HomeBaromètreMISE EN ACCUSATION DES EX-DIRIGEANTS : « L’ex-majorité s’est-elle fourré le doigt dans l’œil » ?

MISE EN ACCUSATION DES EX-DIRIGEANTS : « L’ex-majorité s’est-elle fourré le doigt dans l’œil » ?


On le sait, le Conseil constitutionnel vient de se déclarer incompétent sur la saisine relative aux résolutions de mise en accusation de Blaise Compaoré. Ce qui pousse l’auteur des lignes qui suivent à se demander si l’ex-majorité ne s’est pas finalement fourré le doigt dans l’œil en soumettant cette requête à l’appréciation du Conseil constitutionnel. Lisez donc !

 

En choisissant de rendre public, par voie de presse, ses «avis juridiques» relatifs aux requêtes à lui soumises par des députés de l’ex-majorité au pouvoir, le Conseil constitutionnel n’a pas seulement sacrifié à une exigence de reddition de comptes. Cette haute juridiction a, par la même occasion, permis au grand public de découvrir les arguments et donc les raisons qui ont amené «Monsieur Séré Adama et huit autres députés du Conseil national de la transition (CNT), tous membres du groupe parlementaire de l’Alliance pour la République et la démocratie (ARD)», à demander au Conseil constitutionnel de déclarer «inconstitutionnelles», les résolutions de mise en accusation de tous les membres du dernier gouvernement de Blaise Compaoré ainsi que des dispositions de la loi organique portant composition et fonctionnement de la Haute Cour de Justice et de la procédure applicable devant elle. Il suffit de lire entre les lignes du document largement publié les 10 et 11 août derniers par les journaux, pour se rendre compte de l’imposture des députés de l’ex-majorité.

En effet, c’est le 23 juillet dernier que neuf députés de l’ex-majorité, siégeant régulièrement au CNT depuis le début de la Transition, ont saisi le Conseil constitutionnel aux fins de déclarer d’une part, l’«inconstitutionnalité de la résolution de mise en accusation de l’ancien président Blaise Compaoré», et d’autre part l’«inconstitutionnalité» des dispositions de la loi organique n°20/95/ADP du 16 mai 1995 portant composition et fonctionnement de la Haute Cour de Justice et procédure applicable devant elle, modifiée par la loi organique n°17/2015/CNT du 21 mai 2015. Rien d’anormal dans cette démarche qui est d’ailleurs consacrée par les articles 152 et 157 de la Constitution qui stipulent qu’un «dixième (1/10) au moins des membres de l’Assemblée nationale» peut saisir le Conseil constitutionnel. Pour la prospérité du droit de «saisir le Conseil Constitutionnel» -dont le sieur Séré Adama et ses huit collègues du groupe parlementaire ARD ont usé-, il aurait fallu que celui-ci tire sa substance, sa légalité et sa légitimité de l’alinéa 1 de l’article 12 de la Charte de la transition. Curieusement, ces derniers ont choisi de scier la branche sur laquelle ils sont assis, en se livrant à des arguties juridiques qui frisent de façon manifestement notoire la mauvaise foi.

Pour soutenir leur requête, ils soutiennent maladroitement que «Blaise Compaoré et les membres de son gouvernement ne peuvent être mis en accusation que par le vote d’une Assemblée nationale

élue au suffrage universel par l’ensemble du peuple burkinabè et non par des représentants des Organisations de la société civile (OSC), de l’Armée, des insurgés eux-mêmes et des autres formations politiques». Un argument aussi fallacieux que contradictoire avec le fondement même de leur droit à saisir le Conseil constitutionnel. A croire que ces députés-là ont voulu faire feu de tout bois, ignorant qu’ils se brûlent insidieusement les doigts. Comme si le ridicule ne tue pas dans leur groupe, ils feignent de ne pas savoir que parmi les fameux requérants qui soufflent sur la braise contre le CNT, il y a deux membres de l’ARD qui ont bel et bien signé les résolutions de mise en accusation qui ont été adoptées le 22 juillet en séance plénière au Conseil national de la Transition. En plus, deux autres députés «frondeurs» font partie de la Haute Cour de Justice chargée de juger leurs mentors en indélicatesse avec la loi. Toute chose qui les empêche d’être requérants dans une procédure dans laquelle ils sont juges. Et que, sur la base de ces considérations, il est tout à fait indécent de contester une institution dont on est solidairement initiateur, acteur et bénéficiaire.

Pour aller jusqu’au bout de leur volonté de nuire, ces députés-là poussent le bouchon jusqu’à soutenir que la Haute Cour de Justice serait une «juridiction partiale et dépendante » et que la disposition selon laquelle «les arrêts de la Haute Cour de Justice ne sont susceptibles ni d’appel ni de pourvoi en cassation», priverait les «accusés» du «bénéfice du double degré de juridiction» et que cela serait «contraire au principe universel du procès équitable» et violerait «l’article 4 de la Constitution et l’article 14-1 et son alinéa 5 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ratifié par le Burkina Faso». Rien que ça.

Et pourtant, c’est sur le même principe d’impossibilité de bénéficier des largesses du double degré de juridiction que tout le peuple burkinabè a pris acte de l’arrêt de la Cour de Justice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Et cela, en attendant les décisions que le Conseil constitutionnel rendra lorsqu’il sera saisi des recours contre des candidatures des «acteurs de changements anticonstitutionnels» sur le fondement de l’article 23 de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance applicable en la matière. Ainsi l’ex-majorité risque de se faire prendre à son propre piège.

Les conséquences de cette mauvaise manière d’interpréter la constitutionnalité des actes du CNT est de les amener à scier la branche sur laquelle ils sont pourtant confortablement assis au sein de l’organe législatif. Pour eux, le CNT n’est légal et légitime que lorsqu’il leur permet de voter des lois qui les arrangent. Il suffit que l’ex-majorité sente ses intérêts menacés pour qu’elle pousse certains de ses membres tels que les députés de l’ARD à se foutre le doigt dans l’œil.

Heureusement que le Conseil constitutionnel s’est déclaré incompétent pour analyser des requêtes visiblement bidouillées et suffisamment transpirantes de mauvaise foi pour convaincre, un seul instant, une juridiction soucieuse de dire le droit, et rien que le droit.

Ludovic LANKOANDE


Comments
  • se fondant sur leurs arguments de la légitimité du CNT, le conseil constitutionnel devait sur la forme rejeter leur requête au motif qu’ils ne sont pas habilités à le saisir puisque eux ne sont pas démocratiquement élus! à partir du moment où le conseil constitutionnel au regard de leur qualité a décidé recevable leur requête, ils devaient savoir que systématiquement cet argument est d’office rejeté!

    14 août 2015

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