HomeA la uneLEONCE KONE, EX-MINISTRE, A PROPOS DE LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME AU BURKINA  : « La pire politique serait de fuir la réalité en poursuivant des chimères »  

LEONCE KONE, EX-MINISTRE, A PROPOS DE LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME AU BURKINA  : « La pire politique serait de fuir la réalité en poursuivant des chimères »  


L’évolution de la situation socio-politique et particulièrement l’aspect sécuritaire, interpelle plus d’un Burkinabè. C’est ce qui explique que nous avons approché le président du Mouvement rupture positive/3R, Léonce Koné, qui a accepté de se prononcer sur ce sujet et bien d’autres. Ancien ministre, ancien député, banquier de formation, Léonce Koné reste une personnalité politique bien connue dans le landerneau politique burkinabè. De la gestion de la transition à la question de la liberté de la presse et d’expression en passant par la loi portant mobilisation générale et mise en garde, tout comme le soutien de la classe politique au chef de l’Etat, Léonce Koné, toujours disponible, n’a évité aucune question.

 

« Le Pays » : Quel commentaire faites-vous de l’entretien accordé par le président de la Transition aux deux chaînes nationales que sont la RTB/Télé et Canal 3 ?

 

Les propos du Président de la transition m’ont laissé dubitatif. Sur le fond, avons-nous reçu des informations claires sur l’état actuel de la lutte contre le terrorisme, la progression de la reconquête du territoire national ? Je n’en ai pas eu le sentiment. Je veux bien admettre que la discrétion qu’exige l’état de guerre,  ne permet pas de tout dévoiler. Mais le fait est qu’au niveau de l’information du public, nous ne sommes pas  plus avancés aujourd’hui qu’il y a quelques mois, lorsqu’il nous annonçait le démarrage imminent d’une offensive fulgurante. Je ne doute pas de l’engagement de nos forces combattantes, armée et VDP,  dans cette guerre difficile, ni de la capacité stratégique du commandement militaire. Mais  dans ce contexte, les paroles du chef des armées doivent continuer d’être prises au sérieux et il n’est pas bon qu’elles soient démenties par les faits. Peut-être faut-il trouver un meilleur réglage au niveau de la communication. En avons-nous appris davantage sur les perspectives d’un retour à une vie constitutionnelle normale ? Pas vraiment, même s’il est rassurant de constater que cela reste l’objectif, hypothétique, du régime de transition. Il aurait été plus rassurant de voir se mettre en place un dialogue actif et inclusif pour préparer cette échéance, de manière consensuelle. Même s’il est évident que la tenue effective des élections dépend largement de l’évolution de la situation sécuritaire. L’autre point qui a retenu mon attention, c’est le spectre de l’existence d’une coalition internationale hostile au Burkina, dont les contours sont mal définis, si ce n’est qu’elle représenterait l’impérialisme et ses relais voisins ou locaux. L’implication concrète de ce complot international serait qu’il empêcherait le Burkina d’accéder aux armements dont il a besoin de la part de certains fournisseurs dont les pays entretiennent par ailleurs des relations diplomatiques avec le Burkina. J’avoue que je n’ai pas bien compris. Est-ce que ce sont les sanctions internationales de la CEDEAO et  de l’Union africaine (UA), relayées par d’autres puissances, qui expliqueraient  cet  état de fait ? Ou bien s’agit-il de mesures bilatérales dont la concordance serait le signe d’une action concertée ? A mon humble  avis, plutôt que de vitupérer contre l’impérialisme, il serait plus efficace de prendre le mal à la racine, en essayant de rebâtir une diplomatie utile aux intérêts du Burkina. Le réalisme commande d’accepter que les Etats du Sahel et de la CEDEAO ont besoin d’un soutien actif,  massif  et durable de la communauté internationale pour venir à bout du terrorisme. La longue lutte que mène le Nigeria contre Boko Haram, depuis des décennies,  en donne la mesure. Nous gagnerions donc à œuvrer, avec nos voisins, à la construction de ce soutien, en tablant d’abord sur une solidarité régionale. On ne peut pas faire cela en se brouillant avec tout le monde,  par des actions et des paroles de défi, pour reprocher ensuite aux autres de nous tourner le dos. Je crois réellement qu’il est possible d’élargir le champ de notre coopération à toutes les puissances du monde, sans créer un climat de tension avec une partie de la communauté internationale, sous prétexte de lutte contre l’impérialisme. Le risque que nous encourrons est que les Etats qui se sentent ainsi mis à l’index, se désintéressent du sort du Burkina. Mais avant tout, il est indispensable et urgent que nous rétablissions des relations de confiance avec tous nos voisins. Enfin, concernant la loi sur la mobilisation générale,  j’ai noté que le Président de la transition a donné des assurances sur sa volonté de respecter les libertés et les  droits humains, dans la limite des restrictions que pourrait  nécessiter l’état de guerre. Je note aussi que ces propos ont été contredits immédiatement par des menaces à peine voilées sur les représailles que pourraient subir les gens qui n’adhèreraient pas à sa politique. En tout cas, c’est ainsi que j’ai compris ses propos. J’espère me tromper. Encore une fois, la mobilisation doit viser à  rassembler les forces du pays plutôt que les  diviser.

 

Autre mesure récente, le Conseil des ministres a décrété pour le 20 mai, une journée nationale de jeûne en soutien à la lutte contre le terrorisme. Qu’en pensez-vous ?

 

Cette mesure est bonne dans son principe, parce qu’il est courant pour nous Africains, de  nous en remettre à Dieu, ou aux ancêtres, pour conjurer un malheur. Mais je suis surpris et gêné par la méthode. Le jeûne est une pratique religieuse. Il aurait été plus judicieux que cette initiative fût prise, de façon concertée, par les représentants des principales confessions religieuses, y compris ceux des religions traditionnelles.

 

« Le président de la Transition avait affirmé que le délai d’un an prescrit par la CEDEAO pour l’organisation d’élections, lui paraissait amplement suffisant et à la limite trop long. Il prétendait régler la question sécuritaire en  deux temps trois mouvements, pour céder immédiatement le pouvoir à des institutions désignées conformément à la Constitution »

 

Ensuite, ils auraient sollicité le concours de l’Etat pour sa mise en œuvre. Je veux croire que cette décision a été prise après une concertation avec les religieux, mais ils auraient dû en assurer la maîtrise. Ce n’est pas le rôle d’un Etat laïc, quelles que soient les bonnes intentions du gouvernement en cette matière. 

 

De façon générale, comment appréciez-vous la gestion de la Transition ?

 

J’observe le déroulement de cette transition avec la plus grande réserve. Parce qu’elle ne semble obéir à aucune ligne directrice clairement définie et annoncée. Par définition, une transition politique  est une étape intermédiaire entre deux systèmes institutionnels de gestion d’un pays. Concrètement, après une interruption brutale du fonctionnement régulier des institutions, elle est supposée préparer le retour du pays à une vie constitutionnelle normale, dans des conditions et suivant un calendrier clairement définis. Souvenez-vous qu’à son arrivée au pouvoir, le président de la Transition avait affirmé que le délai d’un an prescrit par la CEDEAO pour l’organisation d’élections, lui paraissait amplement suffisant et à la limite trop long. Il prétendait régler la question sécuritaire en  deux temps trois mouvements, pour céder immédiatement le pouvoir à des institutions désignées conformément à la Constitution. Aujourd’hui, bien malin qui peut dire dans quel délai et dans quelles conditions ces élections auront lieu. Justement parce que la situation sécuritaire est précaire, que la moitié du territoire est hors du contrôle de l’Etat,  toutes ces questions devraient être discutées dans un  dialogue ouvert et inclusif, avec toutes les forces politiques et civiles du pays. Ce n’est pas ce qu’on observe. Ce flou dans les intentions réelles du pouvoir, peut donner l’impression qu’il obéit à un agenda caché. L’impression que j’ai est que le pays traverse une période de grande confusion, marquée par l’incertitude sur l’état réel de la  guerre contre le terrorisme, les soupçons de bavures militaires non assumées et non élucidées, le refus d’ouvrir un dialogue politique constructif, la multiplication des restrictions aux libertés,  le projet aventureux de fédération avec le Mali, l’isolement diplomatique, le renchérissement continu du coût de la vie et l’affaiblissement de l’économie, etc. Toutes les transitions sont compliquées par nature, surtout lorsqu’elles interviennent en temps de guerre. Il n’est pas raisonnable d’ajouter à cette complexité, des initiatives intempestives, mal comprises des Burkinabè, au moment même où tout doit être fait pour leur donner confiance et les rassembler. La pire politique serait de fuir la réalité en poursuivant des chimères.

 

Pensez-vous, comme certains, que les lignes bougent sur le front ?

 

Je n’en ai aucune idée. Je n’ai pas plus d’informations à ce sujet que le commun des Burkinabè. Je lis les communiqués officiels et les proclamations victorieuses péremptoires publiées dans les réseaux sociaux par ce qui semble être des officines privées. Je lis aussi les mauvaises nouvelles qui parviennent du front. Et j’essaie de faire la part des choses. Je sais que les Forces de défense et de sécurité (FDS) se battent de façon héroïque, au prix de leurs vies. Elles subissent aussi des attaques, de plus en plus meurtrières, ce qui semble indiquer que l’ennemi ne faiblit pas. On voit de plus en plus de communiqués nécrologiques concernant de jeunes officiers et soldats tombés au combat à la fleur de l’âge. Tout cela est assez perturbant. Dans une guerre comme celle-ci, faite de mouvements de part et d’autres, les lignes sont forcément mobiles. Mais le meilleur signe d’un renversement durable de la situation à notre avantage, serait que des zones du territoire soient libérées et sécurisées, de telle sorte que les populations retournent pour s’y installer et reprendre leurs activités, avec le concours d’une administration locale présente sur place et opérationnelle. Nous ne voyons rien de tel pour l’instant. Mais je veux espérer que ce processus sera amorcé prochainement. Vous vous en  souvenez, sans doute, lorsque le Lieutenant-colonel Damiba était président de la transition, il avait expliqué que le succès de la lutte contre le terrorisme devait être mesuré à l’aune d’un indicateur simple ; l’étendue des territoires reconquis accueillant le retour des populations déplacées, dans des conditions de sécurité satisfaisantes. Cela demeure un indice valable.

 

Comment vivez-vous la suspension prolongée des activités des partis politiques ?

 

Je n’en comprends ni le fondement, ni les modalités. A ma connaissance, le pouvoir de la transition n’a jamais clairement explicité les raisons de cette mesure foncièrement liberticide. Peut-être qu’un dialogue franc avec les représentants des partis aurait pu aboutir à un modus vivendi mutuellement acceptable sur l’étendue des restrictions qui pourraient être apportées aux activités politiques, en raison de la situation sécuritaire. On pourrait imaginer que cette restriction s’applique aux grands rassemblements ; tout en laissant aux partis la latitude  de réunir leurs organes de direction, ce qu’ils ne doivent pas manquer de faire d’ailleurs, dans un climat de fausse clandestinité. Tout cela est déplaisant et anachronique. Si on considère que les manifestations politiques sur la voie publique sont interdites, alors à quoi correspond le sit-in permanent qui est organisé sur la Place des Nations unies pour exprimer un soutien explicite en faveur du président de la transition ?  C’est aussi une manière de faire de la politique, en interdisant aux autres de faire de même.  

 

Comment avez-vous accueilli le soutien de la classe politique au Chef de l’Etat ?     

    

Pour être en contact avec de nombreux leaders de partis qui appartiennent aux divers courants de la vie politique, je peux vous dire que la délégation des formations qui a rencontré le Président de la transition, est loin de représenter l’entièreté de la classe politique du pays ; loin s’en faut. Par ailleurs, il est tout à fait absurde de réunir la soi-disant classe politique par le truchement d’instances faîtières devenues obsolètes et inexistantes du fait même des coups d’Etat qui ont mis fin au dernier régime constitutionnel en 2022. Il ne peut y avoir d’alliance de la majorité présidentielle que par référence au régime déchu du Président Roch Kaboré. De même, le groupe rassemblé autour du Chef de file de l’opposition n’a de sens que dans ce cadre dépassé. Et le reste est à l’avenant. Pour prétendre représenter la classe politique dans sa substance et sa réalité actuelles post-coups d’Etat, il aurait fallu que tous les partis existants soient associés à cette démarche, quitte à désigner ensuite une délégation pour s’exprimer en leur nom. Cela n’a pas été le cas et j’ai même cru voir des récriminations à ce sujet. Donc, je pense qu’il serait plus exact de dire qu’un groupe de  partis politiques a  rencontré le Président de la transition et  que ce qu’ils y ont dit n’engage qu’eux.  Sur une note plus légère, je trouve cocasse  que des gens que l’on a traité plus bas que terre, en les rendant publiquement responsables de tous les maux du Burkina, se rendent en délégation devant leur pourfendeur, pour lui faire allégeance et l’assurer de leur dévouement indéfectible. Cela fait partie  hélas du spectacle burlesque que réserve souvent  la vie politique, sous nos tropiques. Si le but était de dire que les partis concernés soutiennent la lutte pour la libération du pays, il est évident  que tout le monde ne peut qu’être d’accord sur ce point. Mais s’il s’agit d’un soutien à la politique opaque  de la transition, en échange de contreparties tout aussi opaques, alors les choses sont différentes. L’avenir du Burkina doit se bâtir dans la transparence des projets politiques  et des processus de prise de décisions, en privilégiant le consensus le plus large possible.    

 

Comment appréciez-vous les menaces de mort proférées contre des journalistes par des activistes et autres soutiens du régime en place ?       

 

Je trouve ces méthodes d’intimidation scandaleuses et inadmissibles. Il est regrettable qu’à tort ou à raison, les pouvoirs publics donnent le sentiment d’observer cette dérive avec une certaine complaisance. Non seulement le pouvoir doit agir vigoureusement  pour identifier et faire juger avec célérité les auteurs de ces menaces, mais il doit engager urgemment des mesures actives pour faire cesser le  climat de terreur que certains veulent installer au Burkina. J’aurais aimé que les plus hautes autorités du pays, à savoir le Président de la transition et le Premier ministre, dénoncent publiquement ces faits et s’engagent à les réprimer avec sévérité. Dans un Etat de droit, ces pratiques ne sont pas acceptables. Elles le sont encore moins dans un contexte où la cohésion et la paix sociales sont mises à mal par la recrudescence du terrorisme, avec ses effets pervers.

 

De façon générale, pensez-vous que la liberté de presse et la liberté d’expression sont menacées au Burkina ?  

 

Vous êtes mieux placés que moi pour  savoir ce qu’il en est de la liberté de presse. Du point de vue où je me trouve, je n’ai pas encore observé de graves entraves à la liberté de presse, au moins avec les médias nationaux. Pour  preuve, vous m’interviewez librement, en me posant des questions sur la situation nationale, dont certaines peuvent paraître dérangeantes pour le pouvoir en place. J’y réponds  librement, sans craindre de représailles, parce que je ne conçois pas, a priori,  qu’il puisse en être autrement. 

 

« D’une manière générale, les journalistes burkinabè me semblent être des gens responsables. Leurs propos sont plus avisés que ceux de bien des dirigeants politiques »

 

Cela dit, on note un glissement autoritaire dans l’attitude du pouvoir vis-à-vis des médias, qui s’est manifesté par  l’interpellation d’un  journaliste sous un  prétexte  qui m’a semblé fallacieux, ou en tout cas léger. De tels actes  contribuent à créer un climat d’inquiétude, qui n’est pas propice au libre exercice du métier de journaliste. On sait comment se comportent  les régimes qui commencent à durcir leur position sur le terrain des libertés,  avant de basculer dans un système totalitaire. L’Histoire du monde est pleine d’exemples de cette évolution néfaste. Il faut prendre garde à ce que les impératifs de sécurité ne servent de justification pour museler la presse, ou l’intimider. Je ne sais plus quel organe de presse  a inscrit comme devise au fronton de sa première page : « La liberté de la presse  ne s’use que lorsque l’on ne s’en sert pas », ou quelque chose d’approchant, je cite de mémoire. Je crois en ce précepte. D’une manière générale, les journalistes burkinabè me semblent être des gens responsables, faisant preuve de professionnalisme et de discernement. Leurs propos sont plus avisés que ceux de bien des dirigeants politiques.  Nous devons conserver une presse dynamique, qui informe et aborde sans détour les questions qui fâchent,  même au prix de quelques interpellations  abusives, dont on pourrait se passer. C’est la même chose pour la liberté d’expression. Elle est consubstantielle de la démocratie et mérite d’être protégée et défendue, dans les seules limites de la loi. Cette liberté aussi court le risque de s’étioler petit à petit,  si on renonce à l’exercer. Pour l’instant, je ne perçois pas encore de volonté de remettre en cause ce droit de manière catégorique. Là aussi, il faut rester vigilant et faire attention à la tentation de brider les libertés, soi-disant pour la bonne cause. Une nouvelle source d’inquiétude pour la survie de la liberté de la presse et de la liberté d’expression vient  de voir le jour. La loi sur la mobilisation générale et la mise en garde,  qui a été  adoptée récemment,  prévoit que des restrictions majeures puissent être apportées à ces libertés, au nom des impératifs de sécurité. Aucune mesure spécifique  n’a été annoncée pour l’instant. Nous sommes obligés de nous en remettre à la bonne foi et au sens du discernement des autorités de la transition, pour espérer que cette loi de circonstance n’ouvre pas la voie à une régression systématique des libertés. Autant le pouvoir de la transition semble avoir eu jusqu’à présent   une attitude peu coercitive avec les médias nationaux, autant je trouve qu’il a fait preuve d’une frilosité et d’une susceptibilité excessives  avec certains organes de la presse  étrangère. L’interdiction de France 24 et l’expulsion de deux correspondants étrangers confortent l’idée que le pays se replie sur lui-même, pour amorcer un virage autoritaire, voire totalitaire. Ce ne sont pas de bons signaux sur l’évolution vers un régime démocratique, aussi endogène soit-il.   

 

Craignez-vous l’instauration de la pensée unique ?

 

C’est un risque à ne pas négliger, lorsqu’on voit la virulence de certaines prises de position et le refus haineux de la différence d’opinions qui s’expriment en particulier sur les réseaux sociaux. Si cela se limite aux utilisateurs des réseaux sociaux, ce n’est peut-être pas si grave. Car, ils sont loin de représenter la société burkinabè et je ne suis pas sûr qu’ils soient en mesure de l’influencer profondément, en dehors du spectacle   des invectives injurieuses qui sont échangées sur Facebook. Ce que l’on peut craindre, c’est que cette analyse manichéenne de la situation du Burkina et du monde soit le reflet de la vision des autorités de la transition. Dans cette vision simpliste, on est patriote lorsqu’on épouse aveuglément les positions du régime de la transition sur tous les sujets. Tandis qu’on est forcément  antipatriote lorsqu’on exprime des positions différentes ou divergentes. Dans cette logique,  le soutien aux Forces de défense et de sécurité dans la guerre antiterroriste, semble  impliquer  obligatoirement un soutien exclusif au chef de la transition et à son régime. Je veux espérer que telle n’est pas la conception que se font les dirigeants de la transition de la situation du pays, car certains de leurs propos prêtent à équivoque. Une telle approche serait fausse et contreproductive.

 

Comment appréhendez-vous la loi portant mobilisation générale et mise en garde ?   

 

J’ai pensé depuis longtemps (depuis le temps du régime du MPP) que la gravité du péril terroriste dans notre pays, nécessitait que le pouvoir s’organisât pour provoquer une mobilisation générale de la Nation burkinabè, comportant diverses mesures propres à associer l’ensemble des patriotes  burkinabè à cette lutte. Cela commençait d’abord par la nécessité de créer une union de toute la Nation autour de cette cause.

 

« Nous devons veiller, tous ensemble, dans un  consensus raisonnable, à ce que ce régime provisoire ne soit pas l’occasion de mettre à bas tous les acquis du pays en matière de libertés publiques, individuelles et collectives »

 

Je considère donc que dans le principe, l’idée de la mobilisation générale est une bonne chose, comme celle d’inviter les citoyens à se tenir disponibles pour contribuer à cet effort de guerre, sous des formes diverses. Toutefois, je pense que cette mobilisation ne doit pas porter seulement sur le recrutement de nouveaux effectifs de combattants et la collecte de moyens. Il faut parvenir à créer dans la communauté nationale un souffle patriotique nouveau, fondé sur une cohésion et  une union rassemblant toutes celles et tous ceux d’entre nous, qui veulent que nous continuions de vivre ensemble, dans la paix, sur cette terre du Burkina. En somme, la mobilisation des cœurs et des esprits a une dimension politique et sociale qu’une loi et des décrets ne suffisent pas à forger. Ensuite, nous devons veiller, tous ensemble, dans un  consensus raisonnable, à ce que ce régime provisoire ne soit pas l’occasion de mettre à bas tous les acquis du pays en matière de libertés publiques, individuelles et collectives. A mon avis, ce sursaut national devrait être la grande ambition du moment, qui nécessite un leadership éclairé et courageux.      

 

Quel commentaire vous inspire le drame de Karma ?

 

C’est une tragédie épouvantable. Je crois que depuis  le début des attaques terroristes, notre pays n’a jamais connu un massacre de populations civiles d’une telle ampleur, perpétré en une seule fois. Ce qui ajoute l’incompréhensible à l’épouvante, c’est que tout porte à croire que cette tuerie de masse aurait été exécutée par nos propres troupes, pour des motifs et dans des circonstances qui n’ont pas encore été totalement élucidées. Je le dis comme je le pense, il est regrettable que dans ce climat de sidération, le pouvoir de la transition ait préféré se dérober à ses responsabilités en choisissant de célébrer la fête de la culture à Bobo-Dioulasso (qui est en soi une bonne chose), plutôt que de se porter aux côtés des familles rescapées de ce massacre. Devant l’ampleur de ce drame, je me serais attendu à ce que de hauts responsables rendent leur démission, en attendant les  résultats des enquêtes, même s’ils ne sont pas directement comptables de cette situation. C’est ce que devrait commander le sens de l’Etat. Face à ce qu’on peut regarder comme une forme de déni devant la tragédie, les commentaires d’un Chef d’Etat étranger, pour maladroits qu’ils soient,  deviennent secondaires. On aurait aimé voir une réaction plus rapide et plus empathique de la part des autorités burkinabè.

     

Avez-vous foi que le calendrier de la transition sera respecté ?

 

Non, je n’ai aucune confiance dans le respect de ce calendrier. Car, aucune activité préparatoire sérieuse ne semble avoir été engagée, alors que nous sommes à un an de l’échéance.

 

Quelle solution entrevoyez-vous pour faire face au taux d’inflation qui a atteint un niveau record ?

 

Oui, c’est vrai, le taux d’inflation au Burkina s’est élevé à 13,73% en février 2023, alors qu’il était à 4,90 l’année dernière ; ce qui représente un accroissement considérable. Derrière ces chiffres, il y a la dure réalité que vivent les Burkinabè, avec une augmentation importante du prix des produits de première nécessité, dans un contexte de pauvreté endémique, aggravé par les effets de la crise sécuritaire. Il n’y a hélas pas de moyen mécanique pour faire baisser les prix, en dehors d’une bonne gestion de l’économie dans son ensemble. Ce à quoi s’emploient les services de l’administration économique nationale, aidés en cela par la discipline qu’impose notre appartenance à l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Par l’effet conjugué de ces mesures, l’inflation devrait retomber, d’après les chiffres publiés par la Banque mondiale, à un taux inférieur à 5% en 2023, en tablant sur une baisse des prix mondiaux du pétrole et des denrées alimentaires, à la condition que la situation sécuritaire ne se détériore pas davantage. Cela en dit long sur le défi et la lourde responsabilité qui s’imposent aux dirigeants actuels du pays. La sécurité et la bonne gestion de l’économie ont un impact direct sur l’ensemble de la population burkinabè, pas seulement sur les déplacés. Il faut donc se concentrer sur ces secteurs, en menant des politiques raisonnables, plutôt que de se lancer dans des aventures politiques qui peuvent ruiner toutes les perspectives de redressement du pays. L’enjeu de la guerre, ce n’est pas seulement la récupération des territoires perdus, c’est aussi le sauvetage de toute l’économie burkinabè, pour offrir une vie décente aux populations et des perspectives aux générations futures. Enfin, à titre de comparaison, même si les réalités sont différentes, il est bon de noter que l’inflation pour 2023 est projetée à près 45% au Ghana et 22% au Nigeria. Ce qui tend à montrer que les disciplines monétaires et budgétaires de l’UEMOA ont un impact positif, en dépit des critiques fondées qu’elles peuvent susciter.

 

Avez-vous des nouvelles de l’ancien Président Blaise Compaoré ?

 

Vous savez qu’il a connu quelques problèmes de santé. Suivant les dernières nouvelles que j’ai reçues d’un de ses proches, il va assez bien.

 

Propos recueillis par Antoine BATTIONO

 


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