LETTRE OUVERTE AU PRESIDENT DU FASO : « Excellence, je vis une situation des plus dramatiques »
L’auteur de la lettre ouverte ci-dessous s’appelle Adama Pamtaba, fonctionnaire de la police municipale de la ville de Ouagadougou. Il interpelle le chef de l’Etat sur le décès de son épouse en 2014, à la maternité de l’hôpital Yalgado Ouédraogo. Il dit vouloir comprendre toute la vérité sur cette affaire qui hante son sommeil. Lisez plutôt !
Excellence Monsieur le président du Faso, c’est un citoyen dans un état d’esprit emprunt de révolte qui s’adresse à vous. Pourquoi je m’adresse à vous ? Parce que tout simplement vous êtes le Président de la République, celui que tous les citoyens, sans aucune forme de considération (…), ont choisi pour présider à leur destinée. Donc, vous êtes le chef de famille et je suis membre de la famille.
Je tiens à m’excuser pour les tares ou abus de langage qui pourront indélicatement ou subtilement se glisser dans mon adresse à votre égard ; cela vient d’un cœur meurtri et révolté. Mais souffrez de cette vexation du vingt-millionième des concitoyens.
Excellence, depuis deux ans, je vis une situation des plus dramatiques qu’un homme puisse vivre. De quoi s’agit-il ? Bien que l’affaire soit suffisamment connue (elle a même été évoquée en conseil des ministres du 30 mars 2016), permettez que je revienne sommairement sur ce qui s’est passé.
Dans la nuit du 15 au 16 mars 2016, ma femme a été reçue pour un accouchement à la maternité de l’hôpital Yalgado Ouédraogo. Je précise qu’elle est arrivée sur ses jambes et a même arpenté le long couloir de la maternité jusqu’aux box d’accouchement à pied.
Elle est décédée le 16 matin à 05 h10 mn et mon fils le 17 mars aux environs de 12h en réanimation.
Alors comment ma femme et mon fils sont-ils morts ? Ma femme, elle est tout simplement tombée de la table d’accouchement et n’a pas survécu à sa chute, mon fils a suivi sa mère un jour plus tard.
Cette histoire qui a ému en son temps plus d’un, est en passe d’être jetée dans les tiroirs de l’oubli. Le temps est un grand remède aux douleurs les plus atroces, mais laisse toujours des cicatrices.
En effet, après l’incident dramatique, dès les premières heures, ma famille, ma belle-famille et moi-même avons reçu le soutien de tous. Les syndicats des agents de santé et une délégation de l’hôpital sont venus nous présenter leurs condoléances. Nous leurs en sommes gré.
Le 31 mars 2016, le ministre de la Santé, en compagnie de ses plus proches collaborateurs, est venu chez moi. Pour l’occasion, les deux familles les ont reçus.
Le ministre a donné l’assurance aux familles que sur instruction du gouvernement, une enquête serait diligentée afin de situer les responsabilités.
Il a émis des regrets quant aux évènements qui se sont produits et a promis que des mesures sont en train d’être prises pour que cela ne se reproduise plus.
Le même jour, j’ai été reçu aux environs de 10h par Dr Sanou de l’Inspection générale des Services de Santé.
L’inspecteur m’a fait le compte rendu à mis parcours de leurs investigations. Quand nous nous quittions, il a promis de me rappeler chaque fois que besoin serait et me tiendrait au courant de l’évolution du dossier, tout en me rassurant de la transparence qui entourera le traitement de l’enquête. C’est avec un cœur soulagé que je quittai le bureau du Dr Sanou, car j’avais l’impression que les choses allaient enfin bouger dans ce pays.
Trois mois après le décès de ma femme et de mon enfant, n’ayant jamais été rappelé par l’inspection générale des services de santé ni le ministère, je pris l’initiative d’aller à la rencontre des premiers responsables du ministère de la santé afin de comprendre ce qui se passe. C’est ainsi que j’ai obtenu un rendez-vous avec le ministre de la Santé le 23 juin 2016. Ce jour-là, le ministre me fait comprendre que l’enquête est bouclée et qu’il attendait les instructions de la hiérarchie afin de pouvoir porter les conclusions à notre connaissance.
Excellence monsieur le Président du Faso, depuis cette date et jusqu’à ce jour, aucun responsable du ministère de la Santé ni d’un autre ministère n’est rentré en contact avec moi ni un membre de ma famille ou de ma belle-famille.
Face à ce comportement que je perçois comme un manque de considération à mon drame (perdre dans ces conditions sa femme et son fils), je suis en droit de me poser plusieurs questions.
Que renferment les conclusions de ce rapport pour que la hiérarchie du ministre ait du mal à l’instruire de dire aux familles NANA et PAMTABA pourquoi et comment Zourata et son fils sont décédés ?
Que traduit le silence des premières autorités sanitaires?
N’avons-nous pas droit à la vérité ?
Pourquoi l’Etat n’a-t-il initié aucune prise en charge psychologique à l’endroit de ma famille ? Préférant nous laisser gérer nos problèmes avec tous les risques que cela comporte. Les psychologues pourront aisément vous dire les conséquences d’un tel drame sur les membres d’une famille.
C’est vrai ! Dès les premières heures du drame, j’ai été clair, je ne porterai pas plainte ! J’ai pris cette décision par convenance personnelle. D’ailleurs, pourquoi faut-il que ce soit un proche de la victime qui porte plainte dans ce genre de cas ? Toute mort suspecte, dans un Etat de droit comme celle de ma femme et de mon fils, devrait donner lieu à l’ouverture d’une procédure. Pour le cas de ma femme et mon fils, le procureur a été informé ou a entendu oui ou non? Qu’a-t-il fait ? Dans ce genre de cas, l’Etat, garant de la sécurité de tous les citoyens et agissant au nom de tous, devrait s’autosaisir.
Donc, le prétexte que c’est parce que je n’ai pas déposé plainte « qu’ils ne feront rien » n’est pas ma perception de la vie en communauté, dans un Etat démocratique. Des mécanismes et outils sont élaborés pour régir et réguler la vie en société. Prenons l’exemple d’un Burkinabè sans famille ni amis qui est lésé dans ses droits (cas d’homicide). Qui doit lui rendre justice ?
Je peux donner l’impression d’en vouloir à la terre entière, mais quand on crie au secours à des passants qui vous regardent sans vous porter assistance, forcément ça entame votre perception de la vie en société.
Alors pourquoi tenons-nous tant à ce rapport ? Juste par principe. L’Etat nous devrait plus que des dommages et intérêts en millions, si le procès avait lieu suite à une plainte déposée par les familles. « L’Etat burkinabè nous doit des excuses ! » C’est tout ce que nous demandons !
Certes ma femme et mon fils sont décédés accidentellement, mais un accident est toujours la résultante d’une négligence, l’inobservation de certaines règles basiques professionnelles. Des négligences que l’Etat doit assumer, car l’accident a lieu dans une propriété publique, sous la responsabilité d’agents publics. Donc, la responsabilité morale de l’Etat est engagée. Je ne vois pas pourquoi il est difficile pour une personne morale de s’assumer dans ce cas de figure.
Pour ma part, je m’insurge contre cette manière en déphasage des principes moraux et culturels africains de gestion des problèmes aussi dramatiques que des cas de décès. Chez nous les mossés, la repentance est toujours une garantie de pardon, quelle que soit la faute commise.
Pour ma part encore, j’ai perdu ma femme et mon enfant pour rien ! C’est le sentiment que j’ai actuellement, qu’en tant que citoyen, je ne suis pas protégé. S’il y a eu faute, les auteurs ne seront jamais punis, ne serait-ce qu’administrativement.
Excellence Monsieur le président, en toute humilité, je vous demande d’instruire le ministre de la Santé d’informer la famille de ma femme et la mienne des conclusions de l’enquête. S’il y a faute, les deux familles ont droit aux excuses du gouvernement, car ma femme et mon fils sont morts dans un service public et entre les mains d’agents publics. Nous avons besoin de cela pour faire notre deuil. Connaissant votre sensibilité pour la résolution des problèmes de tous les Burkinabè, j’ose croire que je ne serai plus confronté à ce silence incompris. Encore mes excuses pour tous abus ou écarts de langage ! C’est vraiment avec la plus grande retenue que j’ai pu rédiger cette lettre.
Adama PAMTABA, Fonctionnaire de Police Municipale de la ville de Ouagadougou.
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