HomeA la uneLUTTE CONTRE LE TERRORISME AU BURKINA FASO : Doit-on vraiment compter sur la France ?

LUTTE CONTRE LE TERRORISME AU BURKINA FASO : Doit-on vraiment compter sur la France ?


 

Après Bamako, c’est à Ouagadougou que le Premier ministre français est venu achever sa mini-tournée africaine le 20 février dernier. Au menu des échanges avec les autorités burkinabè, il y avait les questions liées au développement et à la sécurité, et plus globalement à la lutte contre le terrorisme dans la bande sahélo-saharienne. Il faut rappeler que cette visite intervient un peu plus d’un mois après les premières attaques terroristes perpétrées en plein cœur de la capitale burkinabè, avec comme cible principale le café-restaurant le Cappuccino connu pour être l’un des endroits les plus prisés des expatriés. Le nombre des assaillants vraisemblablement téléguidés par AQMI, avait soulevé la polémique entre les autorités burkinabè et le Premier ministre français Manuel Valls, ce dernier ayant annoncé la présence dans le triangle de la mort en ce vendredi 15 janvier 2016 (Cappuccino-Splendid-Taxi brousse), de six djihadistes dont trois auraient survécu à l’assaut des forces de sécurité et se seraient fondus dans la nature. Il n’en fallait pas davantage pour que le « trouillomètre » atteigne la côte d’alerte dans les rues de la capitale burkinabè, et ne mettre à rude épreuve les discours rassurants de nos autorités qui faisaient état de l’aventure suicidaire de trois terroristes à Ouagadougou, qui ont tous été massacrés au petit matin du 16 janvier. Dans la foulée, des sources officielles burkinabè avaient annoncé une visite compassionnelle de Manuel Valls au Burkina au lendemain même de l’attentat, mais l’information avait été rapidement démentie par l’ambassadeur de France, Gilles Thibaut. Ce report, ajouté à la bourde communicationnelle de Valls sur le nombre des terroristes, avait, comme il fallait s’y attendre, déplu aux Burkinabè qui y ont vu une technique bien rodée de la France pour faire accepter la nécessité de la présence sur le sol du Faso, des forces spéciales françaises, véritable rempart contre l’invasion du pays par les terroristes qui plastronnent dans le Nord du Mali voisin. Est-ce pour rectifier le tir que le Premier ministre Valls s’est résolu à venir visiter les lieux du crime,  plus d’un mois après sa commission ? Ou est-ce un prétexte tout trouvé par la diplomatie française pour (re)dire aux nouvelles autorités du Burkina le soutien indéfectible de l’Hexagone, surtout que le « grand Satan », pardon, le grand rival américain fait feu de tout bois pour être dans les grâces des Burkinabè, depuis la crise née de la volonté de l’ex-président Blaise Compaoré de se « mougabiser » au pouvoir ? Il y a sans doute un peu de tout cela, même si la raison officielle de ce détour par Ouagadougou de Manuel Valls est axée sur des questions de coopération et de développement économique, et, évidemment, sur la sécurité du Burkina et de la sous-région. Sur ces différents points, le moins qu’on puisse dire est qu’il n’y a pas eu d’annonces spectaculaires, et les 9 millions d’euros d’aide au développement promis au pays des Hommes intègres par la coopération française sont perçus comme une pluie avortée dans un pays sahélien.

Il va falloir repenser la politique de sécurisation de notre pays

Bref, il n’y a véritablement pas eu de quoi se mettre sous la dent sur le plan de la coopération bilatérale, à part ces discours devenus redondants sur la sécurité et sur l’impérieuse nécessité de fédérer ou de mutualiser les efforts pour vaincre le terrorisme. Comment d’ailleurs vaincre militairement ce fléau, quand on sait qu’à chaque fois que la pelouse est tondue (la liquidation des chefs islamistes), le gazon a repoussé aussitôt après (de nouvelles têtes surgissent) ? C’est le lieu de dire au président Roch Marc Christian Kaboré qu’il veut appliquer une mauvaise thérapie à un mal insidieux, en pensant qu’en recevant de la France des hélicoptères qui voltigeront en permanence dans le ciel du sahel burkinabè, les nervis de Bel Moctar ou de Hammadoum Koufa s’éloigneront de notre pays. Après tout, il y a autant de soldats portant des casques de toutes les couleurs que de simples citoyens actuellement dans le Nord du Mali, mais les groupes terroristes n’en ont cure, et s’adonnent même à leurs activités criminelles à cœur joie. Il va falloir donc repenser la politique de sécurisation de notre pays, en se posant la question de savoir si nous devons vraiment compter sur la France pour notre protection, au regard de l’incapacité de cette dernière à ramener la paix chez le voisin malien, et à « museler » ses propres terroristes qui ont poussé l’outrecuidance jusqu’à aller frapper le cœur de sa capitale, Paris. En vérité, la sécurité dont parlent les autorités françaises à l’occasion de leurs déplacements extérieurs, n’est ni plus ni moins que la sécurité des intérêts économiques de la Métropole, et c’est hallucinant que les Africains continuent de se laisser berner sur ce sujet, plus de cinquante ans après les indépendances. Il faut être en effet « tridimensionnellement borné » pour croire qu’on peut convaincre la jeunesse burkinabè et africaine, désœuvrée et démunie, de ne pas se laisser séduire par les discours lénifiants des terroristes et autres criminels, en leur proposant des mesures sécuritaires avec des chars et des chasseurs dont les frais d’entretien et de consommation en carburant ne peuvent pas être révélés à ceux qu’ils sont censés protéger, au risque de créer les conditions d’une révolte. Alors, que faut-il faire pour espérer remporter, à moyen ou à long termes, la victoire sur les ennemis de la paix et de la démocratie, comme les appelle Manuels Valls ? Nous pensons qu’il faut mettre l’accent sur des actions de développement endogène, en construisant dans nos villages des retenues d’eau et en vulgarisant les cultures de contre-saison, pour non seulement occuper les jeunes ruraux, mais aussi pour désengorger nos villes qui sont en train de secréter de plus en plus des aigris et des marginaux qui n’hésiteront pas un seul instant à basculer dans la violence et le terrorisme, pour se venger du monde. Il y a également une multitude de microprojets qui pourraient concourir à la solution, et les moyens pour les mettre en place pourraient provenir de nous-mêmes ou de la coopération bi ou multilatérale, avec des conditions qui ne feront pas prévaloir des clichés réducteurs et condescendants. Manuel Valls, très en verve samedi dernier face à la presse, a déclaré que « L’Afrique est le continent de l’avenir ». Malheureusement, peu sont les dirigeants africains qui admettent cette réalité et préfèrent attendre le soutien paternaliste et toujours intéressé de la France au lieu de développer des initiatives salvatrices pour le développement et la sécurité de leurs pays. Fort heureusement, la jeunesse africaine est de plus en plus clairvoyante et avisée, et accepte de moins en moins le déséquilibre de la relation franco-africaine qui constitue, il faut bien le dire, le lit du sentiment anti-français qui se développe un peu partout en Afrique. Cela dit, c’est une bonne chose que de prôner le renforcement de la coopération militaire et économique entre la France et le Burkina Faso, mais on devrait privilégier le développement de notre pays avec nos propres moyens et surtout, mettre l’accent sur l’éveil des consciences à travers la scolarisation et l’alphabétisation, car ils constituent de véritables adjuvants dans la lutte contre l’insécurité en ce sens qu’ils évitent aux franges paupérisées de notre population de se laisser manipuler par « les forces du mal ».

Hamadou GADIAGA en collaboration avec Vita/Afro-line (Italie)


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