MISE EN EXAMEN DE VINCENT BOLLORE
Peut-on rêver d’une Justice africaine aussi audacieuse ?
Depuis quelques jours, les déboires judiciaires de l’homme d’affaires français, Vincent Bolloré, font les choux gras de la presse. Et pour cause, le lièvre levé par le journal français « Le Monde », s’est révélé un des plus gros, en raison du statut de l’homme et de son influence dans le monde des affaires, principalement en Afrique. En Effet, Vincent Bolloré est un nom qui, sur le continent, évoque un puissant empire économique et financier dont les ramifications se retrouvent dans une quarantaine de pays. L’homme n’est donc pas n’importe qui, puisqu’il a ses entrées dans les palais de bien des têtes couronnées du continent dont on dit que beaucoup lui doivent, d’une façon ou d’une autre, leur accession au pouvoir. En Afrique, il est inimaginable que la Justice puisse importuner un tel « mogo puissant » a fortiori le mettre en examen.
Dans la patrie des droits de l’Homme, nul n’est au-dessus de la loi
Et pourtant, c’est ce qui est arrivé en France où il a été inculpé, le 25 avril dernier, pour « corruption d’agents étrangers», « complicité d’abus de confiance » et « faux et usage de faux » dans l’enquête sur l’obtention, par son groupe, de la gestion des terminaux portuaires en Guinée et au Togo. Et là où l’action de la justice hexagonale force encore plus le respect, c’est que le puissant homme d’affaires est poursuivi pour des faits qui se sont déroulés en Afrique, à des milliers de kilomètres de la France, alors que du côté du Togo et de la Guinée où les faits se seraient déroulés, c’est un silence assourdissant. En attendant de connaître l’épilogue de ce feuilleton judiciaire, l’on peut se féliciter que la Justice française soit allée à la chasse à la courre d’un aussi gros gibier levé par un canard. Si ce n’est pas du culot, cela y ressemble fort. D’autant plus qu’en Afrique, c’est rarement le cas. Du reste, ce n’est pas la première fois qu’une personnalité de haut rang à maille à partir avec la Justice en France. Pas plus tard que le mois dernier, l’ex-chef de l’Etat français, Nicolas Sarkozy, était mis en examen dans le cadre de l’enquête sur le financement présumé de sa campagne présidentielle de 2007 par des fonds libyens. Et simple coïncidence ou hasard de calendrier, c’est le même juge qui est en charge du dossier Sarkozy, qui est appelé à connaître du dossier Bolloré.
Au-delà, cela est la preuve, si besoin en était encore, que dans la patrie des droits de l’Homme, nul n’est au-dessus de la loi et que tous les citoyens sont justiciables au même titre. Cela est à l’honneur de la Justice française qui montre, une fois de plus, que sa réputation n’est pas surfaite. Aussi se surprend-on à se demander si l’on peut rêver d’une Justice africaine aussi audacieuse. En tout cas, le rêve est permis. Surtout quand on voit comment la Justice sud-africaine s’était illustrée dans la gestion du dossier du président soudanais, Omar el Béchir, contre qui un mandat d’arrêt avait été émis par la Cour pénale internationale et qui s’était permis d’effectuer le déplacement de Pretoria pour participer à un sommet de l’Union africaine qu’accueillait le pays de Nelson Mandela. N’eût été l’entregent du chef de l’Etat d’alors, Jacob Zuma, qui avait réussi à faire partir précipitamment son encombrant hôte, la Justice sud-africaine aurait retenu le maître de Khartoum aux fins d’exécuter les mandats
d’arrêt internationaux émis contre lui.
Outre le cas du président soudanais, cette même Justice sud-africaine n’avait pas hésité à condamner le même Zuma, en plein exercice de son mandat, au remboursement des fonds publics indûment utilisés pour la rénovation de sa résidence privée de Nkandla. C’est la preuve que sur le continent, il y a des juges qui ont aussi des couilles.
La Justice, sous nos tropiques, est aux ordres
Malheureusement, à part l’exemple sud-africain qui apparaît, à bien des égards, comme l’exception qui confirme la règle de l’intouchabilité des « hommes puissants » sous nos tropiques, l’Afrique a certainement encore bien du chemin à parcourir avant que le rêve d’une justice aussi audacieuse ne devienne réalité. Et pour cause. Dans la plupart de nos républiques bananières, la collusion jusqu’au sommet de l’Etat entre hommes politiques et milieux des affaires est un secret de Polichinelle. Et cela n’est pas sans conséquence sur la gouvernance politique et économique. Car, bien souvent, tous ces gros bonnets qui gravitent autour du pouvoir, bénéficient, la plupart du temps, d’une « immunité » à toute épreuve, en retour de leur soutien indéfectible au grand Sachem. C’est donc en toute logique qu’aucun juge ne se risquerait à leur chercher noise, à moins de vouloir se faire harakiri. Sauf au cas où l’un de ces barons viendrait à prendre ses distances avec le grand manitou, auquel cas la machine judiciaire et tout son arsenal, est immédiatement mise en branle contre l’infortuné pour sa témérité, à l’effet de lui faire regretter son acte. On l’a vu en RD Congo où, après plusieurs années de relation idyllique avec le président Kabila, Moïse Katumbi, pour avoir voulu lorgner le fauteuil de ce dernier, s’est non seulement attiré des ennuis judiciaires, mais aussi se voit traité « d’étranger » dans son propre pays, au point d’être déclaré indigne de prétendre à la magistrature suprême. Et son cas est loin d’être isolé sur le continent. C’est dire combien la Justice, sous nos tropiques, est aux ordres, contrairement à la Justice française qui ne veut pas se laisser conter fleurette. Et il y a lieu de croire que c’est, entre autres, pour ces raisons que certains Occidentaux se permettent en Afrique, ce qu’ils ne pourraient jamais rêver de faire chez eux. Et Bolloré est loin d’être le seul concerné.
« Le Pays »