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LIBERATION DE DEUX OTAGES OCCIDENTAUX AU MALI


On ne sait toujours pas grand-chose sur la liberté retrouvée de la Canadienne Edith Blais et de son ami italien Luca Tacchetto, vendredi dernier, après plus de 15 mois de détention. On sait, en revanche, que ces ex- otages qui avaient miraculeusement disparu entre les villes burkinabè de Bobo-Dioulasso et Ouagadougou, en décembre 2018, alors qu’ils étaient en partance pour le Togo pour un projet de reforestation, ont été récupérés par la mission onusienne non loin de la ville frondeuse de Kidal, avant d’être transférés à Bamako. On peut dire, grosso modo, que c’est le flou total qui entoure jusqu’ici cette affaire, depuis son commencement au Burkina Faso jusqu’à son dénouement dans le Nord désertique du Mali, d’autant qu’on ne connaît ni l’identité des ravisseurs, ni les conditions de leur libération. Dans le cas d’espèce, on ne peut que se perdre en conjectures en attendant que d’improbables bribes d’informations ne viennent soit des ravisseurs, soit des ex-otages, pour lever définitivement le voile de l’opacité sur cette histoire digne d’un film de science-fiction. On pourrait commencer par le prologue ou le début de cette descente aux enfers de ces deux tourtereaux, en nous posant des questions sur l’identité de leurs ravisseurs et leurs motivations, alors que le lieu du rapt n’était pas « déconseillé sauf raison impérative » aux Occidentaux. Il est évidemment difficile de mettre un nom sur le groupe qui a agi en plein jour et dans le Centre-Ouest du pays jusqu’ici épargné par le terrorisme, mais il est certain qu’il s’agissait de professionnels du crime pleins d’audace. Les ravisseurs ont certainement profité de la « putréfaction » de la situation sécuritaire au Nord du Burkina du fait de l’entremêlement dans cette partie du pays, des actes crapuleux, des attaques djihadistes et des violences intercommunautaires, pour faire du rodéo jusqu’à l’extrême Nord-Est du Mali où ils avaient séquestré les ex- otages.

La thèse de l’évasion peut être crédible

Dans ces zones situées de part et d’autre de ces deux frontières poreuses, c’est le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans de Iyad Ag Ghali et de Hamadou Koufa, qui est le plus actif, et on pourrait, de ce fait, lui attribuer la paternité de cette prise d’otages. Toutefois, il n’est pas exclu que ce soit l’œuvre de têtes brûlées qui sont passées à l’acte en vue de « revendre » le duo qui, a priori, a une forte valeur marchande, au mieux-disant des groupes terroristes qui ont mis l’ensemble du Sahel sous coupe réglée. En clair, le mystère reste entier sur cet enlèvement et sur le transfèrement des otages dans l’Adrar des Ifoghas, tout comme des zones d’ombres entourent les conditions de leur libération. Le scénario de leur évasion qui nous a été conté par les ex-otages eux-mêmes, est digne d’un roman d’aventure, puisqu’ils se seraient fait la belle à l’insu de leurs gardiens, alors qu’ils étaient dans le plus profond des pétrins. Aussi surréaliste qu’elle puisse être, cette hypothèse ne peut être balayée du revers de la main, d’autant qu’il y a eu des précédents ici en Afrique, au Nigeria et en Somalie notamment. Le Français Francis Collomp avait été, en effet, pris en otage en décembre 2012 par le groupe Ansaru au Nord du Nigeria, mais avait réussi à fausser compagnie à son ange-gardien en novembre 2013, alors que ce dernier entamait sa prière en oubliant malencontreusement de refermer la porte de sa cellule. Toujours au Nigeria, plusieurs dizaines de captives de Boko Haram avaient profité de l’absence de leurs geôliers qui étaient aux prises avec l’armée nigériane, pour s’évader et rejoindre leurs familles. Comme dernier exemple, on peut citer le cas de ce membre de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) de la France qui avait été kidnappé en 2009 par un groupe de la faction somalienne du Hizbul Islam, mais avait réussi à semer discrètement ses ravisseurs en août de la même année, avant d’être récupéré par les forces du gouvernement fédéral de transition. Ainsi donc, la thèse de l’évasion peut être crédible, pour peu qu’on nous relate les circonstances dans lesquelles elle est intervenue : ont-ils profité de la prière du vendredi que ne devraient pas rater, en principe, leurs ravisseurs, pour se fondre dans la nature à la Francis Collomp ? Ou ont-ils pris la clé des champs comme les Nigérianes, au moment où leurs « maîtres » se battaient contre un autre groupe armé ? Et s’ils ont été tout simplement libérés par dépit, parce qu’ils n’ont pas pu être « vendus » à temps, et parce qu’il devenait de plus en plus risqué de les garder dans le contexte de décrispation actuelle (redéploiement de l’armée à Kidal et récent séjour du chef de gouvernement malien dans ladite ville rebelle) et dans une zone plus que jamais militarisée ? On n’a malheureusement pas de réponses à toutes ces questions, pas plus qu’à celle relative au versement éventuel d’une rançon, même si le patron de la mission onusienne au Mali, Mahamat Saleh Annadif, a écarté cette dernière hypothèse. Pour autant, il n’est pas exclu que la libération de l’Italienne et de son compagnon canadien d’infortune ait été obtenue contre paiement d’espèces sonnantes et trébuchantes, d’autant que leurs pays respectifs ont déjà eu à cracher au bassinet pour libérer leurs citoyens. C’était le cas en 2008, lorsque deux diplomates canadiens, Louis Guay et Robert Fowler, ont été enlevés par Al Moulathamoune de Mokhtar Belmokhtar, et en 2012 quand l’Italienne Maria Sandra Mariani enlevée dans le Sud de l’Algérie par Aqmi une année plus tôt, a été libérée au Nord-Mali. Pour des raisons évidentes, ces deux Etats se font passer pour des partisans de la ligne dure contre les paiements de rançons, mais dans les coulisses, on sait bien qu’ils se sont montrés plus d’une fois flexibles et…ouverts au dialogue avec les kidnappeurs. Quoi qu’il en soit, pour Edith Blais et pour Luca Tacchetto, ainsi que pour leurs familles respectives, le plus important est qu’ils puissent enfin respirer l’air de la liberté et qu’ils soient en apparente bonne santé, malgré les conditions de détention qu’on imagine infernales.

Hamadou GADIAGA


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