HomeA la uneMAIN TENDUE DU POUVOIR IVOIRIEN AUX REFUGIES : Rentrer ou ne pas rentrer, c’est au choix

MAIN TENDUE DU POUVOIR IVOIRIEN AUX REFUGIES : Rentrer ou ne pas rentrer, c’est au choix


Dans le but de donner un coup de fouet au processus de réconciliation nationale visiblement grippé, le pouvoir d’Abidjan a entrepris une démarche en faveur des réfugiés ivoiriens dans certains pays de la sous- région, afin de les exhorter à retourner au bercail. Si au Liberia, l’émissaire du président Alassane Dramane Ouattara (ADO) a pu rencontrer les réfugiés ivoiriens et échanger avec eux, au Ghana, les choses ne se sont pas passées comme prévu. Et c’est un euphémisme de le dire. Car, la ministre de la solidarité nationale, Mariétou Koné puisque c’est d’elle qu’il s’agit, a dû battre précipitamment en retraite pour ne pas subir la furie de ses hôtes d’un jour, visiblement très remontés contre les autorités d’Abidjan. Si fait qu’elle n’a même pas pu approcher des camps qu’elle devait visiter.

Visiblement, la blessure est profonde et la fracture paraît abyssale

Et pour cause, les exilés pro-Gbagbo disent ne pas croire en la réconciliation nationale et certains craignent même d’être jetés en prison à leur retour au pays, à l’instar de certains de leurs camarades dont ils déplorent l’incarcération après leur retour en Eburnie. « Certains réfugiés ont quitté le Ghana pour rentrer en Côte d’Ivoire. Ils sont allés en prison », affirme l’un d’eux, qui poursuit : « Il faudrait que le président Gbagbo soit libéré et que tous les prisonniers politiques soient aussi libérés. S’il n’y a pas ça, on ne peut pas rentrer chez nous ». Le moins que l’on puisse dire, c’est que plus de cinq ans après le dénouement de la crise postélectorale ivoirienne, les ressentiments demeurent tenaces. Visiblement, la blessure est profonde et la fracture paraît abyssale. Mais quand on se rend compte que sur près de 300 000 qu’ils étaient en 2011, il ne reste qu’environ 50 000 réfugiés aujourd’hui, l’on peut dire que des efforts certains ont été faits dans le but de rapprocher les Ivoiriens pour essayer de refermer cette parenthèse douloureuse de leur histoire. Mais l’on est aussi porté à croire que ce sont les purs et durs du camp Gbagbo, parmi ces réfugiés, qui renâclent à rentrer au pays si leur mentor n’est pas élargi, ainsi que tous les autres prisonniers politiques. En mettant la barre aussi haut, la question que l’on pourrait se poser est de savoir si ces réfugiés  ne se reprochent pas quelque chose ou s’ils sont réellement prêts à donner une chance à la réconciliation. Difficile de répondre à une telle question. Mais l’on peut être porté à croire que leur attitude est quelque part guidée par la haine viscérale qu’ils éprouvent à l’endroit du successeur de leur mentor au palais de Cocody. Quoi qu’il en soit, cette soupe à la grimace faite à la ministre Koné est encore la preuve que la douleur de ces exilés est intense et que la rancœur ronge profondément le cœur de certains Ivoiriens, toute chose qui n’offre pratiquement aucune chance de réussite à la mission gouvernementale. Mais, l’essentiel, pour le pouvoir ivoirien, c’est d’avoir tendu la main. La communauté internationale sait désormais que la Côte d’Ivoire prend le parti de la réconciliation envers ces gens-là. Le pouvoir ivoirien a fait ce qu’il avait à faire. Maintenant, rentrer ou ne pas rentrer, c’est au choix. Car, on ne peut pas obliger quelqu’un à rentrer contre son gré. Dans tous les cas, il n’est jamais facile de vivre en exil. Mais dans le cas d’espèce, l’on peut aisément comprendre que certains de ces exilés ne veuillent pas rentrer au pays parce que le traumatisme de la crise qu’ils ont vécue les a profondément marqués. D’autres, peut-être, parce qu’ils ont trouvé mieux ou se sont bien intégrés dans leur nouveau milieu ; d’autres enfin pour des raisons politiques. En tout état de cause, le pouvoir ivoirien se trouve pris entre l’enclume de la réconciliation nationale et le marteau de la justice, dans sa volonté d’aller à un apaisement des cœurs sans pour autant  laisser des crimes impunis. Mais encore faut-il que la Justice elle-même se montre à la hauteur des défis qui sont les siens, en ne donnant pas l’impression, comme c’est malheureusement le cas jusque-là, de s’acharner uniquement sur le camp des vaincus. Comment demander à des exilés de rentrer au pays quand ils voient le calvaire de leurs camarades restés au pays ou rentrés d’exil ?

ADO doit changer son fusil d’épaule en ce qui concerne la Justice dans son pays

Même si l’on peut se convaincre que l’esprit du gouvernement ivoirien n’est pas d’entraîner ces exilés dans un piège à cons,  ADO serait plus crédible dans sa démarche s’il commençait à faire aussi le ménage dans ses propres rangs, en faisant comparaître certains de ses partisans qui ont joué un rôle néfaste dans cette crise. En tout cas, plus de cinq ans après les événements, l’on n’a pas encore vu un seul poids lourd du camp Ouattara à la barre pour répondre de quoi que ce soit. Au contraire, on juge et on rejuge dans le même camp, à l’image de l’ex-Première dame qui, après avoir été mangée comme de l’agouti à la sauce placali en écopant de 20 ans de prison dans un premier procès, attend de savoir avec quels épices elle sera assaisonnée et à quelle autre sauce elle sera  mangée dans le nouveau procès qui s’est ouvert contre elle. Pourtant, tout le monde est d’avis que tous les 3 000 morts de cette crise ne sont pas imputables au seul camp Gbagbo. Au-delà donc des gestes symboliques, le président ADO doit changer son fusil d’épaule en ce qui concerne la Justice dans son pays, s’il veut donner une véritable chance à la réconciliation. Autrement, tous ses efforts risquent d’être perçus comme  de la poudre aux yeux, destinés uniquement  à se donner bonne conscience. Dans ces conditions, l’on ne serait pas surpris que cette crise survive même à son deuxième mandat, et que tout cela contribue finalement à rendre la question de sa succession encore plus difficile, avec cette épineuse question de la réconciliation qu’il traîne sans solution, un peu comme un chien traîne une plaie béante au milieu de son front, qu’il ne peut lécher.

 

« Le Pays »


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