HomeA la uneMEDIATION DE L’EGLISE CATHOLIQUE EN RDC : L’Evangile sera-t-il entendu ?

MEDIATION DE L’EGLISE CATHOLIQUE EN RDC : L’Evangile sera-t-il entendu ?


 

L’atmosphère sociopolitique en RDC est très lourde. Et les raisons sont connues de tous. De ce fait, le danger rôde et l’on peut craindre, à tout moment, le pire. Ce sentiment est d’autant plus justifié que ce pays a la réputation d’avoir un passé caractérisé par la violence en politique. Face à cela, l’UA (Union africaine), et c’est assez rare pour être souligné, a voulu faire dans la prévention en dépêchant sur les bords du fleuve Congo, un facilitateur, en la personne de l’ancien Premier ministre togolais, Edem Kodjo, à l’effet de sauver la situation par le dialogue. Seulement, la personnalité de ce dernier pose problème. L’opposition le soupçonne d’être venu en RDC pour prêcher en faveur de la chapelle de Joseph Kabila. Résultat : le facilitateur de l’UA est récusé par notamment l’UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social) de l’opposant historique Etienne Tshisekedi. Du même coup, c’est le dialogue qui s’en trouve bloqué. C’est dans ce contexte que l’Eglise catholique a proposé ses bons offices entre majorité et opposition afin de permettre au dialogue politique de se tenir.

Les évêques ne manqueront pas de s’arracher les cheveux et de mouiller la soutane

Dans ce cadre, les évêques de la conférence épiscopale ont rencontré, le 10 août dernier, le facilitateur de l’UA, Edem Kodjo, à qui ils ont promis leur appui pour la tenue effective du dialogue. Le même jour, les hommes d’Eglise ont rencontré une délégation du G7. Hier, 11 août, les évêques devraient rencontrer la majorité et les autres composantes de la coalition anti-Kabila, l’UDPS et la dynamique de l’opposition. C’est donc au pas de course que l’Eglise catholique a entamé sa médiation. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’elle a du pain sur la planche et qu’elle aura besoin de toute l’assistance de l’Esprit-saint pour parvenir à embarquer tout le monde dans le train du dialogue. Et pour cause : celui-ci coince sur deux points essentiels : il y a d’abord le fait que l’opposition radicale a le cœur au bord des lèvres, rien qu’à la vue du  facilitateur de l’UA, Edem Kodjo. Ce dernier, on se rappelle, avait été qualifié à tort ou à raison, de « Kabiliste » par Etienne Tshisekedi Wa Muluba. Or, il se trouve que le Monsieur bons offices de l’UA n’entend pas rendre le tablier, en dépit de l’ire du patriarche. En des termes qui ne souffrent d’aucune ambiguïté, il l’a signifié à qui veut l’entendre, en martelant ceci : « Je ne vais pas démissionner et je n’en ai pas l’intention. Ceux qui m’ont mandaté m’ont renouvelé leur confiance et je reçois tous les jours de larges tranches de la société civile, et même des partis politiques, des corps diplomatiques ». De ce qui précède, l’on peut en déduire que les évêques ne manqueront pas de s’arracher les cheveux et de mouiller la soutane pour réussir à faire accepter le diplomate togolais par l’opposition radicale. L’Eglise réussira-t-elle à ménager la chèvre et le chou ? On attend de voir. Ensuite, le deuxième point essentiel sur lequel bloque le dialogue porte sur les mesures censées apaiser le climat politique. Elles se déclinent comme suit : libération des prisonniers politiques, fin des poursuites contre des opposants comme Moïse Katumbi, réouverture des médias fermés par le gouvernement. Concernant cette panoplie de mesures qui, faut-il le rappeler, ont été demandées non seulement par l’ensemble de l’opposition, mais aussi par d’autres acteurs comme la communauté internationale, Edem Kodjo dit avoir évoqué la question avec le ministre de la Justice et espère une suite favorable. Mais le problème dans le problème, si l’on peut s’exprimer ainsi, pourrait résider dans le fait que majorité et opposition risquent de ne pas s’entendre sur le contenu sémantique à apporter à l’expression « prisonniers politiques ». De ce point de vue, la probabilité est forte que les partisans de Joseph Kabila se refusent systématiquement et avec force, à accorder ce qualificatif à bien des personnes qui se retrouvent aujourd’hui derrière les barreaux. Pour la fin des poursuites contre certains opposant comme Moïse Katumbi, le patron du « Tout puissant Mazembé », là aussi, le pouvoir pourrait s’abriter derrière le principe de l’indépendance de la Justice, même si en RDC, ce principe n’a jamais existé, pour dégager sa responsabilité quant aux ennuis judiciaires actuels de l’ancien gouverneur du Katanga. Tous ces éléments constituent des tournants dangereux que l’Eglise doit savoir aborder dans l’hypothèse où tous les acteurs donneraient une suite favorable à la médiation qu’elle a entreprise.

L’on peut s’attendre à ce que l’Eglise ne change pas de paradigme à l’occasion de la présente médiation

Mais le plus grand challenge pour celle-ci, pourrait consister à convaincre Etienne Tshsisekedi de souscrire à un dialogue politique piloté par Edem Kodjo et qui ne poserait pas comme préalable la garantie que Kabila fils n’est pas concerné par la présidentielle à venir. Si le vieux obtient la certitude que celui qu’il a toujours accusé de lui avoir volé la victoire à la présidentielle de 2011, ne va pas rempiler en  2016, l’on peut s’attendre à  ce qu’il soit disposé, par exemple, à tolérer un éventuel petit glissement électoral. Or, seul Joseph Kabila, dont on sait qu’il est taiseux devant l’Eternel, peut apporter cette clarification. Le fera-t-il pour décrisper le climat politique et permettre aux Congolais d’aborder sa succession dans la sérénité ? L’on croise les doigts. En tout cas, l’Eglise catholique congolaise dont la posture, de par le passé, a toujours été d’avoir pris fait et cause pour le peuple et qui, de ce fait, n’a jamais plié l’échine devant la dictature, n’a pas le droit de déroger à cette tradition au risque de perdre tout le crédit que les Congolais ont pour elle. De ce point de vue, l’on peut s’attendre à ce qu’elle ne change pas de paradigme à l’occasion de la présente médiation, quitte à froisser les partisans du pouvoir. Mais dans le même temps, l’Eglise dont on connaît aussi le souci de l’équilibre et la force de négociation, pourrait obtenir de l’opposition qu’elle fasse des concessions à Joseph Kabila, au cas où il accepterait volontiers de se retirer, de sorte à ce qu’il ne perde pas la face. La grande question que l’on pourrait se poser dans l’hypothèse où l’Eglise prêcherait cet évangile, est de savoir si celui-ci sera entendu.

« Le Pays »


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