LEGISLATIVES DU 17 NOVEMBRE : Le Sénégal retient son souffle
Au terme d’une campagne électorale polarisante marquée par une multitude d’accrochages verbaux et physiques, les Sénégalais sont allés aux urnes, hier, 17 novembre 2024, pour renouveler les 165 députés de leur Assemblée nationale. Signe du climat délétère et de l’ambiance inflammable qui régnaient au « pays de la Teranga », ce dimanche matin, le Gouvernement a déployé de milliers d’agents chargés de la sécurité dans les grandes villes et leurs banlieues, afin d’éviter des débordements pendant et après le scrutin, qui entacheraient l’image idyllique de ce pays moteur de la sous-région en matière de respect du jeu démocratique. Fort heureusement, il y a eu plus de peur que de mal, puisqu’en dehors de quelques échauffourées vite circonscrites et de propos grincheux de militants exaspérés par les retards à l’allumage enregistrés dans certains bureaux de vote, ces législatives se sont globalement déroulées dans le calme, et seront sans doute couronnées par un taux de participation à la hauteur des enjeux du scrutin. Les premières tendances attendues dès la nuit prochaine, donneront quelques indications sur la configuration de la future Assemblée nationale.
Les enjeux de ces législatives sont énormes pour les acteurs politiques
Mais il faudra attendre une dizaine de jours pour connaitre le vainqueur de ce scrutin qui a pris des airs de « match retour » entre l’ancien président Macky Sall redescendu dans l’arène, et l’actuel Premier ministre Ousmane Sonko qui a enfilé le bonnet de tête de liste du parti au pouvoir. Certains parlent carrément de « deuxième tour de la présidentielle » de mars dernier, qui a vu un Bassirou Diomaye Faye brillamment élu mais empêché de gouverner par une Assemblée nationale réfractaire, d’autant qu’il y avait hier dans les starting-blocks, deux autres coalitions dirigées par deux cadors de la politique que sont l’ancien Premier ministre et candidat à la dernière présidentielle Amadou Ba, et le truculent maire de Dakar, Barthélemy Dias. Et pour empêcher le Pastef de s’emparer du pouvoir législatif qui permettrait à Diomaye Faye d’appliquer le programme politique pour lequel il a été porté à la tête du Sénégal, Amadou Ba et Barthélemy Dias ont conclu un deal avec Macky Sall dont la coalition est soutenue par son prédécesseur, Abdoulaye Wade, qui a physiquement disparu de la scène en raison de la détérioration irréversible de ses capacités cognitives. Reste à savoir si cette alliance de circonstance va donner les résultats escomptés, dans un pays où les électeurs accordent traditionnellement leur confiance au pouvoir en place, et quand on sait que le parti présidentiel a jeté son va-tout dans la bataille, conscient que si les réformes promises restent dans limbes, les Sénégalais l’éjecteront du palais du Plateau en 2029. Ousmane Sonko et les siens partent donc avec les faveurs des pronostics, en comptant sur la frange jeune de la population durement frappée par un chômage endémique, et qui, faute justement de perspectives d’emplois au pays, prend régulièrement la route de l’exil à ses risques et périls.
Les velléités de règlement de comptes sont clairement affichées par certains candidats
Si le parti au pouvoir parvient à transformer l’essai après sa victoire sans bavure à la dernière présidentielle, il faut craindre une radicalisation de ses premiers responsables et notamment de sa tête de gondole, Ousmane Sonko, qui appelle déjà à la vengeance et prône publiquement le « Gatsa gatsa » qui signifie en langue vernaculaire wolof « œil pour œil, dent pour dent ». C’est vrai qu’il a rattrapé cette bourde en appelant ses militants à la sagesse, mais qu’en serait-il s’il devenait un Premier ministre hors de portée de tir de l’opposition à l’issue de ce scrutin ? Imprévisible ! Mais Sonko doit se rendre à l’évidence que ça pourrait ne pas passer comme une lettre à la poste pour le Pastef au regard des autres forces en compétition, et beaucoup d’analystes subodorent déjà un coude-à-coude dans de nombreuses circonscriptions. S’ils l’emportent avec une majorité précaire dont la fidélité pourrait d’ailleurs être sujette à caution, lui et son président de la République auront toujours du pain sur la planche pour faire passer les réformes institutionnelles qu’ils gardent toujours dans les cartons. Mais le pire des scénarii, c’est la victoire de l’opposition qui les contraindrait à une cohabitation, avec un gouvernement et un Premier ministre hostiles, qui leur mettront des bâtons dans les roues et feront feu de tout bois pour rendre le pays ingouvernable. Ce serait, dans ce cas de figure, échec et mat pour ces chantres de la « rupture » et du patriotisme, puisqu’ils n’auraient pas la majorité parlementaire confortable qui leur garantirait la sécurité juridique et la sérénité requise pour conduire l’action gouvernementale. Il ne faudrait pas non plus écarter la menace de motion de censure que l’opposition n’hésiterait pas à agiter en permanence. In toto, les enjeux de ces législatives sont énormes pour les acteurs politiques, mais aussi pour le Sénégal tout entier qui retient son souffle, d’autant que les velléités de règlement de comptes sont clairement affichées par certains candidats et non des moindres. Pourtant, le « pays de la Teranga » n’a pas besoin, en ce moment, d’une fragmentation de sa société, mais plutôt du respect des fondamentaux de la démocratie avec un pouvoir qui gouverne et une opposition qui s’oppose, dans l’intérêt supérieur des Sénégalais qui vivent dans la hantise permanente de l’instabilité politique qui pourrait plonger, dans les abimes, leur nation qui fait aujourd’hui figure d’exception dans cette sous-région balkanisée du fait du terrorisme, de la mal gouvernance et de leurs corollaires.
« Le Pays »