HomeOmbre et lumièreLA NOUVELLE DU VENDREDI : Les grands Hommes

LA NOUVELLE DU VENDREDI : Les grands Hommes


J’ai toujours considéré le bien d’autrui comme sacré et intouchable. Je respecte la fortune de mon semblable sans être envieux. Le petit pain que je gagne suffit à ma tranquillité.
Sur le tabouret d’un kiosque de la place, je prenais un thé en attendant un frère. Un homme sur l’avenue roulait royalement dans sa voiture de luxe. Il suscita des commentaires chez mes deux voisins consommateurs.
– C’est monsieur k, le patron de…, un grand monsieur, je te dis ! Je suis allé remettre une commission un jour à son domicile, un palais, je te jure ! Lança le premier.
– J’ai entendu parler de lui… il paraît que…, il paraît que…
Et le deuxième homme se lança dans le panégyrique du passant. Cher homme innocent, confortablement installé dans son existence.
D’habitude, je ne prête pas attention aux commérages. Mais quand ceux-ci se distillent à vos oreilles, difficile de faire autrement.
Selon le jugement de mes voisins providentiels, partagé sans doute par beaucoup, la valeur d’un être humain se mesure au confort, au R plus de son domicile, au nombre de ses résidences secondaires, à la marque de sa voiture, à son compte en banque, au charme physique de son partenaire. Peu importe le chemin qui y mène.
Je croyais que l’homme ou la femme, à l’école donnant sa vie à l’éducation, à l’hôpital soulageant les malades, à l’usine remplissant sa tâche, le policier réglant la circulation, le maçon sur l’échafaudage, la vendeuse de beignets, l’artiste qui, dans la solitude, travaille à la naissance d’une œuvre immortelle, la balayeuse de rue à l’aube…Ces hommes et femmes, au prix de leur vie cherchant dignement leur pain quotidien, étaient des grandes âmes.
Je pensais que l’homme ou la femme, par amour de son prochain, luttant pour bâtir une école, un dispensaire, un forage, le sportif mouillant le maillot pour apporter le maillot au peuple, le journaliste prenant des risques pour informer, le garagiste peinant pour remettre le moteur en marche (ces hommes et femmes gagnent dignement et légalement leur vie), doit être un exemple.
Vivant hors du temps, j’ignorais que l’homme bâtissant un complexe de 90 chambres et 30 salons pour son épouse et ses deux enfants vivant à l’étranger, roulant dans une voiture de 80 millions de francs CFA, consommant des litres d’essence au prix d’or, et cela dans l’indifférence totale, pouvait être considéré. Les habitants de son village ayant besoin au même moment d’une ambulance, d’un puits, son frère en province manquant de soins, les enfants de sa sœur étant expulsés du lycée faute de moyens, le mur des toilettes de son voisin s’écroulant et exposant leur intimité.
Les mosquées se remplissent les vendredis, les églises manquent de places les dimanches ; bref, les lieux de prières refusent du monde les jours de culte mais il n’en a cure.
Pendant ce temps, la mère de toutes les croyances, dame solidarité se meurt. Il préfère agoniser sous le poids du luxe démesuré. Au motif que le gouvernement existe pour tous. Œuvre, peut encore mieux faire. Mais, l’Etat ne peut pas tout faire. Les fils du peuple en se donnant la main peuvent faire des miracles. La solidarité en société, en famille peut beaucoup apporter.
Les grands hommes, ne sont-ils pas ceux qui favorisés par le Seigneur, pensent, se soucient sincèrement sans tapage médiatique, sans flash, sans but électoral, de leurs semblables vivant dans la précarité ?
En finissant mon thé, à l’arrivée de mon frère, je pris congé de mes voisins par un au revoir amical.

Ousseni NIKIEMA, « Langage de sourds »
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