plan dans un costume blanc de cérémonie, Mohamed me demanda :
– Dis-moi, ce visage ne te dit rien, cet homme te rappelle quelqu’un ?
Je réfléchis et reconnus que non.
– Pour ton enseigne, je voudrais te dire que ce grand donateur n’est autre que le frère ainé de Yacouba, mon voisin.
Je déposai mon assiette. En pensant à cet homme croulant sous la misère avec un tel frère, je n’avais plus d’appétit.
Souvent, je me demande si Dieu, le Très Haut, accepte ses offrandes à coups de grandes publicités alors que…
Ousseni NIKIEMA
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