MEDIATION ALGERIENNE DANS LA CRISE NIGERIENNE : Une épine dans le pied de la CEDEAO ?
Deux mois après le coup d’Etat qui a renversé le président Mohamed Bazoum au Niger, les lignes d’une option diplomatique de sortie de crise commencent à se dessiner. Et ce, au moment où l’option militaire qui reste toujours théoriquement sur la table de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), n’est pas loin d’être renvoyée aux calendes grecques. Toujours est-il que sur le plan diplomatique, la lumière semble venir de l’Algérie dont le ministère des Affaires étrangères a affirmé, le 2 octobre dernier, avoir reçu de Niamey, une notification d’acceptation de sa médiation « visant à promouvoir une solution politique à la crise au Niger ». Une annonce qui vient comme une éclaircie dans l’épais brouillard qui entourait jusque-là la transition nigérienne, avec une junte militaire décidée à assumer son coup de force malgré le feu croisé des dures sanctions de la CEDEAO qui ne jurait que par le rétablissement hic et nunc de Mohamed Bazoum dans ses fonctions et la pression de la communauté internationale appelant au rétablissement de l’ordre constitutionnel dans les meilleurs délais.
La CEDEAO entend rester au cœur des discussions de sortie de crise
Mais cette offre de médiation sonne comme un désaveu de la CEDEAO qui a visiblement battu en retraite dans sa volonté d’intervention militaire pour remettre Bazoum sur son trône, mais qui n’entend certainement pas être mise sur la touche dans une crise où elle est montée la première au créneau pour jouer les chevaliers de la démocratie dans une sous-région en pleine contagion putschiste. Et les récriminations de l’organisation sous-régionale contre Alger vont des plaintes parce que « l’Algérie n’est pas membre de la CEDEAO » au fait qu’ « elle ne nous a pas consulté dans les détails ». De là à se demander si cette médiation algérienne n’est pas une épine dans le pied de la CEDEAO, il y a un pas que l’on pourrait vite franchir. Et pour cause. Primo, cette crise consécutive à l’interruption de l’ordre constitutionnel, est la énième du genre qui intervient dans l’espace communautaire et pour la CEDEAO, il lui revient légitimement de jouer les gendarmes de la démocratie dans son espace géographique. Et en cela, elle est dans son rôle. A ce titre, il y a donc autant de raisons de croire qu’elle entend rester au cœur des discussions de sortie de crise qu’elle a pris des sanctions contre les tombeurs de Mohamed Bazoum, comme cela a été le cas avec le Mali, la Guinée et le Burkina Faso, trois transitions surveillées comme du lait sur le feu par l’institution d’Abuja. Secundo, avant même de se voir confier l’initiative de cette médiation qui ne manquera pas de faire ombrage à la CEDEAO, l’Algérie avait clairement exprimé son opposition à toute utilisation de la force pour le rétablissement de l’ordre constitutionnel au Niger, alors que la CEDEAO n’a pas encore officiellement rangé au placard son option militaire.
Au-delà de la CEDEAO, le pays de Mohamed Tebboune joue gros sa crédibilité
Tertio, dans son offre de médiation, l’Algérie envisageait une transition de six mois, conduite par une autorité civile consensuelle pour le retour à l’ordre constitutionnel, au moment où la CEDEAO s’activait de son côté en coulisses pour trouver une issue négociée à la crise. Mais en portant son choix sur Alger tout en indiquant que la durée de la transition serait uniquement fixée par un « forum national inclusif », on se demande si, au-delà du pied de nez fait à la CEDEAO, la junte au pouvoir à Niamey n’est pas déjà en train de baliser le terrain. Car, de Bamako à Ouagadougou en passant par Conakry, l’expérience à suffisamment montré ce sur quoi débouchent généralement ces genres d’assisses. C’est pourquoi, autant cette médiation algérienne permet de donner un peu plus de lisibilité à la trajectoire de la transition nigérienne, autant on peut se poser des questions sur ses chances de succès. Surtout si la CEDEAO se trouvait totalement écartée des discussions et devait in fine se poser en obstacle à ses conclusions, au moment où ses sanctions sont en train de peser lourdement sur le peuple nigérien. Au-delà, cette médiation hors de l’espace sous-régional, est un scénario inhabituel qui pourrait constituer un précédent susceptible de remettre en cause le leadership de l’institution d’Abuja dans la zone communautaire. Une CEDEAO qui croyait pourtant trouver dans le coup d’Etat au Niger, l’occasion de réaffirmer son autorité et de redorer son blason dans son espace géographique. En tout état de cause, maintenant que les dés sont jetés, on attend de voir quelle forme prendront les discussions. Mais tout porte à croire qu’au-delà de la CEDEAO, le pays de Mohamed Tebboune joue gros sa crédibilité. Car, ce qui paraît aujourd’hui un désaveu de la CEDEAO, peut se muer en un camouflet pour Alger si les militaires de Niamey doivent continuer à dicter leurs conditions en fixant des lignes rouges à ne pas franchir, comme celle de la durée de la transition.
« Le Pays »