LUTTE CONTRE EBOLA : Plan Marshall ou plan politique ?
Donner l’assaut final à Ebola dans les pays d’Afrique les plus touchés par le virus ; c’est le sens qu’il faut donner à la rencontre qui se tient depuis mardi à Bruxelles, entre les chefs d’Etat du Libéria, de la Sierra Léone, de la Guinée et l’Union européenne (UE). Ellen Johnson Sirleaf et ses deux camarades souhaitent que l’UE mette en place un plan Marshall destiné à aider leurs pays à redresser leurs économies, afin de leur permettre de gagner de façon irréversible la guerre contre Ebola. Il est vrai que la lutte contre Ebola est une véritable guerre à l’échelle mondiale et c’est aussi pourquoi on peut dire que ces trois chefs d’Etat qui sont sur la ligne de front, donc directement aux prises avec l’ennemi, sont venus chercher auprès de l’UE, le nerf de la guerre. La présidente du Libéria, qui a été chargée de transmettre les doléances du groupe, a souligné que l’épidémie avait grandement déstabilisé leurs pays, les « obligeant à fermer leurs frontières, les écoles, les fermes, les marchés et les routes. »Toutes choses qui n’ont pas manqué de faire fuir les investisseurs étrangers et les opérateurs économiques nationaux.
Certains chefs d’Etat africains sont passés maîtres dans l’art de se servir de la souffrance de leur peuple pour émouvoir le contribuable européen
Mais de là à demander la mise en place d’un plan Marshall, alors que l’ennemi n’a même pas encore capitulé, peut laisser sceptiques certaines personnes qui ne comprendraient pas du tout la démarche des trois chefs d’Etat africains. En général, le recours à un plan Marshall vise à aider un pays qui vient de sortir d’une guerre, à redresser son économie et à remettre le pays sur les rails du développement. Dans le cas de la lutte contre Ebola, si on peut admettre que le mal a beaucoup reculé, il semble encore prématuré de commencer à crier victoire. Cela est d’autant vrai que dans ces trois pays et aussi dans le bassin du Congo, des poches de résistance existent encore et exigent de la part des autorités de ces pays, davantage de vigilance et de détermination pour contenir le virus et éviter qu’il ne connaisse de nouveaux développements. D’où vient alors cette idée de plan Marshall qui tend à virer à l’obsession ? A force de demander un plan Marshall avant même la fin de la guerre, on pourrait être amené à penser à un plan alibi. On ne peut pas s’empêcher d’y penser, dans la mesure où il est notoire que certains chefs d’Etat africains sont passés maîtres dans l’art de se servir de la souffrance de leur peuple pour émouvoir le contribuable européen et mobiliser des sommes colossales qui vont, en fin de compte, garnir leurs comptes en banque, plutôt que de soulager la souffrance des pauvres populations. Le Mali de Ibrahim Boubakar Kéita est, en cela, un triste exemple que les bailleurs de fonds occidentaux ne sont pas prêts d’oublier, depuis cette rocambolesque histoire d’avion présidentiel acquis à coup de milliards de francs CFA siphonnés dans l’aide fournie par le FMI.
Cela dit, on peut bien penser que l’UE ne fermera pas son cœur au cri de ces trois présidents. Il faut toujours accorder le bénéfice du doute, quitte à prendre des précautions pour éviter que le cas du Mali ne se répète dans ces trois pays. L’Union européenne déliera le cordon de la bourse, car elle sait qu’on ne gagne pas une guerre contre un ennemi comme Ebola, avec seulement du courage et des slogans.
Le cri de cœur de ces trois chefs d’Etat est fondé
En attendant donc que ces trois compères montrent patte blanche dans la gestion de l’argent que Bruxelles voudra bien leur « confier » pour redresser leurs économies, il convient de reconnaître la justesse de la démarche de ce trio de chefs d’Etat. Il faut même féliciter ces trois chefs d’Etat pour avoir eu, une fois n’est pas coutume, le sens de l’anticipation et avoir pris l’initiative pour commencer à redresser leurs économies, afin que les survivants de l’épidémie ne meurent pas finalement des séquelles profondes que cette maladie aura laissées sur les économies nationales. Car gagner la guerre contre Ebola, c’est aussi réussir à éradiquer totalement les effets pervers de cette maladie sur la vie des populations. Quelle différence y a-t-il pour un homme qui meurt du fait de la fièvre hémorragique et celui qui meurt à cause de la misère provoquée par sa perte d’emploi ? On sait en effet que beaucoup d’employés du secteur privé perdent leurs emplois à cause du ralentissement de l’activité économique provoqué par la maladie à virus Ebola. Et ces nouveaux chômeurs représentent « une perte de revenus pour leurs familles ». Du reste, comme l’a reconnu Ana Revenga, directrice générale du pôle pauvreté de la Banque mondiale, Ebola a des conséquences socioéconomiques qui « mettent en péril la prospérité actuelle et future des ménages du Libéria, de Sierra Leone et de la Guinée.» En dehors du secteur économique dont aucun compartiment n’est épargné, on ne peut pas passer sous silence l’insécurité alimentaire qui commence à devenir chronique dans ces trois pays frappés de plein fouet par Ebola. C’est dire donc que l’appauvrissement des populations des trois pays est autant une tragédie que les ravages sur le plan sanitaire. Au regard de ces réalités, le cri de cœur de ces trois chefs d’Etat en direction de l’UE est tout à fait fondé. A la limite, ils auraient dû bénéficier de l’appui moral de l’Union africaine (UA), à défaut d’en avoir été l’initiatrice. L’UA manque là, une vraie opportunité de redorer son blason auprès des populations africaines, surtout après les critiques et la réprobation générale qu’avait suscitées son entrée en scène tardive dans la lutte contre cette épidémie. L’UE et d’une manière générale le monde occidental y compris la Chine et Cuba dont l’aide a été déterminante pour les résultats obtenus jusque-là, sont sans doute à féliciter, pour avoir appliqué dans les faits, un véritable plan Marshall pour sauver l’Afrique de l’épidémie, avant même les atermoiements des présidents.
« Le Pays »