MME ANGELINE NEYA/DOUAMBA, DRENA DE LA BOUCLE DU MOUHUON : « Le bon enseignant, c’est celui qui est présent dans sa classe »
Le continuum éducatif est en marche au Burkina Faso. Son application ne se fait pas sans difficulté. Qu’en est-il de son application dans la Boucle du Mouhoun ? Pour en savoir, nous avons rencontré Mme Neya/Douamba Angeline, Directrice régionale de l’Education nationale et de l’alphabétisation de la Boucle du Mouhoun. Avec elle, il a été aussi question des abandons de postes des enseignants, des écoles privées de formation des enseignants, et de la présence massive des enseignantes en ville par rapport au milieu rural.
Le Pays : Comment se porte le continuum éducatif dans la Boucle du Mouhoun ?
Mme Neyal/Douamba Angeline : Assez bien. La mise en œuvre se fait avec beaucoup de difficultés certes, mais tout ira au mieux. Elle se poursuit avec la mise en place progressive du personnel et la réalisation des infrastructures éducatives. Pour cette année scolaire 2015 – 2016, la région compte 178 CEG dont 65 transférés par le MESS au MENA en 2014.
Vous couvrez la plus grande région du Burkina, peut-on avoir une donnée chiffrée de vos effectifs aussi bien au primaire qu’au post-primaire ?
Au niveau du primaire, les 57 circonscriptions d’éducation de base (CEB) totalisent 1 265 écoles primaires dont 154 privées, 5 258 salles de classes, 273 565 élèves (soit 132 724 filles et 140 724 garçons). Ces élèves sont pris en charge par 5 689 enseignants. Le taux brut de scolarisation (TBS) est de 78,4%, comparativement à 83,7% au niveau national.
Au niveau du post-primaire, comme je le disais tantôt, la région compte 178 CEG abritant 582 classes ouvertes et fonctionnelles. 42 591 élèves fréquentent ces CEG (20 003 filles et 22 588 garçons). Nous avons environ 304 professeurs, tous profils confondus, et dans chaque CEG, il y a au moins un surveillant général. La mise en place des économes est en cours : le personnel d’administration et de gestion dont nous disposons n’est pas suffisant et nous n’avons pas non plus un nombre assez important d’enseignants au bureau (CEB, DPENA et DRENA) pour combler ce besoin. Mais une stratégie a été trouvée pour qu’il y ait une personne responsable de la gestion dans les CEG où il n’y a pas d’économe. Ce processus est en cours.
En plus du primaire et du post-primaire, nous avons en charge le préscolaire. A ce niveau, on dénombre 41 structures éducatives, soit 21 centres d’éveil et d’éducation préscolaire (CEEP) et 20 « bisongo » (structures du non formel). L’effectif est de trois mille cent soixante-douze (3 172) apprenants. Le taux de préscolarisation de la région est de 1,7% par rapport à 4% au niveau national.
Le manque de personnel, mais aussi d’infrastructures se pose avec acuité. Comment ces questions peuvent-elles être résolues à votre niveau ?
C’est vrai. Au niveau des infrastructures, nous dénombrons au primaire, en cette année scolaire, six cent soixante-dix-huit (678) classes sous abri précaire. Le Sourou est en tête (202), suivi du Nayala (138) et de la Kossi (136). Au post-primaire, nous avons 27 classes sous abri précaire et 186 bâtiments d’emprunt. Pour ce qui est du personnel enseignant, la moyenne est d’un professeur par CEG, d’où le coût très élevé de la vacation. En 2014-2015, le montant de la vacation s’élevait à plus 350 millions de francs CFA pour la région de la Boucle du Mouhoun.
Si la mise en œuvre du continuum est effective aujourd’hui, c’est vraiment grâce à l’engagement de tous les acteurs : les communautés à la base, les Délégations spéciales et les associations locales de développement, les acteurs déconcentrés du MENA, notamment les chefs de circonscription d’éducation de base (CCEB), les partenaires sociaux. Chaque acteur a joué sa partition pour l’ouverture et la fonctionnalité des établissements post-primaires à travers la recherche de salles, l’installation des élèves, la prise en charge de la vacation.
A ces questions de locaux et de prise en charge de la vacation, s’ajoute celle relative au mobilier, notamment le besoin en tables-bancs. Fort heureusement, nous avons bénéficié de l’appui de la Délégation spéciale régionale qui a mis à la disposition des six (6) DPENA, 1 164 tables-bancs, soit 194 tables-bancs par province. Certaines délégations spéciales communales ont également agit dans ce sens.
Dans certaines régions, des cours ont été suspendus pour non-paiement des heures de vacation ; a-t-on enregistré de tels cas dans la Boucle du Mouhoun ?
Non. Nous n’avons pas connu cette situation puisque les communautés, à travers les associations de parents d’élèves (APE), se sont vraiment engagées. Elles se sont organisées pour préfinancer la vacation avant l’arrivée des ressources de l’Etat (avril pour le 1er payement et novembre pour le second). Mais nous avons quand même connu une rétention de notes dans trois (3) CEG en fin d’année scolaire ; problème que les APE se sont attelés à résoudre dès la rentrée scolaire et les cours ont repris sans problème.
Comment la gestion de la carrière des enseignants du 1er cycle du secondaire se fait au niveau de votre direction?
Comme tout agent de la Fonction publique, les professeurs du post-primaire sont engagés dans la Fonction publique et vont évoluer dans leur carrière comme c’est le cas des enseignants reconvertis et des professeurs qui étaient au niveau du secondaire et qui ont été mis à la disposition du MENA. Les actes de gestion de leur carrière sont pris au niveau central.
« Il faut reconnaître que le métier de l’enseignement se féminise de plus en plus »
Les demandes de permutation sont récurrentes, cela ne nuit-il pas au fonctionnement du programme scolaire ?
Les permutations se font généralement dans le cadre global du mouvement du personnel, bien avant la rentrée scolaire. Elles donnent aux enseignants qui ne remplissent pas les conditions normales de mutation une possibilité de changer de poste. En principe, elles n’entravent pas le déroulement du programme scolaire puisqu’elles se font selon la règle, emploi pour emploi, poste pour poste.
Au primaire, on assiste souvent à une pléthore d’enseignants, surtout la gent féminine, dans certaines écoles, alors qu’ailleurs, des classes chôment, sans maître. Comment expliquez-vous cet état de fait ?
Vous savez, lorsqu’on parle de stabiliser la famille à un endroit donné, très souvent c’est la femme qui est désignée pour y rester avec les enfants ; or ce besoin se fait sentir dès que les enfants atteignent un certain niveau d’études (enseignement secondaire et universitaire). Il y a également l’accès aux soins de santé. Pour cela, ce sont les villes, notamment les chefs-lieux de région, qui sont prisées car, elles offrent les meilleures conditions. En plus, il faut reconnaître que le métier de l’enseignement se féminise de plus en plus et de nos jours, beaucoup de femmes se retrouvent également dans les écoles les plus éloignées de la région, en milieu rural. Et cela va se ressentir davantage avec le mode d’affectation par tirage au sort.
Un fait courant dans les villes : on voit des enseignants abandonner leur poste pour vaquer à d’autres occupations ; comment venir à bout de ce phénomène qui perdure ?
L’absentéisme dans les lieux de travail est un phénomène réel, et malheureusement, cela s’observe aussi dans le milieu scolaire. Pour en venir à bout, il faut appeler à plus de responsabilité des uns et des autres, et continuer la sensibilisation dans le sens du respect des textes en vigueur quant aux devoirs de l’agent public.
Beaucoup d’écoles privées forment les enseignants du primaire, quelles appréciations faites-vous de ces écoles ?
Les écoles privées de formation des enseignants du primaire (EPFEP) accompagnent l’Etat dans sa politique de formation d’enseignants. Elles mettent sur le marché de l’emploi des jeunes gens formés, prêts à être utilisés, contribuant ainsi à réduire le coût du recrutement pour l’Etat, d’autant plus que ceux qui sortent des ENEP ne sont pas à même de satisfaire les besoins en enseignants au niveau du public. Par ailleurs, elles permettent aux écoles primaires privées de disposer de personnel compétent. Elles contribuent également à réduire le taux de chômage. A mon avis, elles font œuvre louable.
D’aucuns estiment que les enseignants issus de ces écoles n’ont pas une formation suffisante. Quel est votre avis sur la question ?
En matière de programme de formation et de volume horaire, les EPFEP sont soumises aux mêmes principes que les ENEP, cela est clairement défini à travers le cahier des charges. Par ailleurs, les cours sont assurés par les mêmes professeurs qui sont en majorité les encadreurs pédagogiques. S’il y a à revoir, c’est peut-être de façon générale, toute la politique de formation initiale des enseignants du primaire. Cependant, il faut reconnaître qu’il y a un réel problème en amont et la nécessité de revoir les conditions d’ouverture de ces écoles s’impose ; surtout le respect des normes en la matière pour une meilleure qualité de la formation.
Etes-vous de ceux qui estiment que le BEPC est dépassé pour être un enseignant du primaire et qu’il faut recruter au niveau Bac ?
Relever le niveau d’entrée des élèves-enseignants en exigeant le Baccalauréat est de plus en plus évoqué. Cependant, cette réforme nécessite une autre plus globale au niveau de la Fonction publique, au regard des implications que cela induit. Pour moi, il s’agit d’une question de choix politique. L’essentiel, pour le moment, est de travailler à donner aux enseignants une formation initiale de qualité, accompagnée sur le terrain par des actions de renforcement de capacités permanentes. Mais, c’est sûr qu’exiger le Bac comme niveau d’entrée dans les écoles de formation d’enseignants du primaire contribuera à la revalorisation du métier, et à relever également le niveau général d’éducation dans notre pays.
Quel portrait peut-on faire d’un bon enseignant ?
Pour moi, le bon enseignant, c’est celui qui est présent dans sa classe, qui est toujours à l’heure (ponctuel), qui prépare et dispense ses cours selon les principes pédagogiques définis.
Mais comme vous savez, l’efficacité des ressources humaines dépend de trois choses : le savoir, le pouvoir et le vouloir. Si on peut facilement vérifier qu’un enseignant remplit les conditions intellectuelles et qu’il dispose d’outils nécessaires pour exécuter son métier, il est plus difficile de contrôler les conditions morales, à savoir sa volonté de s’impliquer et de bien faire son travail. Nos enseignants sont bien formés, détenteurs de titres de capacités, mais ont-ils vraiment cette volonté, cette motivation de bien faire leur travail ?
De plus, les enseignants ne sont pas aidés dans ce sens par l’administration. Pour être un bon enseignant, il faut d’abord être en mesure de satisfaire ses besoins élémentaires, physiologiques (manger, boire et dormir).
Vous savez, les premiers moments sont toujours déterminants dans tout ce qu’on entreprend dans la vie. Mais le constat est que le nouvel enseignant, tout heureux d’avoir trouvé un emploi, déchante très vite sur le terrain car il va devoir attendre près d’un an, voire plus pour être mandaté (comme c’est le cas cette année). Après, il lui faudra attendre deux ans, trois ans voire quatre, avant de bénéficier des indemnités liées à son emploi. Présentement, à la DRENA, nous avons plus de 600 dossiers à peu près, et un millier dans le circuit de traitement. Vous voyez que dans ces conditions, la motivation de départ fait très vite place à la démotivation et les conditions n’étant pas réunies, on en vient à perdre goût. Le retour à une situation normale n’est pas toujours évident. On gagnerait vraiment à revoir le processus de traitement des dossiers de salaire du personnel enseignant.
« Les écoles privées sont suivies comme les écoles primaires »
Quel est le type de contrôle que la DRENA exerce sur les écoles primaires privées ?
Les écoles primaires privées sont suivies tout comme les écoles primaires publiques. C’est dire qu’elles sont placées sous le contrôle direct des chefs de circonscription d’éducation de base (CCEB) qui rendent compte à la DPENA, qui à son tour rend compte à la DRENA. Cependant, la DRENA, dans sa mission de contrôle de la mise en œuvre des activités, effectue par moments des sorties-terrains de suivi-supervision au niveau des structures éducatives dont les écoles privées.
D’une façon générale, comment peut-on parvenir à relever le niveau de l’enseignement au Burkina Faso ?
Pour parvenir à une éducation de qualité, il faut d’abord une formation initiale de qualité du personnel enseignant, mettre en place une bonne stratégie de formation continue, améliorer les conditions d’accueil dans les structures éducatives, ainsi que les conditions de vie et de travail des enseignants.
Le choix des surveillants et correcteurs à l’examen du CEP et du concours d’entrée en 6e a toujours fait polémique ; quels sont les critères qui prévalent à ce niveau ?
Le choix des examinateurs est une tâche délicate et décisive dans la réussite des examens et concours scolaires. Les critères qui prévalent sont bien sûr la compétence, l’expérience professionnelle, la probité, le dévouement, la bonne moralité et la disponibilité. Dans cet esprit, le choix se fait parmi les Institutrices et Instituteurs principaux (IP), les Institutrices et instituteurs certifiés (IC) ou, à défaut, les Institutrices et instituteurs-adjoints certifiés (IAC). Le nombre d’examinateurs est fonction du nombre de candidats. Par ailleurs, les titulaires des classes de CM2 et CM1 sont le plus souvent prioritaires. Dans le choix, il faut également tenir compte des paramètres de résidents et non-résidents dans un souci de relativiser les coûts.
Quel rôle joue la DRENA le traitement des dossiers d’avancement des enseignants ?
Tout comme les dossiers d’engagement, la DRENA ne joue pas un rôle particulier dans le traitement des dossiers d’avancement. C’est le niveau central qui s’en occupe, pour ce qui est de la prise des actes qui constatent ces avancements et l’incidence financière qui y est rattachée. Les dossiers sont juste centralisés et vérifiés, puis transmis au niveau central.
Quel est le défi majeur pour vous, dans la Boucle du Mouhoun, en tant que DRENA ?
Rendre meilleures les conditions d’accueil dans les structures éducatives : résorption des classes sous abri précaire, construction de salles de classes dans les CEG, équipement en mobilier suffisant (tables-bancs, bureaux, chaises et armoires), instauration de la cantine scolaire, existence d’instances de gestion fonctionnelles.
Avez-vous un appel à l’endroit du monde éducatif de la Boucle du Mouhoun ?
Un appel à la mobilisation sociale en faveur de l’éducation, car sans l’implication effective de tous les acteurs, il nous serait difficile d’atteindre des objectifs de qualité en matière d’éducation.
Seydou BAKAYOKO