LA NOUVELLE DU VENDREDI : Une vie, un destin
L’une souvent et l’autre rarement, les deux femmes venaient séparément voir ma tante. L’une s’appelait Assia et l’autre Bella. Elles étaient amies ou quelque chose de ce genre. Nées dans un même quartier dans une province au sud du pays des hommes intègres, elles avaient partagés des jeux en famille, un banc en classe à l’école primaire et des souvenirs pour la vie. Mais le lycée, la vie et ses réalités les avaient ensuite séparées. Tante Caro qui a enseigné dans cette localité du Burkina, fut leur enseignante et comme une sorte de marraine à l’Africaine. Au soir de sa vie et de sa retraite, tante Caro recevait souvent la visite de ses anciennes élèves. Et surtout de Bella et Assia.Un matin de dimanche, j’ai rencontré Bella l’enseignante chez ma tante. Hasard ou destin, la jeune dame après des difficultés dans un mariage avec enfants et charges, a embrassé la carrière avec le soutien de sa marraine. Bella se plaignait souvent de son amie vivant dans le beurre à l’étranger, ne lui apportant pas le soutien nécessaire qu’il faut.
Un soir, à l’occasion d’une de ses visites, j’entendis ma tante dire :
Tu sais Bella, il faut que tu saches et que tu reconnaisses qu’Assia fait déjà beaucoup pour toi et tes trois enfants. Elle ne t’a jamais oubliée. Te soutenir pour l’éducation de tes enfants est déjà pour moi un geste de noblesse qu’il faut saluer à sa juste valeur. Si j’étais à sa place, avec tout le bonheur qu’elle a là-bas, j’aurai fait plus, répliqua Bella.
Ma tante sourit et dit doucement :
Je vous ai enseigné beaucoup de choses Bella. Tu sais, on croit parfois tout savoir de l’autre et pourtant … quand une personne fait un geste de générosité à notre égard, quelque soit la petitesse du geste, il faut surtout louer la noblesse de l’acte.
Bella n’était pas du même avis. Mais par respect pour sa marraine, elle se taisait.
Un après-midi, je rencontrai enfin Assia chez tante Caro. C’était une belle femme du monde. À 42 ans, on l’imaginait en moins et elle était vraiment d’une sympathie et d’une classe exceptionnelle. Professeur d’université, mère et épouse, elle vivait à l’étranger au pays de son conjoint et ne rentrait au bercail que lors des vacances ou à l’occasion des cérémonies familiales. Rien qu’à la voir, on devinait qu’elle nageait dans le bonheur. Après son départ, tante Caro me confia :Assia après un parcours scolaire sans faute, a eu beaucoup de chance par cette rencontre amoureuse à l’université. Elle a toujours été une fille très sérieuse et travailleuse. La vie a été bien avec elle jusqu’à récemment… (elle se tut), promets-moi de garder le secret, je vais te confier quelque chose. Je fis la promesse et elle continua : Assia n’a plus longtemps à vivre. Elle souffre d’un cancer et ses jours sont comptés. En plus de cela, son mari qui travaillait dans une compagnie pétrolière, a perdu son travail depuis 5 ans. Brave fille Assia !
Après un moment de surprise et de méditation, j’ai eu la force de demander :
Et Bella son amie n’est au courant de rien ?
Assia sait que cela fera beaucoup de chagrin à son amie si elle l’informait. Elle connaît très bien sa fragilité et tente de la protéger.
Malgré ce lourd fardeau, elle trouve l’énergie et le sourire d’aider son amie et ses enfants. Une brave fille Assia, conclut-elle en me répondant.
Depuis ce dialogue avec ma tante Caro, il ne se passe pas un jour sans que je ne pense à ces deux amies. Celle qui reçoit cette aide et la trouve insignifiante et celle qui, malgré son lourd fardeau, trouve la force de tendre la main.
En arrivant ce matin chez tante Caro, j’ai vu Bella sur la terrasse. Elle avait la tête sur les fragiles genoux de leur marraine. Vite, j’ai compris…
Ousseni Nikiema, 70-13-25-96