NON-LIEU DE LA JUSTICE FRANÇAISE DANS L’AFFAIRE KARIM WADE Quelle crédibilité ?
La Justice française a classé sans suite la plainte de l’Etat sénégalais contre Karim Wade. En rappel, l’Etat sénégalais a déposé, en fin 2012, une plainte contre le fils de l’ex-chef de l’Etat sénégalais pour « enrichissement illicite » en France. Rien d’anormal surtout que Karim Wade est un citoyen français. Ses avocats s’en frottent les mains et envoient au passage des piques à l’exécutif sénégalais, en répétant à qui veut les entendre qu’il ne s’agit ni plus ni moins que d’un procès politique qui est fait à leur client.
Il serait réducteur de ne voir dans cette affaire Karim Wade qu’un procès politique
Ils en veulent spécialement à la Cour de Répression de l’enrichissement illicite (CREI) dont les règles de procédure renversent la charge de la preuve et ne prévoient pas de possibilité d’appel.
La CREI, dans sa forme actuelle, est bien critiquable et il y a, bien entendu, une dimension politique dans l’affaire Karim Wade puisque c’est l’équipe du successeur de Wade, le président Macky Sall, qui a mis en branle la procédure. Mais, il serait réducteur de ne voir dans cette affaire Karim Wade qu’un procès politique. Il est difficile d’imaginer que l’Etat sénégalais n’a aucune raison objective de le poursuivre en justice au regard de tout ce qui lui était déjà reproché au moment où son père était encore à la tête de l’Etat. Ne dit-on pas qu’il n’y a pas de fumée sans feu ? La gestion du sommet de l’Organisation de la Conférence islamique au Sénégal par Karim Wade était déjà décriée du temps de la présidence de Wade. Le président Macky Sall, alors Président de l’Assemblée nationale, aura connu une traversée du désert pour avoir osé exiger la transparence dans la gestion de Wade fils. C’est en cela que les poursuites actuelles contre Karim Wade ne peuvent pas être mises seulement sur le compte de mobiles politiciens. Ces poursuites sont une sorte de suite logique des comptes jadis réclamés. Karim Wade avait pu échapper à son devoir de reddition de comptes en son temps juste parce qu’il était « fort », parce que son président de père le protégeait.
Certes, selon toute vraisemblance, cette décision de la Justice française apporte de l’eau au moulin des partisans de Karim Wade. Mais bien des gens s’interrogent sur la crédibilité de ce non-lieu. Il est de notoriété publique que les Occidentaux prennent généralement fait et cause pour leurs compatriotes et ne ménagent aucun effort pour les tirer des mailles de la Justice pour des faits répréhensibles qu’ils commettent en Afrique notamment. Ce sentiment a été renforcé par l’affaire de l’Arche de Zoé au Tchad où le président Sarkozy avait laissé entendre qu’il irait chercher ses compatriotes « où qu’ils soient et quoi qu’ils aient fait » avant de mettre à exécution son projet. Cette propension des autorités occidentales à défendre et protéger leurs compatriotes par tous les moyens, et partout où ils sont, est peut-être une bonne chose. Mais elle peut aussi cacher bien des dérapages. Cela fait qu’il est permis d’émettre des réserves, de douter de la crédibilité de cette décision de la Justice française.
Il faudra espérer que la dimension politique de ce dossier ne prenne pas le pas sur l’aspect judiciaire
De plus, on imagine bien le lobbying qu’a dû faire Abdoulaye Wade auprès de ses « amis » français pour que cette plainte introduite par le gouvernement de son successeur à la tête de l’Etat sénégalais soit classée sans suite. Il n’aurait pas manqué d’argument à cet effet. On sait qu’il dénonce dans cette affaire une chasse aux sorcières contre son fils et d’autres anciens dignitaires de son régime. Il avait des chances de trouver une oreille attentive à sa plaidoirie en France en ce sens que si d’aventure les détournements étaient avérés, nul doute qu’une partie des fonds a été investie en France. Dans ce cas de figure et au regard du fait que toute autre décision de la justice française aurait pu déboucher sur une restitution de biens à l’Etat sénégalais, qui se ferait au détriment de la France, on imagine bien la possibilité que les autorités françaises aient pu succomber à la tentation de ne rien faire qui mette en danger le patrimoine de Karim Wade dans l’Hexagone et d’aller par voie de conséquence dans le sens de sa protection.
Reste à savoir quelle incidence ce classement sans suite de la plainte de l’Etat sénégalais par la Justice française pourra avoir sur la procédure contre Karim Wade devant la CREI au Sénégal. Cette décision de la Justice française pourra-t-elle occasionner la relaxe de Karim Wade au Sénégal ? Il est permis d’en douter tant les accusations qui pèsent sur l’ « ex-ministre du ciel et de la terre » sont énormes. Tout porte à croire que les autorités sénégalaises savent de quoi elles parlent, qu’elles ont des preuves de ce qu’elles avancent dans ce dossier. Il faudra juste espérer que la dimension politique de ce dossier ne prenne pas le pas sur l’aspect purement judiciaire et croiser les doigts pour que justice soit rendue au peuple sénégalais avec le plus de transparence possible et sur la base de preuves matérielles irréfragables.
« Le Pays »