HomeA la uneLEONCE KONE, PRESIDENT DU MOUVEMENT 3R

LEONCE KONE, PRESIDENT DU MOUVEMENT 3R


Ancien ministre sous le régime de Blaise Compaoré, Léonce Koné, banquier de formation, qui a longtemps été haut cadre de la BCEAO, est aussi un homme politique bien connu. Une personnalité politique dont les prises de position ne souffrent d’aucune ambiguïté. Militant actif du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), ancien parti au pouvoir, il s’en est allé lors des élections présidentielle et législatives de 2020 en soutenant la candidature de Kadré Désiré Ouédraogo au nom du parti AGIR Ensemble. Depuis quelques semaines, Léonce Koné vient de lancer un mouvement dénommé Mouvement Rupture Positive/3R dans un contexte de crise sécuritaire et socio-politique. Pour mieux comprendre sa vision, nous l’avons rencontré pour échanger sur plusieurs sujets. Sans détour, il s’est prêté à ce jeu avec beaucoup d’humour. Lisez !   

 

 

Le Pays : Quelles sont vos occupations actuelles ?

 

 

Je suis à la retraite, sur le plan professionnel. Je mène quelques activités politiques. Je consacre du temps à ma famille et particulièrement à mes petits-enfants, bien qu’ils vivent à l’étranger. Avec WhatsApp, il est facile de rester connecté, comme on dit et je m’en réjouis. Par ailleurs, je m’adonne à quelques loisirs : la lecture, le cinéma, des séances régulières  de natation, plus pour obéir à un conseil médical que par plaisir. Donc, je suis à la fois assez occupé et libre de mon temps. Si bien que j’ai tendance à penser que la retraite est sans doute la  période la plus gratifiante d’une vie active, pour peu qu’on soit en bonne santé. Ça, c’est une autre paire de manches !

 

 

Quel est l’objectif recherché par le mouvement les 3R ? Aspirez-vous à la conquête du pouvoir ?

 

 

Le Mouvement Rupture Positive/3R rassemble à la fois des partis politiques, des associations de la société civile et des personnes qui y ont adhéré à titre individuel, comme c’est mon cas. Son objectif est de mener des réflexions et, le cas échéant, des actions en vue de promouvoir une rupture bénéfique dans la conduite de l’activité politique dans notre pays, dans le respect de la légalité constitutionnelle.  Cette ambition part du constat que beaucoup de choses ne sont pas satisfaisantes dans la manière  dont s’exerce la vie politique au Burkina. Les membres de Rupture Positive entendent se concerter de façon ouverte,  franche et simple  pour définir ensemble les voies d’une amélioration concrète de ces politiques et de ces pratiques. C’est une démarche qui se veut participative, constructive et pragmatique, en même temps qu’elle respecte  l’autonomie d’action des membres du mouvement.  Présenté ainsi, cela peut paraître assez théorique mais pour prendre un exemple, l’une des novations proposées par le mouvement, est l’instauration du vote obligatoire au Burkina.  Le but visé par cette réforme étant d’élargir la participation des citoyens au vote et, ce faisant, de renforcer la légitimité des institutions élues, tout en amenant les citoyens à jouer un rôle plus actif dans la vie démocratique. Dans nos communautés villageoises, les gens participent largement aux assemblées et aux délibérations qui concernent la vie de la communauté, parce qu’ils se sentent co-responsables des décisions qui seront prises. C’est un peu cet esprit qu’il faut essayer de créer au niveau  des collectivités plus larges, jusqu’à l’échelon national. En plus, ce système permet de réduire le clientélisme et la corruption électorale, puisqu’il met fin à la pratique qui consiste, pour un parti, à fournir des documents électoraux à des citoyens, avec l’idée de s’attacher leurs votes. Ceci n’est qu’un exemple, car il y aura évidemment d’autres propositions destinées à refonder le système politique.   Vous me demandez si le mouvement aspire à la conquête du pouvoir. Cela va de soi pour les membres qui le composent et appartiennent à des partis politiques. Mais la conquête du pouvoir comme premier objectif d’une formation politique, n’a aucun sens. Il faut d’abord définir ce que l’on veut faire une fois arrivé au pouvoir et se donner les moyens d’y parvenir. Quand on promet d’être la solution à tous les problèmes de la société, sans autre projet réel que sa propre promotion, cela donne les résultats que nous observons aujourd’hui. C’est, entre autres choses, avec cette conception de la vie politique que le Mouvement Rupture Positive veut rompre.

 

 

 

N’est-ce pas un mouvement de trop au regard du nombre pléthorique de mouvements au Burkina ?

 

 

C’est vrai, il y a un nombre pléthorique de « partis » politiques. Je crois qu’on en dénombre plus de 200 ; ce qui est effectivement un chiffre déraisonnable pour un pays de la taille du Burkina, dont le système démocratique est, somme toute, balbutiant et rudimentaire. C’est aussi la conséquence de la liberté de constitution des partis politiques. J’ai vu au Sénégal, du temps de Senghor, une tentative autoritaire pour rationaliser le système des partis en limitant leur  nombre, sur la base d’une définition préalable des courants idéologiques autour desquels les forces politiques devaient se rassembler. Ils ont dû y renoncer, car la démocratie est le champ de la liberté et des ambitions concurrentes.   Ici,  le législateur a soumis le fonctionnement des partis à certaines contraintes qui, si elles sont rigoureusement appliquées, devraient conduire à réduire le nombre des partis. Peut-être que petit à petit, la réalité du jeu politique fera le reste pour nous amener à un nombre plus raisonnable de partis « significatifs », comme ils disent en Côte d’Ivoire.  Cela dit, je vous rappelle que  Rupture Positive n’est pas un parti supplémentaire. C’est un mouvement qui regroupe des partis et je ne suis pas sûr qu’il y ait un grand nombre d’organisations  de ce type. A ma connaissance, il y a le regroupement des partis de la majorité, le CFOP et quelques autres rassemblements de ce genre.  Au demeurant, rien n’interdit que les membres de Rupture Positive  décident un jour de transformer leur regroupement  en parti, même si cette option  n’est pas à l’ordre du jour pour l’instant.  

 

 

Quel est l’état de vos relations avec Kadré Désiré Ouédraogo du Mouvement Agir Ensemble, que vous avez soutenu lors de la dernière présidentielle ?

 

 

Mes relations avec Kadré Désiré Ouédraogo demeurent ce qu’elles ont toujours été : amicales, fondées sur une estime réciproque. Je ne regrette pas de l’avoir soutenu (KDO) pour la dernière présidentielle. C’est une personnalité de grand talent, ayant une véritable stature d’homme d’Etat, qui aurait fait un excellent Président du Faso. Les électeurs ont fait un autre choix et j’en ai pris acte, comme lui-même.

 

 

D’aucuns estiment que les premiers responsables de votre mouvement sont des has been. Que leur répondez-vous ?

 

 

 Au premier abord, cela me fait sourire car ce n’est pas très gentil, mais je sais que la politique n’a que faire des convenances, surtout au Burkina.  Je pense  aussi qu’il n’y a pas forcément une intention malveillante derrière cette remarque. Le grand âge est une réalité qui comporte certainement des inconvénients, mais aussi quelques avantages. Ne serait-ce que l’accumulation de l’expérience de la vie, qui permet de relativiser les choses. Je trouve d’ailleurs que l’une des qualités des sociétés africaines, c’est leur bienveillance à l’égard des anciens. Nous n’isolons pas les vieux dans des centres qui leur sont destinés. Ils vivent dans la société, y tiennent le rôle actif que leur condition leur permet d’assurer et cela participe, je crois, à l’équilibre de la communauté.    Votre  petite rosserie (je vous taquine en utilisant ce mot) n’en appelle pas moins une réponse plus directe. Je note que vous l’attribuez au « ouï- dire », mais je suppose que vous n’en pensez pas moins, vous-même.    Je ne sais pas à quoi vous faites référence quand vous parlez de has been.  Littéralement, un has been, c’est quelqu’un qui a eu une certaine notoriété dans le passé du fait d’une fonction ou d’un statut qu’il occupait et qui a perdu les deux, à la fois la fonction ou le statut et la notoriété qui y était associée. Vous le savez comme moi, les fonctions politiques sont éphémères par nature et il est dans l’ordre normal des choses qu’elles cessent à un moment ou à un autre. Il faut s’en accommoder, parce qu’il y a toujours une vie après ces périodes, parfois plus gratifiante d’ailleurs.  L’autre connotation de has been, c’est la référence à une personne d’âge avancé, dans un environnement de jeunisme obsessionnel.  Il faut nommer clairement les personnes qui sont visées par cette épithète de « has been ». Je suppose qu’il s’agit de Hermann Yaméogo, de René Emile Kaboré, de Salia Sanou, d’Alassane Zakané et de moi-même. Outre l’amitié que je leur porte, ce sont des personnes pour qui j’ai du respect et de l’admiration pour la vigueur de leur engagement,  qui n’est,  en aucune façon,  entamée par l’âge. Je souhaite à ceux qui veulent  les brocarder d’atteindre la même ancienneté,  en conservant une forme intellectuelle et physique, ainsi qu’un courage  comparables aux qualités  que ces personnalités  démontrent encore aujourd’hui, après des années d’une vie politique qui n’a pas été un long fleuve tranquille.    Je peux vous assurer que dans mon cas, comme dans celui des personnes visées par cette remarque, ni l’âge, ni le fait d’avoir occupé des  fonctions importantes  dans le passé, ne nous posent problème. Nous ne vivons pas dans la nostalgie de je ne sais quel passé glorieux. Nous sommes dans le présent. Je crois savoir que cela n’en pose pas davantage aux gens plus jeunes avec lesquels nous collaborons au sein du mouvement Rupture Positive.   Au demeurant, je dois vous dire que  nous avons conçu justement Rupture Positive comme une structure  qui a également vocation à favoriser une transition harmonieuse des générations. Si vous y prêtez attention, il y a, dans la direction du mouvement, un grand nombre de jeunes, hommes et femmes, qui occupent des fonctions importantes et sont prêts à prendre le relais de leurs aînés.  

 

 

Avez-vous les moyens financiers de votre action ? Si oui, d’où viennent-ils ?

 

 

Au stade actuel, le type d’activités que mène le mouvement ne nécessite  pas des ressources financières extraordinaires : tenir des réunions et des assemblées, assurer des publications diverses, etc.  Pour faire cela, les ressources dont nous avons besoin sont assurées par les contributions volontaires de nos membres.

 

 

« C’est justement quand les choses  vont mal  que la population a besoin de savoir qu’il y a une autorité aux commandes pour les régler »

 

 

Comment appréciez-vous l’incident de Kaya ?

 

 

Cet incident comporte plusieurs dimensions. Il y a d’abord l’élément purement factuel du blocage, par une population en colère, d’un convoi militaire français qui, venant de Côte d’Ivoire, traverse le Burkina pour transporter au Niger, des matériels divers destinés à la lutte anti-terroriste. Avec l’emballement médiatique que l’on observe sur les réseaux sociaux, qui accuse la France de duplicité, parce qu’elle serait complice des terroristes,  on peut comprendre que   la frustration des populations s’exprime par cette forme de représailles et de défi. Seulement, comment ne pas être inquiet devant les risques de dérapages qu’engendre cette vive tension qui met en présence   une colonne militaire,  entourée par une foule hostile difficilement contrôlable ?  Tout cela se passe sur le territoire burkinabè et on ne peut manquer d’être frappé par le mutisme et l’inaction apparente des autorités du pays pour tenter de ramener le calme et  trouver une issue heureuse à cet imbroglio. Je veux croire que le Gouvernement a choisi d’agir dans la discrétion pour ne pas envenimer la situation, en courant le risque de voir la colère des manifestants se retourner contre lui, dans un contexte où les esprits sont déjà échauffés par le drame d’Inata. Ce choix du silence face aux situations de crise, qui est devenu habituel chez nous,  me paraît contreproductif. C’est justement quand les choses  vont mal  que la population a besoin de savoir qu’il y a une autorité aux commandes pour les régler. Une déclaration du ministre des Affaires étrangères, intervenant près d’une semaine après le début de cet incident, vient  de rompre le mutisme des autorités nationales. C’est tard, mais c’est mieux que rien.  Il en est de même d’ailleurs en ce qui concerne la relation globale et complexe  que notre pays entretient avec la France. Le silence habituel des autorités burkinabè sur le rôle exact  de la France  dans la lutte anti-terroriste, ouvre la voie à toutes sortes de spéculations.  En l’absence d’informations officielles (quand bien même elles seraient contestées ou mises en doute), les réseaux sociaux comblent le vide en  exposant comme vérités absolues les hypothèses complotistes les plus farfelues.  Je crois qu’il faut avoir l’honnêteté et le courage de dire des choses simples. La guerre contre le terrorisme relève de la responsabilité des gouvernants, des armées et des populations du Sahel. Aucun pays étranger à cette zone, n’a l’obligation, ni même la vocation de venir faire cette guerre à notre place, quels que soient  ses intérêts économiques ou géostratégiques dans la région. A son accession à l’Indépendance, notre pays, à l’inverse des autres Etats de l’ex-Afrique occidentale française (exception faite de la Guinée Conakry), a refusé le maintien de bases militaires de l’ancienne puissance coloniale sur son territoire, grâce en soit rendue au Président Maurice Yaméogo.  Alors, il est curieux de voir certains de nos compatriotes manifester une sorte de dépit infantile envers la France, parce qu’elle ne serait pas parvenue, malgré sa puissance militaire, à nous débarrasser du terrorisme en un tournemain. D’abord, ce n’était pas sa vocation. Ensuite, l’aurait-elle voulu que je ne suis pas certain qu’elle en aurait la capacité, pour toute la région du Sahel.   Les guerres d’Algérie, du Vietnam et d’Afghanistan sont là pour nous rappeler que la disproportion dans la taille et la puissance  des belligérants, ne suffit pas à désigner le vainqueur.   Cela dit, dans ce conflit de longue haleine qui paralyse nos pays,  nous devons nous satisfaire de bénéficier du soutien actif de la France et d’autres membres de la communauté internationale. En dépit de la sympathie que nous avons pour ce jeune homme de Kaya, ce ne sont pas les lance-pierres qui nous aideront à vaincre le terrorisme.

 

 

Quelle lecture faites-vous du déroulement du procès Thomas Sankara et des différents témoignages ?

 

 

Pour dire vrai, j’avais pris la résolution de me désintéresser totalement de ce procès et d’ignorer les échos qui en seraient faits par la presse, parce que je ne crois pas à cette forme de « justice », qui   relève plus, à mes yeux,  du règlement de vieux comptes politiques que d’une quelconque idée de justice.  Mais c’était sans  compter avec  la prolifération des informations sur les réseaux sociaux. A force de voir défiler  des titres ou des extraits d’articles dès que l’on ouvre son téléphone, on finit par céder à la curiosité de temps à autre. Donc, j’ai lu occasionnellement les reportages sur les comparutions de certaines personnes ; ce qui veut dire que mes impressions sont partielles, certainement partiales et forcément  superficielles. D’ailleurs, les audiences se poursuivent.  En gros,  ce que j’ai pu lire confirme ce que je pensais de ce procès dès le départ. Tout ce battage pour ce piètre résultat ! On me dit que bien que l’audience soit publique, comme c’est la règle, le public a fini par se lasser d’y assister. Ceux qui pensaient tenir le pays en haleine par ce feuilleton, en sont pour leurs frais.  J’ai compris que l’humiliation de Blaise Compaoré, poursuivie pendant des  semaines et des mois, devait constituer la principale attraction de ce spectacle. Comme il n’est pas venu, ils ont pensé pouvoir se rattraper sur le Général Gilbert Diendéré. Mais problème ! Il est sorti du rôle qu’on lui avait assigné dans la pièce et a refusé d’être le dindon de la farce. Alors, on s’est laissé aller à quelques injures, auxquelles il a vertement répliqué. Au total, ces passes d’armes, dont il semble sorti vainqueur, lui ont acquis un regain de sympathie aux  yeux de  l’opinion.  Ce n’était pas le résultat attendu !   Quoi de surprenant en définitive ?  Il y a, de toute évidence, une différence de stature, au sens propre comme au sens figuré,  entre le Général et ses contradicteurs.  Ensuite, il y eut des témoignages variés, se contredisant les uns les autres. Ils ont en commun d’avoir laissé une bien piteuse image de ces derniers témoins de la brève odyssée sankarienne. Songez que l’un des témoins serait allé jusqu’à relever comme un grief contre Blaise Compaoré, le fait  qu’avant son mariage, il aurait omis de soumettre sa future épouse à une enquête de moralité, en violation de la règle militaire, crime majeur !  Mme Compaoré n’a-t-elle pas assumé son rôle de Première dame du Burkina avec dignité pendant des décennies, sous le regard de tous ? En quoi est-elle associée à l’assassinat de Thomas Sankara ?   Voilà  le genre de propos qui donne à cette affaire, l’allure d’une bouffonnerie. L’autre fait insolite qui  ajoute à la cocasserie de l’affaire, est que l’un des leaders politiques   qui se réclament aujourd’hui de l’héritage historique  de Sankara, se révèle être la personne qui aurait  favorisé, en 2015,  la fuite de son présumé assassin. Je crois que ceux qui se proclament héritiers de Sankara devraient avoir pitié pour sa mémoire et le laisser enfin reposer en paix.   Ces auditions ont-elles  contribué à clarifier  les raisons profondes de la divergence qui opposait Blaise Compaoré et Thomas Sankara ? Je n’en ai pas l’impression. Ont-elles au moins  apporté une lumière définitive sur les circonstances exactes du drame qui est survenu ce jour du 15 octobre 1987 ? Pas davantage. En tout cas, pas en ce qui concerne l’allégation de l’implication directe  de Blaise Compaoré  dans le déroulement de ces faits.  Alors, il ne reste qu’à attendre le dénouement du procès, qui sera sans surprise. Ceux qui doivent être condamnés, pour que les commanditaires de la pièce de théâtre  en aient pour leur  argent, le seront. Le reste sera arrangé pour essayer de donner un minimum de crédit à l’affaire. Aura-t-on ainsi rendu justice à la mémoire de Thomas Sankara et à sa famille ? J’en doute.  Plus tard, quand la fièvre vengeresse qui tourmente quelques rares esprits nostalgiques, aura disparu et que nous serons tous morts, les historiens diront ce qui restera de cet épisode de la vie du Burkina Faso, au temps de Thomas Sankara et de Blaise Compaoré.     

 

« Je me réjouis que le Président Blaise Compaoré ait choisi de ne pas comparaître à ce procès »

 

Comment appréciez-vous le refus de Blaise Compaoré de rentrer au bercail pour répondre devant de Tribunal militaire ?

 

 

Je vais être franc et direct avec vous. Lorsque je vois la manière dont se déroulent les audiences, le parti pris flagrant du parquet  et le ton vindicatif  que les  avocats des parties civiles utilisent à l’égard des accusés et notamment du Général Diendéré, je me réjouis que le Président Blaise Compaoré ait choisi de ne pas comparaître à ce procès. Je me doute bien qu’un procès n’est jamais une aimable  conversation de salon entre gens de bonne compagnie. Mais je vois bien que tout cela  n’avait qu’un seul but : c’est de l’humilier publiquement, avant  de le déclarer inéluctablement  coupable, pour lui infliger une peine lourde et infamante, qui sonnera comme la  revanche de ses ennemis  du passé et du présent.  Il est heureux qu’il se soit épargné de participer à cette mascarade.

 

 

Quel est votre commentaire sur le massacre d’Inata ?

 

 

Depuis le début de cette guerre, nous avons vu s’allonger de jour en jour la liste des jeunes combattants qui meurent pour la patrie. Nous avons honoré leur mémoire et salué leur sacrifice, en espérant qu’il n’était pas vain et que tous ces efforts aboutiraient un jour à la libération totale de notre pays. Nous savions que les membres héroïques de nos Forces de défense et de sécurité (FDS) connaissaient des difficultés liées à la qualité de leur équipement, à leurs émoluments,  à la formation, à la promptitude des appuis en tous genres qui leur étaient nécessaires. Nous pensions, un peu naïvement, que justement parce que ces difficultés étaient connues, même du grand public, elles seraient forcément résolues au fur et à mesure de leur apparition. Puis, est survenu le drame d’Inata. Il a été perçu comme un scandale intolérable par tous les Burkinabè, lorsque nous avons eu connaissance que l’unité de gendarmerie qui a été attaquée en ce lieu se trouvait privée d’approvisionnement en nourriture depuis plusieurs  jours, malgré des relances insistantes. De plus, le délai de la relève de ce groupe était largement dépassé, sans que personne dans la hiérarchie n’ait l’air de s’en soucier. Ce que révèle cette situation, c’est l’état d’abandon dans lequel se trouvaient ces gendarmes, avant de subir l’assaut meurtrier des terroristes, qui a décimé leurs rangs. Ce qui met à nu l’inorganisation de notre armée, dans une zone sensible de la guerre contre le terrorisme. Cela montre aussi, de façon crue, l’indifférence de l’oligarchie politico-militaire à l’égard du sort de ces unités combattantes, tandis que les dignitaires civils et militaires du  pays mènent des jours tranquilles à Ouagadougou.  C’est vrai qu’aussi scandaleux qu’il soit, il s’agit là, jusqu’à plus ample informé,  d’un fait isolé qui ne doit pas  servir à tirer des conclusions hâtives sur l’état de fonctionnement de l’ensemble du dispositif de défense du pays. Il reste que cet évènement, mis en relation  avec la dégradation continue de la situation sécuritaire, amène à  s’interroger sur le sérieux avec lequel les autorités gouvernementales et militaires abordent la lutte contre le terrorisme. Il n’est donc pas surprenant que l’attaque d’Inata ait déclenché le mouvement de révolte  que l’on constate actuellement, à l’échelle nationale. Cette situation appelle une seule réponse : il faut sortir de l’apathie et sauver le Burkina d’un effondrement qui se profile de jour en jour.       

 

 

L’Opposition politique a lancé un ultimatum d’un mois au président du Faso, pour trouver une solution à la crise sécuritaire. Quel commentaire en faites-vous ?

 

Juste une précision préalable. L’opposition politique ne se limite pas au CFOP. C’est le Chef de file de l’opposition qui a annoncé cette décision, qui n’engage,  j’imagine, que les partis qui sont  affiliés au cadre de concertation qu’il a institué. Vous avez observé sans doute que d’autres partis ont exigé la démission sans délai du Chef de l’Etat, devant la détérioration continue   de la situation sécuritaire, qui donne l’impression d’être devenue irréversible. Certains membres du mouvement Rupture Positive ont pris résolument position dans ce sens. C’est le cas du Front patriotique pour le renouveau (FPR), dirigé par le Dr.  Aristide Ouédraogo dont je salue le courage et la détermination. L’un des membres de son parti, l’ancien officier de police Assami Ouédraogo, a d’ailleurs été arrêté, pour avoir participé à une conférence de presse à ce sujet. Appeler à la démission du Chef  de l’Etat n’est pas en soi un acte subversif. Cela participe de la liberté d’opinion et d’expression. Un membre du CDP, Adama Tiendrébéogo dit Colonel  et  des activistes  de la société civile font l’objet de mesures d’intimidation et de harcèlement parce qu’ils appellent à une marche pour demander la même chose. Evidemment, le mouvement Rupture Positive est solidaire de toutes ces personnes qui ne font qu’exercer leurs droits de citoyens, dans le strict respect de la loi. Ces arrestations arbitraires, ajoutées à la coupure de l’Internet mobile et à l’interdiction des manifestations, ne font qu’exacerber la tension qui existe actuellement dans le pays. Il est souhaitable que le pouvoir mette fin à cette dérive autoritaire qui n’est pas de nature à apaiser la situation.  A ma connaissance, personne n’a été interpellé en 2014, ni même inquiété d’une quelconque manière, lorsque les membres du MPP et leurs alliés de l’Opposition d’alors organisaient de multiples manifestations contre le pouvoir de l’époque. Aucune entrave n’a d’ailleurs été faite à la tenue de ces manifestations.  Il est vrai que cette attitude  conciliante, qui n’est rien d’autre que le respect des libertés  démocratiques, a eu des conséquences fâcheuses pour le régime de Blaise Compaoré. Mais il est malheureux que l’autorité de l’Etat, qui fait cruellement défaut dans la lutte contre les terroristes, s’exerce de manière abusive à l’égard de citoyens qui, usant de leurs libertés constitutionnelles, veulent manifester pacifiquement. Au moins ceux-là, jusqu’à preuve du contraire, ne sont pas en train de planifier d’incendier des domiciles et des édifices publics. On a l’impression que les dirigeants actuels  vivent dans la hantise permanente  de voir se répéter ce qu’ils ont eux-mêmes fait pour arriver au pouvoir. Dans ce cas, il faut commencer par éviter de mettre le  feu aux poudres et traiter les causes du mécontentement.  Le Chef de l’Etat doit entendre le désespoir, l’angoisse et la colère  qu’expriment les Burkinabè et y répondre, non  par de vagues promesses, mais par  des actions concrètes qui redonnent confiance au pays. S’il n’est pas en mesure de le faire, alors oui,  il doit démissionner pour le bien du pays.    

 

 

Quel regard portez-vous sur l’utilisation des réseaux sociaux par les activistes en cette période de crise sécuritaire ?

 

 

L’utilisation malveillante des réseaux sociaux en temps de paix, est déjà nocive. Avec la surenchère des fake news, des attaques personnelles, couvertes par l’anonymat, cela est pire en période de crise sécuritaire, avec la propagation de fausses informations et de thèses complotistes diverses. La guerre psychologique est aussi vieille que la guerre elle-même. Les réseaux sociaux lui donnent un champ d’expression illimité. Il est clair que les terroristes au Burkina y recourent de plus en plus, avec toutes les vidéos où on les voit parader dans nos provinces, comme en territoire conquis.  Cela dit, la coupure d’Internet dans le contexte des tensions politiques actuelles, n’a rien à voir avec la lutte contre le terrorisme. Elle vise à contrecarrer les projets de manifestations qui ont été annoncés par différents mouvements pour protester contre l’incapacité du pouvoir à assurer la protection des citoyens et du territoire. Dans ce sens, c’est une mesure coercitive d’inspiration totalitaire.

 

 

Comment appréciez-vous le travail fait par la presse en cette période de crise sécuritaire ?

 

 

Je ne lis pas toute la presse, ni ne regarde tous les journaux télévisés. J’ai une connaissance insuffisante des radios et de la presse en ligne. Mais c’est déjà une excellente chose que la presse, au Burkina, soit à ce point plurielle et dynamique, avec une liberté manifeste dans le traitement des sujets et le ton. On me dit que les nouvelles  et les débats en langues nationales sont les plus suivis sur les radios ; ce qui donne à penser que tous les citoyens accèdent directement aux informations essentielles, présentées sous des angles différents. Je crois que c’est en soi une révolution  dont on ne mesure pas la portée. Avec toutes ces sources d’information, qui ne semblent pas soumises à une censure trop pesante, j’ai le sentiment que les Burkinabè sont assez bien renseignés sur l’évolution de la situation sécuritaire dans leur pays. D’autant que les réseaux sociaux y participent  aussi, de manière très active, avec tous les risques que cela implique. Tout le monde est devenu journaliste, comme analyste politique, spécialiste des questions monétaires, expert en stratégie militaire ou en relations internationales !

 

 

Comment appréciez-vous la sortie des Evêques du Burkina appelant au discernement ?

 

 

 

Je crois me souvenir que lorsqu’il s’agissait de critiquer la gestion de Blaise Compaoré et ses projets constitutionnels, les Evêques du Burkina savaient se montrer plus incisifs. Cela montre qu’ils ont la capacité de dire les choses sans détour quand ils le veulent.  Ce qui manque aux Burkinabè aujourd’hui, ce n’est pas le discernement, ni la  résilience,  ni le courage. Ce qui manque au pays, c’est d’avoir des dirigeants conscients de leurs responsabilités face à la crise la plus grave que le pays ait connue, qui savent se montrer proactifs, déterminés, qui engagent des actions fortes pour rassembler les énergies du pays et les mobiliser afin de donner un surcroît de vigueur à la lutte contre le terrorisme.

 

 

Pensez-vous que le Burkina Faso dont le 1/3 du territoire est déjà occupé par les terroristes, gagnera la victoire contre le terrorisme ? Si oui, comment ?

 

 

Je veux croire que nous gagnerons la lutte contre le terrorisme, parce que je suis Burkinabè et je ne peux pas envisager la disparition de mon pays, ou sa transformation en un califat. Malheureusement,  nous n’avons pas pris le chemin de cette victoire. Je n’aurais pas dit cela,  il y a deux ou trois mois. Mais au train où vont les choses, il ne me semble pas exclu que tout ou une partie de notre territoire tombe définitivement aux mains des terroristes. Cette hypothèse est cauchemardesque. Mais il est justement temps de se réveiller pour agir, avant qu’il ne soit trop tard.

 

 

« Si c’était pour montrer  qu’il ne dormait  pas et qu’il était en train de préparer des mesures qui seraient précisées dans un futur indéterminé, ce n’était pas la peine de tenir les gens éveillés jusqu’au  milieu de la nuit »

 

 

Comment réagissez-vous au discours à la Nation, du Chef de l’Etat du 25 novembre 2021 ?

 

 

Pour vous le dire franchement, cette déclaration, intervenue à une heure insolite de la nuit, m’a laissé perplexe. Je m’attendais, justement à cause de l’heure inhabituelle du discours et de son caractère solennel, à l’annonce de mesures  concrètes, fortes et immédiates. Si c’était pour montrer  qu’il ne dormait  pas et qu’il était en train de préparer des mesures qui seraient précisées dans un futur indéterminé, ce n’était pas la peine de tenir les gens éveillés jusqu’au  milieu de la nuit.   Cependant, je veux bien faire l’effort de voir le verre à moitié plein, plutôt qu’à moitié vide. Donc, les responsables du scandale d’Inata seront sévèrement punis. Les officiers supérieurs  iront au front. Un dispositif sera mis en place pour veiller  aux conditions matérielles et au moral des troupes. Il y aura un nouveau gouvernement de taille réduite. Une opération « mains propres » sera lancée pour poursuivre et sanctionner les malversations.  On ne peut pas nier que tout cela parte d’une bonne intention.  Mais où est le changement de paradigme ? Ne s’agit-il pas là de mesures normales  qui auraient dû être prises depuis longtemps ? Ces nouvelles dispositions  ne traduisent-elles pas la reconnaissance implicite du laxisme, du dilettantisme, du copinage, de la corruption galopante, en somme de la mal gouvernance, qui sont  reprochés au régime après 6 ans d’exercice du pouvoir ? Pour positives qu’elles soient, en quoi ces mesures de gestion ordinaire vont-elles avoir un impact direct et décisif sur l’évolution désastreuse de la situation sécuritaire ?  Je me serais attendu à l’annonce d’une mobilisation générale, avec le recrutement de nouveaux contingents dans les Forces de défense et de sécurité. A la mise en œuvre de dispositions concrètes pour réaliser cette fameuse union sacrée que le pouvoir proclame sans cesse, mais qui semble se limiter à des tractations souterraines  pour opérer des ralliements, à la levée d’une contribution nationale pour soutenir l’effort de guerre, etc.  J’aurais aimé voir l’esquisse d’un programme de reconquête du territoire, avec des dispositions relatives à la réinstallation des populations déplacées, à leur sécurisation, au retour de l’administration et des services sociaux de base, à la reprise de l’activité économique dans ces localités. En résumé, j’espérais voir  le début de la mise en œuvre d’une vraie stratégie pour renverser les choses dans le domaine de la lutte contre le terrorisme. Là, nous aurions assisté au renversement du paradigme du laisser-aller et de l’échec.   Au lieu de cela, la déclaration du Chef de l’Etat donne l’impression assez fâcheuse d’être une opération de communication, plutôt maladroite d’ailleurs, destinée surtout à contrecarrer les projets de manifestations préparés par diverses organisations politiques et civiles. Etrangement, à l’occasion de ce discours,  le Président du Faso a fait état  de son attachement au libre exercice des droits démocratiques des citoyens, sans préciser les conclusions qu’il en tire concernant les entraves qui sont faites actuellement à ces libertés. Le maintien de ces mesures liberticides serait évidemment en contradiction flagrante avec la profession de foi démocratique exprimée solennellement par le Chef de l’Etat. Pour être crédible, il faut que la parole du Président du Faso  corresponde à ses actes. C’est la condition minimale du rétablissement de la confiance.

 

Propos recueillis par Antoine BATTIONO      

 


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